Le protocole de Londres : tentative de vulgarisation
Le texte vient d’être adopté par l’Assemblée nationale... mais reste apparemment obscur pour la majorité des commentateurs et même malheureusement pour une majorité de nos chers députés. Je tente donc ici de rendre compréhensible ce fameux protocole et ses implications.
Tout d’abord le contexte.
Le protocole de Londres concerne les brevets européens, c’est-à-dire délivrés par l’Office européen des Brevets (OEB) situé à Munich et à La Haye.
Un brevet peut être considéré comme une sorte de marché passé entre le demandeur, futur titulaire, et la société. En échange de la divulgation de son invention 18 mois après le dépôt de la demande, c’est-à-dire des informations nécessaires et suffisantes pour pouvoir reproduire l’invention, le demandeur obtient un monopole sur l’exploitation de cette invention.
La structure d’un brevet découle directement de ce marché. Un brevet comporte une première partie descriptive appelée description où le demandeur explique comment mettre en œuvre son invention et une seconde partie revendicative qui comprend une suite de paragraphes numérotés appelés revendications où le demandeur précise le monopole qu’il réclame.
Seules le revendications créent des droits. Les tribunaux jugeront du caractère contrefaisant ou non d’un dispositif en interprétant ces revendications.
Néanmoins un équilibre doit être respecté. Le demandeur ne peut revendiquer que ce qu’il a décrit dans la description et l’OEB est particulièrement impitoyable en ce qui concerne cette condition. Par ailleurs les revendications, très succinctes et souvent obscures, sont interprétées à la lumière de la description. Pour trancher en ce qui concerne le sens des termes employés et leur portée plus ou moins générale, on se réfère à la description.
On constate donc que si un brevet comporte bien deux parties distinctes, il y a des liens très forts entre ces deux parties. Lorsque l’on étudie un brevet, il est inévitable de faire des allers et retours entre ces deux parties.
En effet dans la description le rédacteur cherche plutôt à être précis afin d’éviter qu’on puisse lui reprocher d’avoir omis des informations importantes pour la mise en œuvre de l’invention. L’insuffisance de la description peut en effet entraîner la nullité du brevet. Par contre, lorsqu’il rédige les revendications, le demandeur va chercher à être très général afin de donner aux revendications un sens large et augmenter ainsi l’importance de son monopole.
Il n’y a généralement pas un mot de trop dans les revendications et les expressions trop précises sont bannies ce qui génère une prose absconse, mise en place par un professionnel, et souvent difficile à comprendre même pour le personnel du bureau d’études qui pourtant connaît l’invention sur le bout des doigts.
Les revendications suffisent donc rarement pour évaluer la porté d’un brevet. Elles ne prennent tout leur sens qu’à la lumière de la description.
Actuellement l’OEB comporte trois langues officielles qui sont l’anglais, le français et l’allemand. Toutes les demandes de brevets doivent être déposées dans l’une de ces trois langues. Un espagnol doit donc choisir l’une de ces trois langues pour effectuer son dépôt et gérer la procédure.
Par ailleurs chaque demandeur, lorsqu’il obtient l’accord de l’OEB sur un jeu de revendications, doit traduire les revendications dans les deux autres langues officielles qui n’ont pas étés utilisées pour la demande. Depuis 1973, il est donc possible de lire les revendications de chaque brevet européen en français.
Néanmoins, auparavant, pour qu’un brevet puisse être utilisé dans un pays, c’est-à-dire crée des droits, il fallait fournir une traduction de l’ensemble du brevet délivré dans une langue officielle du pays choisi.
Donc un brevet rédigé en allemand n’avait aucun effet en France même si les revendications étaient déjà traduites en français. Pour obtenir des droits, le titulaire était obligé de fournir également une traduction de la description. Si le titulaire du brevet souhaitait obtenir des droits dans de nombreux pays, il était donc contraint de fournir un nombre important de traductions de son brevet.
