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La centrale solaire spatiale et ses enjeux

Etant donné son isolement, la faiblesse de ses ressources énergétiques et agricoles, et surtout la montée en puissance de son encombrant voisin chinois qui laisse entrevoir une augmentation inéluctable du prix de ces indispensables matières premières, le Japon a décidé de se lancer dans une politique ambitieuse dans ces deux domaines avec l’espoir de limiter le déclin annoncé. Pour rassurer les agences de notation il faut non seulement maîtriser son budget, mais aussi démontrer qu’on sera capable de produire de la valeur ajoutée à l’avenir. Les Etats-Unis semblent vouloir leur emboîter le pas, l’Europe tarde à réagir...

Dans la perspective de remédier à leurs problèmes d’indépendance énergétique, les japonais ont par exemple repris à leur compte le projet de centrale solaire orbitale initié par l’américain Peter Glaser en 1968 qu’ils comptent réaliser à l’horizon 2040. Elle devrait être dotée de deux panneaux solaires de 3km², elle pèserait alors autour de 20 000 tonnes. Le coût de la mise en orbite d’une masse aussi importante serait certes exorbitant, mais il faut le comparer au coût de développement d’ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), le futur réacteur expérimental pour la fusion nucléaire qui a récemment été revu à la hausse, passant de 8 à 16 milliards d’euros. Cette dernière technologie n’offre aucune garantie de succès alors que celle de la centrale solaire orbitale utilise en majorité des composants qui ont déjà depuis longtemps été éprouvés. Les japonais participent aussi à ce projet, mais ils ont décidé de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier.

L’un des gros problèmes de la recherche européenne est qu’elle investit des sommes colossales dans de grands projets comme ITER ou le LHC (Large Hadron Collider) au lieu de financer de nombreuses expériences plus modestes qui pourraient s’avérer tout aussi déterminantes pour la science et l’industrie si on prend en compte le principe d’émergence qui veut que le tout suit des règles qu’on ne peut pas déduire de l’analyse de ses parties. Bien que la recherche du boson de Higgs soit tout à fait passionnante, surtout si on découvrait qu’il n’existe pas car cela obligerait les chercheurs à proposer un nouveau modèle pour la physique, son coût handicape les travaux qu’il faudrait mener dans les autres domaines, la chimie et la biologie en particulier.

Depuis 1997, la NASA a elle aussi recommencé à étudier la faisabilité d’un tel dispositif par l’intermédiaire du système SBSP (Space Based Solar Power) qui vise à résoudre les différents problèmes liés à sa réalisation. Outre ceux de poids et de transmission, se pose celui de l’usure des cellules photovoltaïques qui détermine la durée de vie de la centrale. Si le positionnement dans l’espace donne l’avantage d’une meilleure exposition au rayonnement solaire en évitant les pertes dues à la réfraction de l’atmosphère, il accélère d’autant le vieillissement des panneaux, tout comme c’était le cas pour les premières cellules vivantes qui ne bénéficiaient pas encore de la protection anti-UV de la couche d’ozone ni de coquille calcaire.

Pour remédier à cet inconvénient, les chercheurs s’inspirent directement des mécanismes mis en place par les organismes qui pratiquent la photosynthèse, ils visent à reproduire la fonction qui leur permet de s’autoréparer. L’idée peut paraître complètement folle, mais depuis peu des chimistes du MIT (Massachusets Institute of Technology) sont parvenus à cette incroyable performance (cf « La Recherche » N° 446 de Novembre 2010 p30« Mimer les plantes pour produire de l’électricité »). Pour réaliser cet exploit ; ils se servent de quatre types de molécules plongées dans une solution aqueuse et d’un agent tensioactif, le cholate de sodium. Deux de ces molécules sont issues de la membrane de Rhodobacter sphaeroides, une bactérie capable de photosynthèse, les deux restantes étant d’une part une chaîne de lipides et de l’autre un nanotube de carbone. Ces ingrédients réunis permettent d’assembler et de désassembler des cellules photovoltaïques à volonté, selon le principe de l’autoconstruction, déterminant dans l’organisation de tous les systèmes vivants, cher au codétenteur du prix Nobel de chimie 1987, Jean-Marie Lehn.

