La notion de planète au fil de l’Histoire (2e partie)
Qu’est-ce qu’une planète ? Nous avons vu dans la première partie de ce dossier que, pendant plusieurs milliers d’années, l’inventaire des corps du système solaire n’a pas varié, jusqu’à la question des comètes observées précisément par Tycho Brahé et quelques astronomes du XVIe siècle. Au début du siècle suivant, les idées traditionnelles vont être profondément bouleversées.
Qu’est-ce qu’une planète ? Nous avons vu dans la première partie de ce dossier que pendant plusieurs milliers d’années l’inventaire des corps du système solaire n’a pas varié jusqu’à la fin du XVIe siècle. Les observations se faisaient en effet à l’œil nu à l’aide d’instruments divers, mais qui ne permettaient pas de grossir l’image des astres. Nous allons voir maintenant qu’à partir du XVIIe siècle les idées traditionnelles vont être profondément bouleversées, développement de la physique aidant, au point que la définition de planète va se préciser suite à l’intégration de nouveaux corps dans le Cosmos incorruptible des Anciens. Il y a maintenant deux ans que Pluton a été déclassée au rang de planète naine, mais auparavant d’autres astres ont temporairement acquis le statut de planète avant de le perdre.
Sommaire de cette deuxième partie
Les temps modernes : Galilée, Kepler, la lunette et l’intrusion des satellites
Physique théorique (avec Newton la Terre devient définitivement planète)…
… Et améliorations techniques : des astres invisibles en grand nombre !
Les temps modernes : Galilée, Kepler, la lunette, et l’intrusion des satellites
Mais avec Galilée la lunette (inventée un an plus tôt par un hollandais1) devient en 1609 le premier instrument d’observation astronomique qui grossit les astres ! Il faudra d’ailleurs attendre deux ans pour que le Vatican officialise la pertinence de cet instrument qui, peut-être, trompe l’observateur par une magie naturelle... Galilée observa qu’étoiles fixes et planètes ne se distinguent pas seulement par leurs mouvements apparents, mais aussi par leurs apparences dans la lunette. En effet, les planètes apparaissent comme des disques, elles renvoient en effet la lumière du Soleil et sont bien plus proches de nous que les étoiles fixes, lesquelles restent des points sans dimension dans la lunette. Or certaines étoiles brillent plus que des planètes, on s’attendrait donc à les voir grossies plus encore à travers la lunette. Mais Galilée se rend compte que l’effet contraire se produit : la lunette réduit la dimension apparente des étoiles, qu’elles soient brillantes ou non ! Paradoxe qui n’échappa pas aux contradicteurs de Galilée. De plus, lorsque l’on observe les étoiles à l’œil nu, elles semblent présenter un environnement variable, comme une chevelure lumineuse, qui disparaît dans la lunette. Cette bizarrerie fut rapidement élucidée par Kepler, lequel avait développé dès 1604 les outils conceptuels rendant possible la théorie de la future lunette (ce qu’il ne fit et publia vraiment que quelques mois après les annonces de Galilée). Il lui proposa d’ailleurs ironiquement de prendre connaissance de son traité d’optique afin de comprendre pourquoi on peut attribuer cette « chevelure des fixes » à la fois aux turbulences de l’atmosphère et aux propriétés de l’œil ; et sa disparition à la lunette. Cette dernière nettoie en quelques sortes l’image de l’étoile.
Galilée annonce ses premières découvertes à la lunette en mars 1610 dans son Messager Céleste2 en qualifiant les compagnons de Jupiter de petites planètes médicéennes, ce qui fait douter de son intérêt réel pour l’astronomie avant cette période. Mais l’ajout de quatre nouvelles planètes pose au moins deux problèmes au très copernicien Kepler. Tout d’abord elles remettent en cause son système des cinq solides platoniciens qu’il a élaboré quelques années plus tôt (1595-1596) pour défendre Copernic qui n’admet que six planètes et suppose un ordre cosmique préétabli, donc définitif. Et puis, l’ajout de nouvelles planètes va-t-il montrer la caducité de l’astrologie traditionnelle dont Kepler est passionné ? Effrayé, il remarque vite que les compagnons de Jupiter ne s’écartent pas plus d’un tiers de degré de leur planète, grandeur non intégrable du point de vue astrologique : on ne peut donc pas les distinguer de leur planète mère. Il crée alors le néologisme « satellite » (garde du corps en latin) pour désigner non pas « de petites planètes médicéennes », mais les lunes de Jupiter.
