La mécanique quantique conduit vers une révolution philosophique
Sans doute la religion sert-elle le bien des âmes, proposant un chemin vers le salut qu’elle peine à expliquer et surtout à garantir. La théologie devrait s’intéresser à la vérité du salut. La philosophie s’occupe plutôt du salut de la vérité, sous réserve qu’elle sache encore chercher la vérité. En ce cas, la philosophie tente de préserver cette vérité, en prendre soin. Pour Heidegger, Etre et vérité vont de concert, c’est pour cette raison que ce penseur s’est considéré missionné pour préserver l’Etre, le mettre en sûreté. Bien évidemment, l’Etre ne peut pas être en danger, si bien que la mission accomplie par Heidegger doit se comprendre comme la mise en sureté d’une possibilité accordée à l’homme de pouvoir accéder à la vérité de l’Etre.
Nous sommes placés dans une quadrature entremêlée avec deux doubles « jeux ». Le premier d’ordre religieux et théologique, avec le lien entre l’homme et la transcendance, ce qui interroge sur le salut réalisé individuellement ou collectivement. Cette alternative n’est pas étrangère au schisme entre les Eglises réformée et catholique. En philosophie, un schisme s’est dessiné, mettant au centre la question de la personne et du sujet, ou alors la société, la communauté, la collectivité. Ce schisme s’est décliné dans le champ politique. Le bien d’une société passe-t-il par l’individu ou la société ? Ce schisme est aussi présent dans les réflexions d’un Heidegger pour qui « la philosophie » est philosophie d’un peuple et qui ajoute qu’une fois cela énoncé, à propos des Grecs ou de Nietzsche l’Allemand, on n’a rien dit ; tout en concluant qu’un peuple qui se considère comme « étant » sombre dans l’inessence au lieu d’être « impulsé » vers la vérité de l’estre, (De l’avenance - Apport à la philosophie, §15). En philosophie comme en théologie, les aspirations les plus hautes placent le penseur face à un dilemme universel articulant le collectif et l’individu, dilemme qui, en systémique et même en physique, se décline comme conjecture entre la partie et le tout. Entrons dans le vif du questionnement après ces propos liminaires décalés.
« La partie et le tout » est le titre d’un grand livre d’Heisenberg dans lequel il réfléchit à la signification de la mécanique quantique dont il retrace la genèse tout en précisant comment elle est incompatible avec la physique classique héritée de Newton, puis en envisageant des développements supplémentaires pour inclure les conjectures sur la vie et la conscience.
La physique quantique ouvre-t-elle la voie vers une nouvelle philosophie ? Cette question est d’une difficulté particulière et ne sera pas posée comme épreuve de philo au bac. Pour l’aborder, un retour sur l’histoire de la pensée moderne s’impose. Quelles sont les découvertes scientifiques ayant influencé la philosophie au point de changer son cours ? Il en y en a peu. Sans doute une seule, la mécanique céleste de Newton qui, en plus de nourrir la question de l’induction en sciences expérimentales, a influencé pour une bonne part la philosophie de Kant ; pour qui le penseur décisif fut Hume, philosophe empiriste anglais qui le fit sortir de son sommeil dogmatique, réveillant ainsi l’auteur de la Critique qui changea le destin de la métaphysique en l’affranchissant des impasses héritées de la scolastique et de la métaphysique de Leibniz et Wolff. La lecture de l’esthétique transcendantale nous convaincra que la configuration idéaliste de l’espace et du temps par Kant est en connivence et même concordance avec la théorie de Newton qui introduisit la scène fixe tout en assignant aux objets les attributs d’espace et de temps.
Après Kant, la philosophie allemande s’est orientée vers des voies inédites. Autre fait bien connu, l’influence de la science du XIXe siècle sur l’anthropologie allemande. Le numéro 10 de la revue internationale germanique (2009) fut consacré à l’impact des découvertes scientifiques sur la pensée allemande, depuis les Lumières jusqu’aux années 1930. Y figure notamment une étude sur l’influence du darwinisme chez Nietzsche qui avait lu, ne serait-ce que quelques parties, de l’Origine des espèces. Et qui voyait dans l’évolutionnisme une preuve des puissances naturelles et vitales, tout en se méfiant d’une interprétation par trop mécaniste du darwinisme. La science n’a jamais cessé d’influencer la philosophie et cette dernière a toujours regardé ces sciences qui ont fini par lui échapper il y a quelques décennies.
1930 n’a pas été choisi arbitrairement. Cette date marque un arrêt dans le développement anthropologique de la pensée allemande et l’avènement d’une philosophie vertigineuse visant l’Etre, élaborée par Heidegger qui introduisit une césure dans l’histoire de la philosophie. Maudit par les uns, fulgurant et immense pour d’autres, inintelligible pour beaucoup, Heidegger est une figure de la pensée incontournable.
Nous n’avons pas encore pris la mesure de la bascule produite dans les années 1930 connues pour avoir été le théâtre de l’ascension du pire régime politique de tous les temps mais aussi d’immenses découvertes et plus spécialement la mécanique quantique conçue de 1924 à 1929. Je prends cette date car elle correspond à l’équation relativiste quantique de Dirac suivie du premier et déjà abouti traité de mécanique quantique. Le point de vue du plus grand penseur philosophique sur la mécanique quantique mérite une attention soutenue. Heidegger n’a jamais considéré cette physique comme suffisamment nouvelle pour apporter une radicalité épistémologique et ontologique. C’est pourtant une option qui a été envisagée par les pères fondateurs de la mécanique quantique, sans qu’une nouvelle philosophie de la nature n’ait été élaborée. Cette étrange physique ne ressemble que très peu à la physique classique des objets et des champs, même si des correspondances montrent que les « objets » quantiques peuvent à la limite être vus comme classiques.
Le physicien reste perplexe et le philosophe averti connaît la genèse des idées de Kant et sait parfaitement que la physique quantique est tellement nouvelle qu’elle ouvre un accès vers une philosophie qui pour l’instant, n’est pas encore apparue. Un siècle sépare Newton de Kant. Un siècle sépare la physique quantique des prochains développements en philosophie de la nature mais aussi en philosophie de la pensée. Un Kant ou Heidegger du XXIe siècle est tout à fait envisageable, mais ce philosophe prendra un virage radical. C’est à un authentique tournant métaphysique que nous convie la physique quantique. Ces nouveaux philosophes sauront interpréter les mondes quantiques pour dégager les essences de la nature et leurs intrications.
La physique quantique est la plus fondamentale pensait Feynman pour qui le lagrangien classique et le principe de moindre action découlent des lois de la mécanique quantique. Cette physique intervient dans d’autres champs et pas des moindre. Elle impacte la physique des processus hors-équilibre, la physique statistique. Elle explique les liaisons chimiques. Elle se combine avec la gravité pour conduire vers une conception holographique du cosmos. Les travaux récents montrent une possibilité d’expliquer la gravité à partir de l’intrication, notion clé qui du reste est aussi utilisée en physique de la matière condensée, avec la méthode des réseaux de tenseurs.
La philosophie accordée à la physique quantique sera étonnante. Elle produira une bascule. Une vérité est amenée à émerger. Ce moment a déjà commencé, avec quelques esquisses proposées par votre serviteur.
https://iste-editions.fr/products/linformation-et-la-scene-du-monde
https://iste-editions.fr/products/temps-emergences-et-communications
traduction anglaise
http://www.iste.co.uk/book.php?id=1199
http://www.iste.co.uk/book.php?id=1332
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