Inter’med
Des sujets "chocs", des avis d’experts, des graphiques colorés et une dose de science-fiction : l’écologie est une mine d’or pour les médias. Le sujet paraît simple, pourtant le problème est complexe car les facteurs qui interviennent sont nombreux. On pourrait donc redouter ces raccourcis faciles. Cependant la plupart des scientifiques sont soulagés de voir, qu’enfin le grand public est sensibilisé à cette réalité.
Le dossier environnement est l’un de ces nouveaux thèmes qui imposent aux différents acteurs de la société de fédérer leur travail. Scientifiques, économistes, politiques et citoyens doivent engager un débat et réunir leur énergie pour être capables de traiter le problème.
Etablir une telle synergie est pourtant loin d’être facile. Disposer le cadre préalable est déjà un défi formel. Le « ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables » mis en place en mai 2007 au sein du premier gouvernement de François Fillon se voit redéfinir en mars 2008 comme « ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire ». La nuance peut paraître faible, mais elle traduit toute la précision du dossier.
Comment rendre le monde dynamique, clair, compréhensible et agréable tout en continuant à progresser vers des objets de plus en plus complexes et enchevêtrés ? Comment établir une véritable médiation entre les disciplines ?
Une petite enquête dans le monde des blogs scientifiques révèle assez vite que les volontés de communication et de discussion existent parmi les spécialistes. Cependant force est de constater que les initiatives sont encore trop rares. Aucun projet d’ensemble n’est vraiment établi. Les « vulgarisateurs » sont encore peu nombreux et la plupart des chercheurs rechignent à sortir de leur laboratoire prétextant que c’est une perte de temps ou bien craignant que leurs expériences ne puissent être accueillies ni appréciées à leur juste valeur. Le terme même de « vulgarisation » inquiète, il laisse planer le risque d’une transformation des études sérieuses en de belles histoires.
« Un édifice complexe », une stratégie à définir
Nous comprenons donc que nous avons à faire à un problème à double entrées : d’un côté intéresser et attirer le grand public vers la recherche et les problèmes contemporains et de l’autre créer les interconnexions et l’efficacité nécessaires pour aborder et traiter des dossiers en profondeur. Pour atteindre cet objectif c’est tout un processus d’organisation qu’il faut mettre en place, cela veut dire que ce que nous appelions « vulgarisation » est en fait un édifice plus complexe.
La première brique à poser est celle de « l’éveil », un
éveil initié par la constitution d’une culture globale, le tissage d’une toile
de fond sur laquelle il devient ensuite possible de coudre les nouveaux
problèmes. En effet il ne suffit pas d’énoncer les résultats, il faut
transmettre les enjeux et sensibiliser aux grandes questions qui motivent la
recherche. Cette seconde phase constitue le début d’une véritable médiation
entre les disciplines, c’est l’étape qui permet de réunir les spécialités et
les affinités, de constituer la trame d’une étude en profondeur des questions
abordées. Il faut ensuite poursuivre cette entreprise, le public doit continuer
à se sentir concerné, à saisir les hypothèses émises, les méthodes utilisées et
les démarches suivies. On peut alors engager des discussions sur les
applications pratiques des découvertes, des débats sur les préoccupations des
citoyens qui devront intervenir dans l’orientation de la suite des événements.
C’est le respect de chacune de ces étapes qui permettrait d’éviter les ruptures et les décalages malheureusement très fréquents, entre les positions des experts et celles de l’opinion publique (opinion publique qui, rappelons-le, influence directement les choix politiques et donc les choix budgétaires). C’est aussi le respect de chacune de ces étapes qui, en permettant transparence et compréhension, éviterait toute instrumentalisation des conclusions d’études.
Distribuer les rôles :
« Les chercheurs n’assurent pas le "service après vente" de leur recherche »(*)
Les chercheurs devraient bien entendu être les premiers acteurs de cette médiation, mais ils ne peuvent agir seuls, ils doivent être encouragés (on saluera à ce propos les prix décernés par l’UE ou d’autres fondations pour la vulgarisation ou la communication scientifique), ils doivent être aidés et organisés. De véritables « traducteurs » seraient parfois nécessaires.