Quand elles sont dans l’eau, ces quatre molécules forment automatiquement une cellule photosensible, mais elles se dissocient lorsqu’on ajoute du cholate de sodium, elles se réarrangent lorsqu’on le retire. Aussi suffit-il de filtrer les molécules endommagées par la lumière pour les remplacer par d’autres qui sont intactes pour obtenir à nouveau des cellules solaires parfaitement fonctionnelles. Il suffit pour cela de stopper momentanément la production d’électricité le temps d’effectuer le processus d’introduction/retrait de l’agent tensioactif, c’est à dire de littéralement mettre le dispositif en sommeil à l’instar des algues qui plongent vers les abysses pour se régénérer pendant la nuit. Cette phase pourra être entreprise un panneau à la fois, à la manière des dauphins dont un hémisphère dort pendant que l’autre reste en veille pour s’assurer qu’ils remontent à la surface pour respirer pendant leur temps de repos. Cela pourra avoir lieu lorsque les consommateurs que nous sommes sont à leur tour plongés dans les bras de Morphée, au minimum de notre consommation d’énergie.

L’absence d’une atmosphère protectrice pose encore un autre problème, celui des micrométéorites qui risquent d’endommager les panneaux alors qu’elles se consument avant d’atteindre le sol lorsqu’ils se trouvent sur Terre. Il faudra donc que la centrale soit en mesure de réparer toute seule les trous qui pourraient apparaître dans les membranes photosensibles qui seront exposées à ce risque faute de pouvoir bénéficier du même blindage que le corps de l’engin, ce qui revient à lui donner la capacité de cicatriser. Les futures habitations martiennes devront être dotées de la même fonction, les deux dispositifs pourraient d’ailleurs être constitués à partir du même type de structures gonflables.

Ce genre de projets existe depuis les années 1960 mais aucun n’a pu aboutir à cette époque à cause de difficultés techniques comme la réalisation de la liaison entre structure souple et structure rigide sans qu’il n’y ait de fuite et plus encore par manque de crédits pour les résoudre. L’évolution des matériaux ainsi que la perspective du développement d’une industrie du tourisme spatial ont récemment provoqué un regain d’intérêt de la part d’entreprises privées pour cette technologie innovante. ILC Dover a par exemple présenté un projet de tentes lunaires dans l’optique d’un possible retour des Etats-Unis sur l’astre de la nuit, mais Bigelow Aerospace semble être la firme la plus avancée dans ce domaine, elle a déjà placé en orbite deux modules expérimentaux depuis 2006. Ils ont donné des résultats fort satisfaisants avec une durée de vie estimée à 10 ans alors que les ingénieurs tablaient initialement sur un an seulement. Aussi le lancement d’un troisième prototype est-il envisagé d’ici à 2014. Cette future station spatiale destinée à accueillir des expériences scientifiques ou un hôtel restera dans la proche banlieue de la Terre, elle pourra donc être rapidement évacuée en cas de problème ; son exploitation ne nécessitera pas obligatoirement qu’elle puisse s'auto-réparer comme dans le cadre d’une mission d’exploration lointaine.

Le mécanisme d’auto-réparation de ces structures gonflables devra être comparable à celui de la paroi de nos cellules lorsqu’elles se retrouvent percées, par exemple par une aiguille, comme c’est le cas de l’ovocyte pour une fécondation in vitro par injection intra-cytoplasmique de spermatozoïdes. Seule une faible quantité de cytoplasme est éjectée lors du retrait de l’aiguille, la cellule ne se vide pas de sa substance avant de se refermer, elle garde ainsi toute sa fonctionnalité. Cela dépend directement des propriétés du matériau utilisé.

Si la régénération des cellules photovoltaïques et l’auto-réparation des panneaux solaires devraient être en mesure d’assurer un temps de vie assez long au dispositif, il n’est pas à exclure que des pannes plus importantes surviennent, comme ce fut le cas pour Deep Space 1 avec les caméras du système autonav. Il faudra alors remplacer les pièces endommagées pour que la centrale continue à fonctionner normalement. Comme il est aussi coûteux que périlleux d’envoyer des techniciens pour ce faire, cette mission devrait à terme être confiée à des robots. Ils pourraient rester à demeure sur l’engin en état de veille avec un stock des pièces de rechange identifiées comme les plus fragiles, la durée de vie d’un système étant déterminée par son élément le plus faible, mais on peut aussi imaginer qu’ils fassent partie d’un module autonome qui se chargerait alors de l’entretien de plusieurs centrales, voire de leur démantèlement pour récupérer les éléments réutilisables lorsqu'une station arrivera en fin de vie au lieu de la détruire intégralement. Soyons ambitieux !


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5 réactions à cet article    


  • epapel epapel 8 février 2011 15:54

    Elle devrait être dotée de deux panneaux solaires de 3km², elle pèserait alors autour de 20 000 tonnes. Le coût de la mise en orbite d’une masse aussi importante serait certes exorbitant, mais il faut le comparer au coût de développement d’ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), le futur réacteur expérimental pour la fusion nucléaire qui a récemment été revu à la hausse, passant de 8 à 16 milliards d’euros.

