La bataille entre mécanique quantique et thermodynamique a commencé : à la recherche d’un quatrième principe ?

Un cercle restreint de physiciens est en quête d’unification, pour ne pas dire d’universalité ou à défaut de transversalité. Dans ce milieu où l’imagination est reine, on sent depuis quelques années un frémissement. Les trois grandes théories de la physique sont scrutées, analysées, examinées sous toutes les coutures afin d’y déceler quelques propriétés nouvelles ou bien de les combiner pour faire apparaître des possibilités inédites. Ces trois théories ont été élaborées entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème. Ce sont la thermodynamique, devenue mécanique statistique, la cosmologie relativiste et la mécanique quantique. Pour être complet, il faudrait ajouter l’électromagnétisme et la question du champ radiatif qui émarge en fait sur les trois grands ensembles théoriques. Pour parler vulgairement, ça se fritte entre spécialistes et notamment lors de la confrontation des théories, surtout lorsqu’on met en face la mécanique quantique et la cosmologie. Comme on le sait, un peu de thermodynamique s’est immiscée mais faute de jouer les arbitres, c’est le doute qui a été semé. Du coup, il en reste quelques acquis obtenus avec la thermodynamique des trous noirs, comme la conception holographique suggérée par Leonard Susskind et la question de l’information qui ne se perd pas et qui reste disponible, sans qu’on sache comment y accéder. Les ésotéristes y verront une allusion aux dossiers akashiques mais cela ne fait pas avancer la question. Pour l’instant, la gravité semble perdre son statut de force fondamentale. Alors que des pistes inédites sont proposées par le brillant physicien quantique Vlakto Vedral qui lors d’un entretien avec son homologue Paul Davies confiait qu’il réfléchissait aux questions fondamentales lors de nuits insomniaques (ce qui m’arrive parfois également)
Dans un article de synthèse paru récemment (New Scientist, oct. 2012, p. 30), Vedral fait le point sur la place de la thermodynamique dans le champ théorique de la physique, tout en suggérant quelques pistes développée dans son livre Decoding Reality publié en 2010 (OPU). Il rappelle la naissance de cette discipline pour transformer la chaleur en énergie mécanique et sa fameuse seconde loi énoncée en 1824 par Carnot. L’histoire des sciences sait combien cette notion d’entropie qui s’accroît a suscité des interrogations, débats et interprétations. Progressivement, l’entropie a été associée à la notion d’ordre et de désordre, puis à celle d’information. Clausius pensait déjà à la dispersion de l’énergie. Alors qu’en 1900, Planck propulsa la physique dans une direction qui, si elle avait été appréciée par ses prédécesseurs, aurait été jugé inconcevable. Autant que pourra l’être la future théorie du Tout qu’envisage l’auteur de l’article qui par ailleurs s’en est expliqué lors d’une conversation avec son confrère Paul Davies. Mais avant de conjecturer sur l’univers, il est bon de situer le contexte. Vedral souligne alors un point épistémologique qui semble-t-il n’a pas une grande importance pour les physiciens. Si la mécanique quantique et la cosmologie relativiste ont bouleversé la physique, la seconde loi est restée de marbre. Si bien qu’en 1915, Eddington lançait une boutade aux « nouveaux physiciens » en les avertissant que si leurs avancées théoriques étaient amenées à remettre en cause cette seconde loi, eh bien il ne donnait pas cher de leur avenir, promis aux désillusions et humiliations.
Maintenant, on sait que la seconde loi a « résisté » mais aussi, comme l’expose Vedral, que la thermodynamique est devenue une mécanique statistique avec de profondes connivences avec la théorie de l’information. Mais pour ma part, je préfère rester prudent quant à l’intérêt des travaux de Shannon pour comprendre l’univers et la nature. Si l’intérêt épistémologique est problématique, le rôle heuristique de l’information a été indéniable. Si je comprends bien la pensée de Vedral, l’application pratique de la thermodynamique est triviale mais le développement de cette théorie se place dans l’horizon d’une théorie de l’information et de l’énergie qui d’une part, dépasse les résultats de Shannon et d’autre part, pourrait transcender les deux grands édifices du 20ème siècle, méca Q et cosmologie. La thermodynamique du 20ème siècle pourrait alors servir de guide pour une super théorie universelle de l’information élaborée au 21ème siècle. Mais attention à ne pas prendre l’information pour une notion triviale. Au passage, je rappelle les pistes proposées par Davies qui lui aussi, place l’information au centre d’un dispositif théorique censé expliquer les origines de la vie (voir précédemment).