Le protocole de Londres permet d’éviter d’avoir à traduire le brevet pour les pays signataires. Un brevet rédigé en anglais ou en allemand créera donc des droits sur le territoire français sans qu’il soit nécessaire de fournir une traduction de la description. Les revendications restent disponibles en français puisque le français reste langue officielle de l’OEB.
Mais il est inexact de dire que le protocole de Londres permet d’obtenir une traduction des revendications en français puisque c’était déjà le cas avant.
Maintenant je vais me permettre quelques commentaires au sujet de ce qui a été dit.
Je ne vois pas en quoi le protocole de Londres renforcerait la langue française. Il faut savoir que les déposants français seront toujours obligés de traduire leur demande en anglais pour obtenir un brevet aux États-Unis. Or la majorité des déposants français qui investissent dans un brevet européen cherchent également à obtenir un brevet aux États-Unis. Lorsque certains affirment que le protocole de Londres va obliger les sociétés étrangères à lire en français les brevets européens déposés par des Français... je me dis que l’imagination n’a pas limites.
Par ailleurs de nombreux pays nordiques n’ont ratifié le protocole de Londres qu’avec des réserves et ils exigeront une traduction en anglais. Sachant que l’Italie et l’Espagne ont refusé de signer le protocole... on constate que seuls les Allemands auront à lire éventuellement des brevets européens en français, parmi les grands pays européens.
Le gag, si l’on peut dire, c’est que si les Français ont obtenu 4 498 brevets européens en 2006, les Allemands en ont obtenu 14 274 soit quatre fois plus (source ici)... Avec le protocole de Londres nous aurons donc quatre fois plus de chances d’avoir à lire un brevet allemand qu’un Allemand de lire un brevet en français.
On en arrive au cœur du problème : le protocole de Londres va-t-il aider nos entreprises à déposer plus ?
Certes les traductions ont un coût. Mais il s’agit de dépenses engagées le plus souvent près de trois ans après le dépôt de la demande. Et surtout, le demandeur a déjà l’accord de l’OEB et il est donc certain d’obtenir des droits dans un pays X s’il engage des frais pour traduire le brevet dans la langue X.
Si une société a des opportunités dans un pays, un marché pour son produit, que représente le montant des frais de traduction ? Même les estimations les plus élevées de ces fameux frais ne dépassent pas deux semaines de salaire pour un ingénieur de bureau d’études.
Il me semble pertinent de distinguer d’une part les frais d’obtention du brevet qui peuvent effectivement décourager une entreprise de déposer un brevet compte tenu de l’incertitude liée à la procédure devant l’OEB et au marché potentiel, et d’autre part les frais de traduction qui sont engagés lorsque la procédure devant l’OEB a été une réussite et que plusieurs années se sont écoulées depuis le dépôt de la demande pendant lesquelles l’entreprise a pu mieux cerner son marché.
Une PME est en mesure d’obtenir un brevet européen avec effet en France, en Angleterre, en Irlande, en Belgique, en Suisse, au Luxembourg, en Allemagne et en Autriche en traduisant son brevet uniquement en anglais et en allemand sachant que la traduction anglaise est de toute façon nécessaire pour les États Unis. Pourtant les entreprises françaises et pas seulement les PME déposent très peu. Ce n’est donc pas une question de coût de traduction.
Je vous invite à jeter un œil ici. Vous allez chercher un moment la première entreprise française. Allez, je vous aide un peu, il s’agit de Thomson en 17e position. Devant, vous avez quatre sociétés allemandes (dont Siemens qui dépose quatre fois plus que Thomson), cinq sociétés japonaises, deux coréennes et trois américaines plus Philips et Nokia.
Le problème est là. Pour déposer des brevets, il faut investir dans l’innovation or en France le secteur public comme le privé n’ont pas le niveau d’investissements de ce qui se fait dans d’autres pays.
Je vois que je m’éloigne du protocole de Londres donc le moment est venu de vous libérer de la lecture de ce pensum.
J’espère avoir été utile même si nos députés ont déjà pris leur décision....
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