La complexité du vivant expliquée simplement !
Voici le troisième volet d’une série où je propose de retracer à grands pas l’évolution du monde depuis son origine, pour suivre le mécanisme de complexification continue qui a conduit progressivement la matière à s’auto-organiser de façon de plus en plus élaborée, en partant de particules élémentaires pour former d’abord des atomes puis des molécules. Ces dernières se sont ensuite découvert des propriétés de réplication qui ont ouvert la voie à un processus de complexification illimité, le phénomène vivant. L’objectif de cet essai n’est pas de résumer en quelques pages un domaine immense qui couvre pratiquement tous les champs de la connaissance, de la cosmologie à la sociologie en passant par la physique, la chimie, la biologie, la physiologie et les neurosciences, sans parler des mathématiques. Je m’adresse surtout aux non-scientifiques qui pensent que tout cela est hors de leur portée. Il est vrai que, dans le détail, nous serions confrontés à pratiquement tous les défis qui se posent à la science d’aujourd’hui et dans lesquels nous ne pouvons pas entrer. Mais il suffit de comprendre que la complexité est générée par des lois simples et répétitives, et c’est ce mécanisme qu’il convient de garder à l’esprit pour comprendre malgré tout ce que tout homme ou femme de notre siècle se doit de connaître : la logique du vivant.

3- Troisième partie : La socialisation des cellules
Par le fait même que les cellules se reproduisaient, leur prolifération avait tendance à se localiser en certains endroits par colonies issues de la même cellule.
Elles essaimaient de temps en temps au gré des fluctuations du milieu et ont pu ainsi coloniser une partie de la planète.
Cette répartition par groupe était favorable à des tentatives de communication par émission et réception de substances chimiques d’une cellule à l’autre qui étaient déjà des vecteurs d’information. S’il y avait nécessairement compétition pour la matière première nécessaire à la duplication des cellules, il pouvait également y avoir coopération quand l’existence de la colonie favorisait l’adaptation à l’environnement ou si se développaient des métabolismes complémentaires entre cellules voisines, reliées par ces premiers informateurs chimiques.
Il a fallu deux milliards d’années pour que cette collaboration d’opportunité se transforme en un nouveau type d’organisme vivant constitué d’une communauté de cellules, spécialisées chacune dans des métabolismes particuliers mais complémentaires les uns des autres.
Ainsi la mitochondrie s’acquittait de la fonction respiratoire. D’autres dégradaient les molécules nécessaires aux métabolismes, c’est-à-dire réalisaient la digestion. L’ensemble des molécules d’ADN où se logeaient les réplicateurs était regroupé à part dans une cellule particulière bien individualisée qu’on appelle le noyau, pièce maîtresse de la nouvelle cellule qui concentre le plan de construction de l’ensemble.
À l’intérieur d’une membrane commune, l’ensemble trouvait à la fois autonomie et performance sous forme d’une grosse cellule plus complexe qui allait à son tour se diversifier et se perfectionner et dont les propriétés émergentes allaient ouvrir une voie nouvelle à cette complexification de la vie qui, pendant deux milliards d’années, avait semblé marquer le pas.
_ Ce nouveau miracle s’appelait la cellule eucaryote ou cellule à noyau par opposition à leurs ancêtres plus simples et sans noyaux, les procaryotes ou bactéries qui continueront à explorer leur propre chemin au niveau de complexité inférieur.
Nous avons déjà vu que le passage à un degré de complexité de niveau supérieur correspondait à l’apparition de propriétés émergentes totalement nouvelles.
Nous ne détaillerons pas les propriétés nouvelles, innombrables, de ces cellules complexes, pas plus que nous ne pouvions détailler l’immense domaine de la chimie des molécules. Nous en retiendrons simplement quelques caractères :
Elles sont évidemment plus grosses que les bactéries et contiennent à peu près mille fois plus d’ADN. Cette importance du capital génétique traduit bien ici leur plus grande complexité, puisqu’il matérialise l’importance du plan nécessaire à son élaboration.
Parmi toutes les performances nouvelles, nous retiendrons surtout une nouvelle forme de reproduction qui va permettre une diversification beaucoup plus efficace et explorera ainsi des voies nouvelles beaucoup plus nombreuses.
Cette nouvelle trouvaille s’appelle la reproduction sexuée qui a ainsi investi le monde vivant depuis plus d’un milliard d’années et dont voici le principe : comme il y a beaucoup d’ADN puisque chaque cellule de la communauté a apporté celui qui lui était propre, ce précieux matériel réplicateur est stocké par paquets qu’on appelle des chromosomes et qui sont groupés par paires dans le noyau de la cellule eucaryote laquelle a donc n paires de chromosomes, soit 2 n chromosomes.