La presse traditionnelle : C’est pas sorcier, E=M6, Science et vie junior... leur nom est immédiatement associé à la vulgarisation scientifique. Le laboratoire roulant de Fred & Jamy est défini sur son site officiel (http://www.cestpassorcier.com/) comme une émission « éducative » destinée aux adolescents. Son équipe de rédaction composée de journalistes scientifiques utilise « l’humour », des outils pédagogiques et ludiques ainsi que des films documentaires pour de « l’observation directe [amener] aux questions [...] puis aux explications ». Cette politique répond exactement aux attentes de l’étape d’éveil que nous avons décrite. Aucune étude ne peut chiffrer le rôle qu’ils ont eu et qu’ils continuent à avoir dans la naissance de grandes passions. Leur succès est plus qu’encourageant et leur est influence évidente.
Dans la continuité de cette initiation, d’autres médias tentent de prendre le relais : les magazines comme Science et avenir, Découverte, Science et vie ou Histoire..., des chaînes de télé comme Arte dont l’« objectif [est] de concevoir, réaliser et diffuser, ou faire diffuser, des émissions de télévision ayant un caractère culturel et international au sens large, et propres à favoriser la compréhension et le rapprochement des peuples en Europe » (article 2 du Contrat de formation d’Arte GEIE). Cependant la couverture de cette étape de véritable médiation est déjà moins large. Trop peu utilisent ces outils au quotidien pour comprendre le monde et progresser.
L’aboutissement du processus, l’éclairage pluridisciplinaire de l’actualité, la réflexion plus complexe (toujours à prendre au sens premier, étymologique : « action d’embrasser, d’entourer », « étreinte ») des faits qui font le monde restent malheureusement réservés à un public trop restreint. Chacun restant au moment des décisions et des discussions dans son domaine.
Les nouveaux médias : un nouvel acteur ou plutôt des
milliers de nouveaux acteurs pourraient venir combler cette lacune. En effet, internet s’impose peu à peu comme le nouveau vecteur de la médiation. Les sites
officiels des grands organismes, les espaces de discussions et les projets
communautaires comme Wikipédia ou Agoravox proposent tout un panel d’outils
pour entrer dans une vraie logique d’échange avec des citoyens actifs. De
grands sites de vulgarisation ont aussi vu le jour, leurs URL deviennent aussi
connues que les lunettes de Mac Lesggy. Dans la petite enquête publiée il y a
une semaine (http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=39117)
nous avions relevé entre autres : le c@fé des sciences, Futura Science,
l’Agence science presse, Automates intelligents, Sciences citoyennes,
SpectroSciences... Toute une dynamique est en marche pour structurer les
initiatives et les réflexions des blogueurs (Cf. http://www.spectrosciences.com/spip.php?article90).
L’école : percevoir l’existence de ce chantier qui doit enthousiasmer plutôt que démotiver est d’autant plus important à certains moments-clés. Les passions naissent pour beaucoup à l’école, les questions se posent dès l’enfance. Aussi les interventions et la sensibilisation à l’école primaire sont loin d’être une perte de temps. Les étapes d’orientation doivent ensuite être éclairées dans l’optique de la mise en commun des problèmes et des défis qui feront la vie des jeunes. Dans les salles de classe, la notion de plaisir (plaisir de chercher, de trouver, de formuler ou d’organiser) doit constituer l’un des facteurs importants de choix. Demain est un challenge qu’il faut présenter aux jeunes comme tel. Il faut lier les problématiques de biologie, d’économie, de géographie ou de philosophie entre elles, les placer sous l’angle de l’actualité pour les rendre enthousiasmantes. (Une crise éclaterait-elle dans les banlieues si le monde n’était pas en pleine crise identitaire ? pour ne citer qu’un exemple.)
Des lieux et des moments particuliers : l’objectif des musées devraient d’abord être d’ancrer ces jolies paroles dans les dimensions du réel : dans l’espace et dans le temps. Les Centre de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) comme la Cité des sciences ou le Palais de la découverte tentent d’accomplir cette mission. L’organisation de conférences, de débats à l’occasion de journées comme la Fête de la Science ou la Nuit des Etoiles sont aussi à encourager et à élargir. Le gouvernement français lors de la création des CCSTI déclarait que : « la démocratisation de la culture scientifique est primordiale pour mieux appréhender le monde contemporain et ses différents enjeux », preuve que dans la théorie les pouvoirs publics sont conscients des décalages inhérents au monde du XXIe siècle, preuve aussi que des outils pour les surmonter existent et que c’est à chacun d’en profiter et de les développer en tant que passionné, que professionnel, que professeur, qu’étudiant, que curieux.