Vedral paraît assez perspicace lorsqu’il évoque des êtres capables de réduire l’entropie dans l’environnement et donc de lui conférer un certain ordre. Son idée étant que l’information peut devenir une puissance. Qui pour être opérationnelle a dû accumuler beaucoup d’information, qui sait comment les choses étaient et qui sait comment elles peuvent devenir. Dans doute un lien avec la « substance cognitive » et quelques connivences avec mes recherches ainsi que la piste de Davies sur la vie émergeant lorsque l’information se hiérarchise. Je crois que des convergences de pensée se précisent et que quelques scientifiques sont lancés dans le « graal » de l’information dans l’univers. L’avenir dira s’il faut prendre des distances avec la méca Q et la relativité pour une super théorie comme cela est suggéré dans le New Scientist. Une théorie dont le point de départ serait cette formule de gravée à Vienne sur la tombe de Boltzmann et qui selon Vedral serait l’une des plus belles et des plus profondes de toute la science. S = k . log W. Avec le W désignant le nombre de complexion. Cette formule mérite une triple critique. D’abord la constante k qui n’est pas si fondamentale car elle dépend de la température, paramètre contenant un arbitraire puisque son unité, le Kelvin, varie selon qu’on la prenne avec l’échelle Celsius ou Fahrenheit (le zéro étant alors 273 K ou bien 430 K). On comprend alors que calculée avec l’échelle F, k n’a plus la même valeur, mais le produit k. T reste constant. Ensuite, W ne possède pas une signification physique précise, puisque ce paramètre désigne des possibilités de réalisation d’une configuration. Par ailleurs, si W correspond au nombre de complexion des molécules dans un gaz, il faut prendre en compte les vitesses possibles, ce qui donne une entropie infinie dans le cas d’un spectre de vitesse continu. Ces petits détails nous amènent vers une considération épistémologique assez subtile. En fait, le dilemme de l’entropie infinie est levé dès lors que l’on considère, conformément au principe fondamental de la méca Q, que les états des atomes sont quantifiés et donc discontinus. Ce qui suggère que la physique quantique serait plus « fondementale » que la thermodynamique.
Vedral fait remarquer que les probabilités utilisées en physique classique et en mécanique quantique n’ont pas du tout le même statut. Dans le premier cas, la subjectivité est impliquée puisque les probabilités évoluent en fonction de la connaissance du système qui s’accroît si bien qu’elles représentent ce qu’on connaît ou à l’inverse ce qu’on ignore. Quand on lance une pièce de monnaie, la probabilité de un demi représente l’ignorance de l’issue de l’expérience. On peut interpréter la probabilité en statistique comme un nombre indiquant la quantité d’information nécessaire pour décrire le système, cette quantité mesurant alors notre ignorance lorsque l’étude du système est impossible, comme par exemple connaître l’état de chaque molécule de gaz. Mais en mécanique quantique, les probabilités émergent comme une incertitude ontologique inhérente au fonctionnement du monde. Ce qui signifie que les probabilités quantiques sont « objectives », propres à l’objet ; elles ne peuvent être « levées » en gagnant plus d’information. Au contraire, la loi de l’entropie n’a pas de fondements objectifs solides selon Vedral, elle répond à des situations empiriques et marque une relative impuissance du physicien. Mais et c’est là toute l’astuce, la théorie de l’entropie prend une tournure différente dès lors que la mécanique quantique s’invite dans le dispositif théorique. Ainsi, les probabilités sont susceptibles d’acquérir un fondement plus objectif. Ce qu’on peut traduire en disant que la « nouvelle thermodynamique » imaginée par Vedral parle plus du monde réel que du sujet qui essaie de tirer des informations de ce monde. Cette voie semble fascinante et prometteuse pour interpréter les « racines informationnelles » du réel. On n’est pas très loin de la métaphysique. L’information pressentie comme un donné ontologique universel. Et le secret de l’univers, c’est à la fois la question de l’information mais aussi de la manière dont elle circule, autrement dit, l’énergie et finalement, on retrouve l’énigme ontologique à peine dévoilée par Aristote, la forme et la matière. Et au 21ème siècle, la forme et l’énergie qui dans un contexte classique (macroscopique), fait entrer en jeu cette étrange quantité qu’est l’entropie, qui est de même dimension que l’énergie si on la multiplie par T.
A la suite des réflexions proposées par Vedral, on se demandera quelle est la signification d’une super théorie de l’information. Ce qui suppose qu’on sache exactement interpréter ces notions d’entropie, de température, d’information, d’action. En ligne de mire, un éventuel quatrième principe de la thermodynamique. Peut-être faut-il passer de l’autre côté du phénomène, du miroir, pour trouver ce monde d’information dont au final, nous ne percevons qu’une figure projetée sur un écran, bref, la caverne de Platon revisitée. Au final, nous ne connaissons pas les secrets ultimes de l’univers et le défi lancé par Vedral traduit ce déficit de connaissance qu’on trouve dans les trois grandes branches de la physique théorique. C’est donc une affaire très intéressante qu’il faut suivre mais dont l’issue n’est pas garantie car la super thermodynamique risque bien de finir comme la théorie des cordes, c’est-à-dire comme un objet mathématique découplé du réel.
Ou alors de révolutionner la physique car la piste d’un calculateur quantique universel se dessine.
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