Si jusque-là un accord tacite faisait d’astres comme les planètes, le Soleil, la Lune et les étoiles fixes, des corps différents, l’observation à la lunette permet d’officialiser cette impression commune. La lunette révélera des détails de la surface du Soleil et de la Lune (taches solaires, montagnes lunaires) ; les planètes dévoileront leur forme sphérique par un disque apparent présentant des phases comme la Lune ; seules les étoiles resteront des points (sans dimension apparente). Avec la lunette, les satellites (joviens) intègrent donc les corps du Cosmos en confirmant l’avènement d’une catégorie à part entière : celle de lune. Jusque-là en effet, notre Lune ne se distinguait des planètes que par sa proximité à la Terre dans le système géocentrique, c’est donc un véritable événement pour l’astronomie. Les quatre satellites principaux de Jupiter seront d’ailleurs rejoints par Titan, le plus gros satellite de Saturne, en 1655 (découvert par Huygens). Mais tant que l’on ne démontre pas que la Terre n’est pas le centre du Cosmos, la Lune n’est pas officiellement un satellite. En effet, la théorie d’Aristote des lieux naturels est encore très présente, et l’on ne comprenait pas pourquoi il y aurait deux centres dans le cosmos copernicien : la Terre pour la Lune et le Soleil pour l’ensemble des corps du Cosmos. Avec les satellites de Jupiter puis de Saturne, la Terre n’est plus une exception, l’argument change de camp : c’est la théorie des lieux naturels qui au contraire, se voit bousculée.
Mais, parallèlement aux combats de Galilée (ils sont contemporains), Kepler modifie lourdement le système copernicien en plaçant d’abord « le Soleil vrai » au centre des orbes planétaires. Copernic le plaçait en effet juste à côté, le Cosmos (Soleil compris) tournant autour du centre théorique de l’orbite terrestre toujours circulaire. Puis Kepler défendra l’idée que les autres planètes gravitent autour du Soleil sur des ellipses et non sur des cercles : le Soleil prend place à l’un des foyers desdites ellipses. Toutefois, et contrairement à Copernic, ses avancées sont accompagnées d’une théorie physique où des forces motrices issues du Soleil poussent littéralement les planètes sur leurs parcours. De plus, la Lune « attirerait » la Terre autant que la Terre « attirerait » la Lune, d’où les marées en rapport avec la position locale de la Lune3. Ses idées seront rejetées par nombre d’astronomes, dont Galilée lui-même qui ira jusqu’à qualifier cette force d’attraction entre la Terre et la Lune d’enfantillage4. Selon lui, en effet, les planètes ont acquis leurs vitesses respectives après une chute libre originelle interrompue par Dieu lui-même, non parce qu’une force issue du Soleil diminuerait en intensité avec la distance... On ne peut mesurer la difficulté des problématiques qu’ont dû dépasser les astronomes au fil de l’histoire de l’astronomie, si l’on commet l’erreur de leur attribuer nos catégories de pensée contemporaines. Le principe d’inertie, par exemple, est inconnu de Kepler qui doit faire sans pour rendre compte du mouvement des planètes. S’il n’en est pas toujours très loin, il ne réussit pas à le formuler et doit donc attribuer au mouvement des planètes une cause extérieure et permanente alors que l’on comprendra quelques années seulement après sa mort que ce n’est pas vraiment le mouvement en lui-même qui a besoin de cause, mais seulement ses variations. Vingt ans après la publication de l’Astronomia Nova cependant, les tables astronomiques calculées par Kepler montreront la supériorité des ellipses sur les cercles, sinon de sa physique. Il sera le premier en effet, à pouvoir prévoir les variations de latitude des planètes de part et d’autre de l’écliptique, ce qui s’applique par exemple aux passages de Mercure et Vénus devant le Soleil. Cela obligera à se pencher avec plus d’attention sur l’idée d’une physique des astres dans un système copernicien où les planètes parcourent des ellipses, conception absurde jusque dans la 1re moitié du XVIIe siècle et défendue par le seul Kepler.
Physique théorique (avec Newton la Terre devient définitivement planète)…
Mais avec Newton le nombre de planètes change officiellement en 1687. La loi de gravitation qu’il conçoit, permet de démontrer mathématiquement pourquoi et comment la Terre tourne autour du Soleil sur une ellipse au même titre que les autres planètes. La Lune devient définitivement satellite de la Terre. Le Soleil quant à lui, prend définitivement place au sein du système planétaire comme l’avaient affirmé avant lui des Copernic, Kepler, ou Galilée sans jamais pouvoir le démontrer. Si le concept d’attraction universelle a du mal à passer en France dans les milieux cartésiens par exemple, l’argument mathématique pèse lourd dans la balance. Les tables keplériennes (1627) intégrant les ellipses planétaires à un système héliocentrique, avaient déjà montré leur supériorité sur les tables géocentriques ; les lois de Newton permettent une précision telle, que la physique terrestre et la physique des cieux ne feront désormais plus qu’une. La Lune « tombe » en permanence sur la Terre comme les planètes « tombent » sur le Soleil, mais de suffisamment loin pour que leur mouvement propre (et sans cause permanente) ne soit pas négligeable. Dans les milieux astronomiques au moins, le débat est profondément modifié…
… Et améliorations techniques : des astres invisibles en grand nombre !
Avec le développement des lunettes, puis des télescopes, les astronomes voient des objets de moins en moins lumineux, donc de plus en plus lointains dans le système solaire. En 1781 William Herschel découvre ainsi Uranus (puis deux de ses satellites) et lancera la mode des télescopes géants (plus de dix mètres !). Il crut au début qu’il s’agissait d’une comète, mais elle se trouvait plusieurs fois au-delà de la plus lointaine distance atteinte par les comètes découvertes jusque-là. De plus, elle présentait un mouvement apparent, contrairement aux étoiles fixes, et on ne confirma pas de queue comme les comètes. Pour la première fois, une planète invisible à l’œil nu fait son apparition dans le cortège des astres errants ! Signalons qu’Uranus est le père de Saturne dans la mythologie… et que Herschel proposait de la nommer planète de Georges en l’honneur de son roi.