Tout comme la bactérie, la cellule eucaryote peut se reproduire simplement en répliquant son ADN à l’identique, ce qui reproduit un environnement chimique identique et donc deux cellules filles identiques à la cellule mère. Cela s’appelle la mitose.
Une autre façon de faire est possible et s’est trouvée particulièrement riche pour la diversification : c’est le mécanisme de la méiose qui se déroule en plusieurs étapes :
1. Une cellule mère possède deux paires de chromosomes et est dite diploïde. Les deux chromosomes d’une même paire se mettent à mélanger leurs unités d’information qu’on appelle les gènes au cours d’une division suivie d’un mélange, opération qu’on appelle crossing-over.
2. Une fois mélangées les différentes paires de chromosomes se reconstituent mais avec des chromosomes déjà différents des premiers.
3. La cellule se divise en deux avec dans chaque partie un seul chromosome de chaque paire. Elle donne donc naissance à deux cellules qui n’ont plus que n chromosomes au lieu de n paires. Elles sont dites haploïdes. Ce sont des gamètes.
4. Ces gamètes vont à leur tour se rencontrer après un nouveau brassage aléatoire pour apporter chacune son matériel génétique et former une nouvelle cellule, cette fois diploïde, mais très différente de la cellule mère puisque résultant de deux brassages successifs de l’information génétique.
Les gamètes apparaissant au cours de la méiose peuvent provenir de deux « parents » différents, alors que la mitose en implique seulement un. À la fin de la mitose, il y a deux cellules génétiquement identiques alors qu’à la fin de la méiose il y a quatre cellules qui ne sont pas génétiquement identiques. D’où la riche variété qui va résulter de cette nouvelle forme de reproduction !
Une autre fonction essentielle du vivant est la captation d’énergie. N’oublions pas que la cellule vivante est une machine qui, comme telle, a besoin d’énergie pour entretenir ses réactions métaboliques.
L’organisation sophistiquée qu’elle édifie et maintient jusqu’à sa mort correspond à une diminution draconienne de l’entropie, c’est-à-dire du désordre dans lesquels ces mêmes composants se trouveraient s’ils n’avaient été agencés par le programme transmis et perfectionné depuis des millénaires au sein de l’ADN. Cette machine suit les lois de la physique et en particulier de la thermodynamique dont le deuxième principe dit que dans un système isolé, le désordre (l’entropie) ne peut que croître.
C’est dire qu’un organisme vivant ne peut pas vivre isolément : il communique obligatoirement avec le milieu extérieur où il évacue son entropie, soit par sa membrane si c’est une cellule, soit par toutes sortes d’organes si c’est un être plus complexe. Un système efficace est de récupérer l’énergie accumulée par d’autres organismes plus vulnérables en les dégradant et en utilisant comme comburant l’oxygène qu’on trouve en abondance dans le milieu ambiant. Il faut en outre un système digestif pour dégrader les proies et un système respiratoire pour capter l’oxygène. Mais ce n’est pas le seul système possible : d’autres ont été essayés avec succès et ont perduré, par exemple la fermentation qui ne nécessite pas d’oxygène, mais dont le rendement énergétique est moins bon.
Laissons donc ces nouvelles formes de vie, les cellules eucaryotes, poursuivre l’exploration de cette nouvelle infinité de possibilités différentes. Plus les constructions sont complexes, plus les variantes sont nombreuses et la méiose vient encore élargir un champ d’exploration dont toutes les voies s’ouvrent sur une infinité de possibles.
Il fallut encore un milliard d’années pour que se produise à nouveau un phénomène aussi important que l’apparition de la première bactérie ou que l’apparition de la première cellule à noyau. Une nouvelle émergence va surgir lorsque les cellules eucaryotes vont à leur tour découvrir l’intérêt de s’associer entre elles pour former une nouvelle société de cellules, comme l’avaient fait les bactéries après deux milliards d’années de tâtonnement pour aboutir à la cellule eucaryote.
Comme précédemment, il fallait que se forment des cellules spécialisées complémentaires pour qu’au lieu d’aller vivre sa vie chacune pour soi, ces cellules vivent en communauté et collaborent pour former une autre forme de vie dont la complexité se situe à un niveau encore supérieur. Pour réussir cet exploit, il fallait des cellules très sophistiquées, eucaryotes certes, mais aussi totipotentes, c’est-à-dire avec un si large champ de potentialités qu’elles puissent chacune se développer différemment selon l’environnement qui leur serait proposé à l’intérieur du nouvel organisme ! Il fallait aussi que se développent des facteurs de cohésion, d’organisation, de synchronisation, de communication tous indispensables pour que soit viable cette forme de vie des milliards de fois plus complexe que la précédente. Ces facteurs vont devenir prépondérants car la reproduction, la survie ne se fait plus au niveau de la cellule mais de l’organisme multicellulaire tout entier. Toutes les cellules ont le même matériel génétique, mais l’organisme se reproduit globalement grâce à ses gamètes. La sélection va jouer sur l’organisme résultant de l’association de cellules, pas sur les cellules elles-mêmes. Ce sont donc ces propriétés émergentes qui vont maintenant faire la différence et qui seront l’objet de la diversité sélective. Les cellules eucaryotes sont maintenant performantes, adaptables, totipotentes pour certaines. Ce qui va compter, c’est leur organisation, leur synchronisation, la performance de leur association pour s’adapter aux situations nouvelles et pour se multiplier. Avec un niveau de complexité si élevé, les variations possibles sont inimaginables.