Certaines données doivent être plus ciblées, transmises au bon moment à la bonne personne, être véhiculées, ne pas rester bloquées. C’est au quotidien qu’il faut aussi concevoir cette médiation, y associer les associations de quartier, le petit commerçant (dont la boutique pourrait devenir un lieu d’exposition, dont le café pourrait devenir un lieu de débat). Sans cesse nous passons du statut d’acteur à celui de spectateur. C’est aussi du point de vue du citoyen que nous devons donc prêter attention aux différents éclairages d’une même thématique.
Une « intermédiation »
Nos propos semblent porter sur la médiation entre les différents secteurs de la recherche, pourtant ils englobent les maillages entre la science, la culture, les arts, les sciences humaines ou sociales et même l’économie, la politique et pourquoi pas le sport.
Une synergie apparaît déjà à l’occasion de grands projets qui mettent en mouvement tous types de corps de métiers ou de spécialités. La réalisation d’un film est un très bon exemple, contentez-vous de constater la longueur du générique pour vous en apercevoir. De même, il existe des organismes fondés avec pour mission cette « intermédiation ». Rappelons les objectifs de l’Unesco, définis dans sa charte fondatrice :
« [...] contribuer au maintien de la paix et de la sécurité dans le monde en resserrant, par l’éducation, la science, la culture et la communication, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que la Charte des Nations unies reconnaît à tous les peuples. »
Wikipédia nous précise « L’Unesco poursuit son action à travers cinq grands programmes : l’éducation, les sciences exactes et naturelles, les sciences sociales et humaines, la culture, la communication et l’information. »
Une entreprise aux multiples bénéfices :
Des expressions comme « maintien de la paix et de la sécurité » ou « respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales » mettent en évidence d’autres enjeux vitaux de la médiation. Un médiateur n’est-il pas « celui, celle qui s’entremet pour opérer un accord, un accommodement entre deux ou plusieurs personnes, entre différents partis », qui évite les conflits ? Bien sûr, il ne s’agit pas de tout mélanger, mais une entreprise comme celle que nous venons de décrire ne mériterait-elle pas qu’on s’y consacre pleinement si ses bénéfices sont :
- un approfondissement des savoirs, un progrès de
l’humanité ;
- un recul de l’incompréhension et de ses
conséquences comme le racisme ou les extrémismes ;
- par ricochet économique et par l’ouverture
d’esprit, une progression possible du niveau de vie et du bien-être de chacun ;
- la découverte de vocations et de passions... ;
- c’est aussi ouvrir des voies que chacun peut emprunter pour poursuivre son objectif voire son idéal.
La mise en place d’un cadre théorique autour d’un projet d’intermédiation est une étape importante qui doit succéder à celle du constat. Cependant, il faut aussi être conscient de la multitude des actions concrètes et anonymes qui vont déjà dans le sens. Les nouvelles politiques d’urbanisme « à visage humain » sont un signe du changement progressif de mentalité face aux défis du XXIe siècle. Plus simplement, les personnes qui chaque jour vivent et partagent leur passion (artisans, artistes, sportifs...) sont les premiers acteurs à l’œuvre. L’une des missions des « journalistes citoyens » comme ceux d’Agoravox consiste à repérer et à éclairer positivement et intelligemment ces initiatives.
Sources :
-Wikipédia (articles Médiation scientifique, Médiation culturelle, Unesco et liens associés), Wikitionnaire
-Site officiel de l’Unesco
-Ministères de la Culture, de la Recherche
-Sites officiels : France Télévision (France 3, C’est pas sorcier...)
-Sites officiel CNRS, académie des sciences, Union européenne
-Futura-Science, Agence Science-presse, Café des sciences
-(*)Enquête
préliminaire, dialogue engagé avec les blogueurs du C@fé des Sciences et les
membres du forum de Futura Science (http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=39117)
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