A peine vingt ans plus tard, dans la nuit du jour de l’an 1800-1801, Piazzi découvre Cérès entre Mars et Jupiter, le plus gros astéroïde du système solaire jusqu’en 2006. La loi de Bode prévoyait qu’une planète devait se trouver à cette distance du Soleil. Cérès est qualifié à son tour de petite planète. Dès 1802, 1804 et 1807 on découvre même trois autres petites planètes voisines de Cérès (Pallas, Vesta et Junon). Pendant une cinquantaine d’années, des ouvrages astronomiques ajoutent ainsi quatre planètes au système solaire. Mais, petit à petit, le nombre de corps découverts dans cette région du système solaire devient si important qu’on abandonne l’idée de petites planètes pour (déjà) celle de planètes naines. Plus tard, on sidérera que ce sont des astéroïdes qui composent cette ceinture entre Mars et Jupiter.
A la lumière de ces événements, les discussions du début du XXIe siècle sur le statut de Pluton paraissent donc moins nouvelles (Pluton est l’un des milliards de corps de ce que l’on appelle la ceinture de Kuiper5). Elles s’en distinguent toutefois par les grandeurs en jeu. En effet, la ceinture principale d’astéroïdes est finalement très localisée dans le système solaire (entre 2,5 et 3 unités astronomiques6 seulement du Soleil) alors que les corps de type Pluton (les planètes naines) se répartissent sur des régions absolument immenses : entre 35 et 50 ua du Soleil, soit des distances une fois et demie plus importantes que le vieux Cosmos allant du Soleil à Saturne ! Ainsi, si la ceinture d’astéroïdes a pu être conçue comme l’orbite d’une planète avortée (sorte de réification permettant de ramener à une seule entité les milliers de corps qui posaient problème), la ceinture de Kuiper est si large que l’on ne peut régler la question de la même manière.
Mais l’Histoire s’accélère puisqu’en 1846 (à peine une vie d’homme après la découverte d’Uranus !), Galle observe Neptune grâce aux calculs théoriques du Français Le Verrier. En effet, si Uranus avait été découverte au télescope, des écarts à la trajectoire prévue pour Neptune avaient amené quelques astronomes à supposer l’existence d’un corps de masse importante capable, par gravitation, de la dévier de son parcours. C’est maintenant la physique qui vient de permettre de localiser Neptune loin des contingences7 de l’observation. Les lois de Newton montrent toute leur puissance. Le nombre de planètes du système solaire est alors de 13 (Astrée vient d’être découverte l’année précédente dans ce qui deviendra la ceinture d’astéroïdes). Vers 1853 apparaissent les expressions « planète naine » et « planète mineure ». Vers la fin du XIXe siècle, près de 500 « planètes naines » sont dénombrées entre Mars et Jupiter.
A suivre la 3e partie de ce dossier : Les XXe et XXIe siècles.
Serge BRET-MOREL
1 Pour plus d’informations sur les origines de la lunette et le contexte historique de la publication du Messager céleste de Galilée, on pourra consulter le très érudit livre d’Isabelle Pantin Le Messager céleste (1992) aux Belles Lettres.
2 C’est dans ce petit opuscule de quelques dizaines de pages appelé à faire scandale, que Galilée va annoncer à l’Europe ses découvertes astronomiques par l’intermédiaire de la lunette. Se prononcer officiellement en faveur de Copernic par la même occasion, et acquérir le statut que nous lui reconnaissons encore. Traduction Isabelle Pantin, les Belles Lettres, 1992.
3 Kepler énonce cela dans l’Introduction de son grand livre l’Astronomia Nova publié en 1609.
4 Mais de tous les grands hommes qui ont philosophé sur cet effet si étonnant de la nature, c’est Kepler qui m’étonne le plus : cet esprit libre et pénétrant avait à sa disposition les mouvements attribués à la Terre, il a pourtant prêté l’oreille et donné son assentiment à un empire de la Lune sur l’eau, des propriétés occultes et autres enfantillages du même genre (Fréreux - De Gandt in Dialogue sur les deux grands systèmes du monde p. 442, Seuil, 1992 ; Edition nazionale, 4e journée, p. 486).
5 La ceinture de Kuiper est la région dans laquelle on trouve les objets plutoniens, elle se situe au-delà de Neptune.
6 1 unité astronomique (ua) = la distance moyenne Terre – Soleil. C’est l’unité courante de mesure des distances au Soleil dans le système solaire.
7 Les notes de Galilée montrent qu’il l’a « observée » dès le 28 décembre 1612 et le 28 janvier 1613 en la rangeant parmi les étoiles… bien qu’il ait constaté un déplacement apparent ! Problème de l’absence de disque avec une lunette de trop faible grossissement ? Lalande et Herschel l’auraient aussi observée sans le savoir.
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