Avec les organismes multicellulaires qui apparaissent il y a environ 700 millions d’années, commence l’ère des animaux et des végétaux dont les variétés sont si nombreuses qu’on ne finira sans doute jamais de les recenser toutes.
Retenons cependant que cette multitude n’est que le résultat des variations d’une première cellule eucaryote qui n’a pas encore fini d’explorer toutes les voies qui lui sont possibles.
Personne ne doute que les variétés de vies sur Terre sont immenses. Mais que dire de celles, plus nombreuses encore, qui ont disparu ! Après l’explosion prolifique du Cambrien, il y a 530 millions d’années où déjà sont apparus les grands embranchements du monde animal, des cataclysmes planétaires successifs ont entraîné chaque fois des extinctions de masse et chaque fois d’autres espèces totalement nouvelles et différentes se sont développées à partir des quelques survivants.
Comme je l’ai déjà dit, plus les édifices sont complexes, plus vite surviennent des variantes parce que la recopie d’un programme complexe génère plus d’erreurs que celle d’un programme simple. Les derniers 700 millions d’années ont donc vu grandir le buisson de l’évolution dont la racine est une simple cellule eucaryote et dont les extrémités sont les espèces actuelles.
On n’en finirait pas de s’émerveiller devant l’imagination dont a fait preuve la nature. L’évolution a tout essayé, du moins tout ce qu’elle a eu le temps d’essayer dans un délai si court de 700 millions d’années. On a vu passer des êtres fantastiques allant du microscopique au gigantesque. Des moyens de survie d’une incroyable variété, pour se déplacer dans l’eau, sur l’eau, sur la terre, dans le sol, dans les airs, ou pour vivre simplement en parasite ou en symbiose avec un autre organisme ! Toutes sortes d’outils ont vu le jour : des corps ondulants, des nageoires, des pattes, des ailes, des queues, des plumes, des poils, des dents, des griffes, des doigts, des mains, des yeux, des oreilles et toutes sortes d’organes capables d’exploiter les informations du milieu extérieur qui s’avéraient chaque fois un élément déterminant pour se démarquer des concurrents.
Car la survie consistait aussi et surtout à résister à la concurrence. Cette fois encore, la course aux armements serait décisive. Alors que de multiples outils étaient venus compléter la masse brute, c’est la façon de s’en servir qui allait être déterminante : coordination des moyens d’attaque ou de défense, rapidité d’attaque et de fuite, habileté pour se cacher ou pour s’embusquer, tout cela était nécessaire pour être efficace et tous ces moyens disparates demandaient à être organisés. Il manquait un état-major à ces armées potentielles !
Ces multiples outils allaient à leur tour être les pièces constitutives d’un ensemble d’une incroyable complexité, d’où allaient émerger des propriétés nouvelles, imprévisibles et même si inimaginables qu’après en avoir constaté les effets, on doute encore que ce fût possible !
On en saisit bien la nécessité : l’efficacité d’un organisme complexe dépend avant tout de la synchronisation de ses moyens. La coordination était nécessaire et la sélection éliminait impitoyablement les réactions désordonnées inefficaces. Il fallait une réponse adaptée et coordonnée à de multiples perceptions du milieu extérieur, disséminées et parcellaire. Il fallait réaliser la synthèse des informations désordonnées qui affluaient de partout, et il fallait donc que se développe une fonction capable de réaliser cette synthèse et cette harmonie.
Pour expliquer ce qui dépasse leur entendement, beaucoup de gens invoquent l’intervention de quelque loi nouvelle, magique, fantomatique ou transcendante qui nous dispenserait enfin de chercher à comprendre.
C’est pour cette raison qu’il est important de ne pas perdre le fil qui nous a conduit jusqu’ici. Certes le fonctionnement est de plus en plus complexe et donc de moins en moins compréhensible, mais le mécanisme est le même. Le résultat est surprenant, mais il a bien été déterminé par un mécanisme simple aux possibilités infinies et qui ne s’est pas arrêté soudain ni sans raison : il continue encore, et c’est pourquoi il importe de bien le comprendre.
Nous examinerons bientôt ce point si crucial de l’évolution du vivant : l’émergence de la conscience.
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