L’ADN n’a toujours pas livré ses secrets
L’ADN, molécule étudiée depuis près de 70 ans, recèle encore son cortège de mystères et paradoxalement, plus la science en sait sur les mécanismes génétiques, plus le Vivant nous interroge et semble même s’échapper des mailles des filets conceptuels tendus par les plus doués des théoriciens. Il y a deux grandes catégories d’ADN, celui qui code pour les protéines et celui désigné comme non-codant. L’ADN codant est composés de séquences appelées gènes. Si on réfléchit aux résultats chiffrés portant sur différentes espèces, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de lien étroit entre la taille du génome, le nombre de gène et la place de l’espèces dans l’arbre phylogénique. Prenons comme référence le génome humain. On pensait qu’il avait 100 000 gènes mais maintenant, le chiffre a été revu à la baisse. 28 000 ou même moins encore. Le vers nématode en contient 23 000, soit presque autant que l’homme mais avec un génome 30 fois plus petit. La levure, banal protozoaire, en contient 5000 et la drosophile presque 20 000. Chez les végétaux, le peuplier en contient 45 000 et le maïs 55 000 mais avec un génome dix fois plus important. L’ADN du maïs est plus long que celui de l’homme. Mais pas autant que celui d’une amibe qui constitue un record avec 675 milliards de paires de bases. A côté, le génome humain est ridicule, avec ses 3 milliards de pb. E Coli, la plus étudiée des bactéries, possède un génome d’environ 5 millions de pb mais tout de même plus de 4000 gènes. Et 1300 pour le mimivirus, le plus gros dans sa catégorie. Bref, il n’y a pas vraiment lien entre la taille du génome, le nombre de gènes et les morphotypes des espèces. Seule déduction possible, la vie est complexe, depuis les virus jusqu’à l’homme en passant par les protozoaires, les insectes, les reptiles et les mammifères, avec à côté les végétaux. Et une hypothèse, celle d’un génome dont les mécanismes ne se réduisent pas à l’expression de gènes. Il y a autre chose et si la partie non codante du génome des vertébrés est importante et a été conservée, c’est bien qu’elle sert à quelque chose. Déjà Aristote y avait pensé, non pas au génome mais à cette nature qui ne fait rien en vain.
L’une des plus importantes énigmes incline à rechercher le rôle exact de l’ADN dans l’évolution. L’état actuel des savoirs permet d’établir deux catégories de constat. D’un côté les mécanismes génétiques et épigénétiques, de l’autre le séquençage des différents génomes dans les espèces. Ce n’est pas pour autant que l’on comprend le vivant et notamment l’ontogenèse. L’évolution reste encore plus énigmatique, quant à l’origine de la vie, elle échappe complètement à l’entendement scientifique. Cette question des origines mérite une réflexion épistémologique visant à se demander si la réponse est possible, si oui dans quel cadre (physique et biologique) et enfin si la compréhension des origines va de pair avec celle de la vie (ontogenèse notamment) puis celle de l’évolution. A ces questionnements s’ajoutent d’autres interrogations d’ordre utilitaire en matière de santé. Peut-être saurons-nous si ces maladies dites incurables comme le cancer (désordre génomique) ou l’Alzheimer (désordre épigénétique ?) peuvent être la cible de thérapies régénératrices ou alors si l’affaire est close et qu’il faut se résigner comme face à la mort. Ces grandes énigmes suggèrent que quelques penseurs audacieux vont se manifester et pour le dire avec une image, qu’un savant du 21ème siècle sera à Darwin ce que Einstein fut à Newton. Cette image étant trompeuse (sur le plan heuristique) car elle suggère qu’il faudrait compléter la description néo-darwinienne pour avoir l’image représentative de l’évolution. C’est plutôt un Schrödinger de la biologie que l’on attend. Mon idée étant que la compréhension du vivant fera appel à des mécanismes pour l’instant non élucidés, à l’instar des processus microphysiques qui au début du siècle précédent, on mobilisé l’imaginaire des mathématiques quantiques et permis de découvrir également les interactions forte et faible.
De très nombreux détails et autres hypothèses ont fleuri dans le domaine de la génétique, la biologie du développement et l’évolution. Ce qui nous éloigne d’un schéma clair. L’une des dernières hypothèses récemment discutée concerne la WGD. Sigle désignant la duplication intégrale de l’ADN, à laquelle est opposée à SSD, duplication restreinte concernant les gènes dans leur singularité (à associer aux transposons). Quelques spéculations sur les « gènes ohnologiques », issus de la WGD, sont débattues par les biologistes. L’apparition puis la spéciation des vertébrés serait due à deux épisodes intenses de WDG au cours desquels le génome des vertébrés aurait été façonné au point d’être conservé à 30 % par les espèces actuelles (ces 30% concernant le génome codant). Cette hypothèse désignée comme 2R (2 rounds) fut formulée par le biologiste Ohno en 1970 et fit l’objet de nombreuses recherches car les vestiges de ces épisodes duplicatifs auraient dû disparaître avec la sélection or les résultats récents génétiques montrent que ce n’est pas le cas, notamment avec l’étude des quatre complexes génétiques Hox présents chez tous les mammifères. Plus étonnant, parmi ces gènes conservés, certains sont considérés comme dangereux, favorisant l’apparition des cancers chez l’homme ainsi que d’autres vertébrés, animaux domestiques, poissons affectés par la pollution. Ces constatations permettent de forger l’hypothèse d’une conservation non adaptative des « gènes ohnologiques » au cours de l’évolution des vertébrés. Cette rétention génétique serait liée au fait qu’ils interviennent dans la complexité des vertébrés en déterminant notamment les processus de communication cellulaire ainsi que l’ontogenèse. Ces gènes ancestraux ont donc été conservés parce qu’ils sont sensibles aux mutations et qu’ils sont indispensables au fonctionnement des organismes. Le revers de la médaille, c’est que parmi ces gènes, certains peuvent provoquer des cancers (P. Prya Singh et al. Cell Reports, 2, 1-12, 2012). Et sans doute d’autres pathologies dont l’origine n’est pas claire car comme le suggère l’hypothèse de la causalité génétique inversée, les gènes mutés peuvent être le résultat et non la cause d’un processus de dégradation de l’organisme.
Ces considérations bien que sommaires nous invitent à repenser la place de l’ADN en interrogeant la manière dont il est étudié et ce qu’il dévoile à travers les analyses génétiques. La découverte de la chaîne causale gène -> protéine, puis des maladies génétiques, a ouvert la voie vers des savoirs qui se sont révélés à double tranchant. Peut-être que ces résultats engendrent un mélange de théorie et d’artefact doublé d’une conjecture accidentelle si l’on étudie les maladies génétiques. Quant au lien entre génome et évolution, il reste mystérieux. L’évolution du génome paraît maintenant largement indépendante de la sélection naturelle, à moins que cette sélection naturelle ne soit un concept mal ficelé, ambivalent et ambigu. Sans doute faut-il repenser bien des points et formuler des hypothèses nouvelles. Sur ce plan, je réponds présent, bien qu’étant maintenant un peu largué par ce puzzle biologique qui me nargue.
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