La notion de planète au fil de l’histoire
Qu’est-ce qu’une planète ? Nous allons voir que la définition a évolué au cours du temps suite à l’intégration de nouveaux corps dans le Cosmos incorruptible des anciens. Il y a maintenant deux ans que Pluton a été déclassée au rang de planète naine, mais il ne faudrait pas croire que l’événement de 2006 est si exceptionnel qu’on ne le pense. Avant Pluton, d’autres astres ont temporairement acquis le statut de planète avant de le perdre. La notion de planète, un excellent prétexte pour un rapide survol de l’histoire de l’astronomie en 4 parties…
De l’Antiquité aux comètes de Tycho Brahé : l’observation à l’œil nu d’un Cosmos immuable
Etymologiquement, « planète » vient du grec planêtês (errant). A l’origine, la première qualification se fait en effet par le mouvement apparent : toutes les étoiles semblent survoler la Terre ou tourner autour d’elle en une journée (des étoiles se lèvent et se couchent, tandis que d’autres semblent parcourir des cercles autour de l’étoile polaire, d’où son nom). Mais un autre mouvement apparent et plus lent est celui qui semble se produire sur 4 saisons, ce qui définira « l’année ». Certaines étoiles proches de l’horizon, en effet, ne sont visibles qu’une partie de l’année, constatation qui n’avait d’ailleurs rien d’évident au départ. De plus, parmi ces étoiles, 5 d’entre elles (qui deviendront Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) ont des mouvements particuliers et irréguliers : elles semblent avoir un déplacement propre parmi les autres étoiles. Ces dernières seront appelées étoiles « fixes » parce qu’elles ne s’éloignent jamais les unes des autres. Enfin... en apparence puisque l’on sait aujourd’hui que sur quelques dizaines de milliers d’années le déplacement de notre Soleil et de ces étoiles dans notre Galaxie fait que les constellations se déforment avec le temps. Les autres seront les « planètes » qui « errent » au sein des fixes dans une partie du ciel (que l’on nommera bien plus tard « Zodiaque »), un peu comme le berger erre au milieu de son troupeau. En Mésopotamie, en effet, la voûte céleste n’est pas perçue en 3 dimensions : les planètes voyagent littéralement au sein des étoiles. Mieux, avant que les régularités de leurs mouvements ne soient comprises (vers le milieu du Ier millénaire avant J.-C. seulement : un progrès finalement très récent), on pense que leur mouvement est chaotique et qu’il a comme fonction de transmettre les messages des dieux (divination astrale). Sans observations journalières rigoureusement répertoriées sur de longues périodes en effet, les cycles astronomiques n’ont rien d’évident. Pour dire, les premières observations quotidiennes (donc systématiques) connues eurent lieu vers le XIIe siècle avant J.-C. en Mésopotamie, et les suivantes vers le VIIIe siècle av. J.-C. seulement, ce qui entraînera les premiers soubresauts spectaculaires de l’astronomie.
Etre capable de prévoir le retour des planètes, ce sera la preuve que tous les phénomènes astronomiques ne sont pas dépendants de la volonté des dieux, même si ce sera aussi en quelque sorte, l’acte de naissance de l’astrologie. La première définition des planètes est donc visuelle et relative au mouvement car elles ne sont pas toujours les plus brillantes : les planètes sont des étoiles qui ne sont pas fixes, d’où leur étymologie. D’ailleurs Mercure et Vénus, toujours « proches » du Soleil sur la voûte céleste, posent problème pour les tout premiers observateurs du ciel. Selon que Vénus se lève avant le Soleil ou qu’elle se couche après lui, on la prend même pour deux astres différents : la déesse de la mort ou de celle de l’amour.
C’est en Grèce que le Cosmos va acquérir la 3e dimension : les planètes, les étoiles et les luminaires se verront chacun attribuer une trajectoire circulaire s’accomplissant à des distances différentes d’un centre commun (puis une trajectoire composée de mouvements circulaires qui rend compte de leurs variations de luminosité).