    Effectivement, le coût de mise en orbite avoisine actuellement les 15.000€ le kilo soit 300 milliards € rien que pour la mise en orbite. Un panneau déployé sur terre coûte 1000 € le m², mais comme est nécessaire dans l’espace de disposer de quelque chose de plus sophistiqué (solidité performance), quadruplons ce prix soit pour 6 millions de m² en coût supplémentaires de 25 milliards d’euros.

    Tout ceci nous amène à un coût total de l’opération de 325 milliards d’euros (20 fois ITER).

    A raison de 20 tonnes par voyage il en faudrait 1000 pour réaliser le projet (et 50 crashes), et à raison de 1 voyages par semaine (doublement de la capacité mondiale actuelle) ça prendrait 20 ans.

    A raison de 400 W/m² (rendement optimiste de 30%) , nous disposerions d’une puissance de 2400 mégawatts alors que l’EPR de Flamanville coûtera 5 milliards € pour une puissance de 2500 mégawatts soit 65 fois moins au mégawatt.

    Tant d’efforts pour si peu de résultats en valent-ils la peine ?


    • epapel epapel 8 février 2011 16:37

      L’un des gros problèmes de la recherche européenne est qu’elle investit des sommes colossales dans de grands projets comme ITER ou le LHC (Large Hadron Collider) au lieu de financer de nombreuses expériences plus modestes.

      ITER : 16 milliards €
      LHC : 2 milliards €
      Centrale solaire spatiale de 20.000 tonnes : 325 milliards €

      Modestie quand tu nous tiens !!


      • epapel epapel 8 février 2011 17:44

        Etant donné son isolement, la faiblesse de ses ressources énergétiques et agricoles, et surtout la montée en puissance de son encombrant voisin chinois qui laisse entrevoir une augmentation inéluctable du prix de ces indispensables matières premières, le Japon a décidé de se lancer dans une politique ambitieuse dans ces deux domaines avec l’espoir de limiter le déclin annoncé.

        La cause du déclin du Japon est essentiellement démographique et donc irrémédiable sauf changement de comportement (natalité très basse à 1,22 enfant par femme, moyenne d’âge > 50ans et en augmentation), or face à la faiblesses des ressources énergétiques et agricoles c’est plutôt une solution et non un problème. En 2050 la population du Japon sera inférieure à 100 millions et en 2100 elle sera divisée par 2 donc il ne pourra pas lutter contre la Chine.


        • Thierry Milliere 8 février 2011 19:13

          Je ne pense pas que les japonais songent réellement à mettre 20 000 tonnes en orbite, mais qu’ils cherchent plutôt à afficher leur volonté de rester à la pointe de la technologie, par exemple dans le domaine des panneaux solaires où les chinois sont leader. L’année dernière, ils ont testé la capacité des cellules solaires en couche mince sur leur voile solaire IKAROS de 14,1 mètres de côté qui ne pèse que 15kg, faisant d’une pierre deux coups pour un budget somme toute raisonnable par rapport aux 100 milliards de dollars qu’a coûté l’ISS qui ne sert pas à grand chose. L’auto-assemblage des cellules photovoltaïques pour augmenter leur durée de vie ne représente pas lui non plus un coût énorme. Les 2 milliards pour le LHC qui déboucheront difficilement sur des applications industrielles pourraient être utilisés autrement.


          D’autre part ils cherchent certainement à inciter leurs entreprises à se positionner sur le marché des lanceurs privés pour concurrencer les entreprises telles que Space X qui vient de remporter le Google Lunar X prize, comme ils l’ont fait pour la réalisation d’un robot humanoïde censé venir en aide aux personnes âgées ; ils en vendront plein aux chinois qui eux aussi vont avoir un problème démographique avec leur politique de l’enfant unique. Ils comptent aussi sur ces machines, sous d’autres formes, pour maintenir leur capacité de production.


          En ce qui concerne le nucléaire, il vaudrait mieux améliorer la technologie de la surgénération testée avec Superphénix avant de se lancer dans la fusion sans garantie de résultat. Voir la dernière tribune de Georges Charpak. L’EPR n’apporte pas grand chose de nouveau. 


        • epapel epapel 8 février 2011 20:19

          Ça n’a que peu de rapport avec ce que j’écris sur le Japon : je montre simplement que la technologie n’est pas une solution pertinente pour enrayer un déclin qui est avant tout démographique.

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