Jusqu’au XVIIe siècle, l’astronomie d’observation se fait à l’œil nu, et les astres doués de mouvement propres sont les mêmes depuis la nuit des temps. Dans l’ordre la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter puis Saturne, mais surtout pas
Toutefois, la complexité des systèmes astronomiques grecs transmis et améliorés par les Arabes, poussent le chanoine astronome polonais Copernic à proposer un nouveau modèle (publié en 1543), plus simple donc plus à l’image selon lui, de la perfection divine. L’héliocentrisme renaît : le Soleil (et non la Terre) serait au centre du Cosmos, comme l’avait défendu en vain le Grec Aristarque près de 3 siècles av. J.-C. Source de vie par sa lumière et astre suprême parmi les astres, il ne peut être qu’au centre de la création. La Terre, lieu de la corruption, ne peut en être le centre. De plus, dans son système, les rétrogradations des planètes ne sont plus à expliquer comme des allers et retours effectifs des planètes sur leurs trajectoires propres, mais comme des illusions d’optique. Dans le plus pur état d’esprit grec, les phénomènes obéissent à un ordre caché et simple dont ils ne témoignent pas toujours directement. Les planètes ont ainsi un mouvement circulaire direct autour du Soleil, et c’est le mouvement propre de la Terre qui cause l’illusion d’optique des rétrogradations. Tout comme sur un bateau, nul ne peut dire s’il s’éloigne de la rive ou si c’est la rive qui s’éloigne de lui. Jusque-là, en effet, on ne pouvait que constater que toutes les planètes visibles ralentissent, semblent s’arrêter, puis reculer, s’arrêter de nouveau et repartir enfin. De façon jusque-là inexplicable, cela se fait toujours lorsque sur leurs parcours le Soleil et la planète se trouvent de part et d’autre de la Terre (« en opposition »). Les systèmes astronomiques en rendaient compte jusque-là de façon purement arbitraire, sans en proposer la moindre explication, alors qu’avec Copernic la chose devient naturelle. La Terre, en mouvement elle aussi autour du Soleil, est plus rapide que les planètes plus lointaines, elle les rattrape et les dépasse donc dans sa course une fois par an, lorsqu’elle est entre elles et le Soleil. De la même façon, on n’expliquait pas pourquoi Mercure et Vénus ne s’éloignent jamais du Soleil de plus de 30° pour la 1re et 45° pour la 2de, alors qu’avec le système copernicien, étant plus proches du Soleil que la Terre, elles sont « enfermées » dans l’orbe terrestre.
Mais ce modèle souffre de nombreuses lacunes dont la principale est que Copernic ne peut justifier physiquement ses idées. Le mouvement des planètes ne peut plus être causé par le Premier Moteur (les espaces entre les orbes du Cosmos copernicien sont devenus trop importants pour qu’ils s’entraînent les uns les autres). A cause du mouvement de la Terre d’ailleurs, la sphère des étoiles fixes doit maintenant se trouver très loin dans le Cosmos pour que l’on n’observe pas de parallaxe. Pire, on ne voit pas comment tout ce qui se trouve à la surface de la Terre n’est pas éjecté par la gigantesque force centrifuge générée par la rotation journalière de la Terre sur elle-même. Ce qui mène à de nombreux paradoxes indépassables alors, comme celui alimenté par l’astronome Tycho Brahé qui demande : si la Terre tourne sur elle-même d’ouest en est, pourquoi un boulet de canon tiré vers l’est retombe-t-il à la même distance que le même boulet tiré vers l’ouest ? Selon qu’il va dans la même direction que le mouvement de la Terre ou le contraire, cela ne devrait pas être le cas… terrible bon sens. Enfin, convaincu de la sphéricité des orbes planétaires, Copernic ne peut pas attribuer des trajectoires elliptiques aux planètes. Il doit donc compliquer son système pour rendre compte des mouvements apparents encore capricieux des planètes, notamment en latitude. Son audience sera faible, mais son système sera tout de même utilisé pour rénover les tables astronomiques de la 2e moitié du XVIe siècle.
Et dans la 2e moitié du XVIe siècle justement, l’observation attentive des mouvements apparents des comètes, par des astronomes comme Tycho Brahé et Maestlin (astronome copernicien et futur enseignant de Kepler), amène à considérer qu’elles sont bien plus éloignées de la Terre qu’on ne le pensait. Le système solaire s’enrichit donc de nouveaux corps matériels qui se déplaceraient parmi les planètes, non au voisinage de la sphère de la Lune. Les comètes perdent donc leur statut météorologique. Mais si tel est le cas, alors elles traversent peut-être les orbes sphériques des planètes, remettant en cause la pertinence de leur existence physique (point de départ des travaux képlériens). Ou alors peut-être ont-elles elles aussi leurs propres orbes sphériques situés entre les planètes ? En apparence les comètes ont une durée de vie très réduite (le temps de leur observation, alors qu’en fait elles proviennent et repartent vers les confins du système solaire) : peut-être leurs orbes disparaissent-ils avec elles ? Ce sont des questions que l’on pose alors. Avec le génie pratique de Tycho Brahé, l’observation à l’œil nu atteint ses limites : les résultats de ses observations systématiques sur de nombreuses années seront une source de données inestimable pour Kepler. Sans eux, aurait-il pu reconstituer la trajectoire elliptique de mars ? Lui-même pensait que non.
Serge BRET-MOREL
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