Les Bogdanov, génies de la physique ou sacrés farceurs ?
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Les revoilà, les deux vulgarisateurs de la science pour grand public omniprésents sur des plateaux cons plaisants pour présenter un scoop universel. Il n’a pas de hasard. Non, juste un hasard programmé. Putain ! Le sourcilleux sémanticien aura de suite détecté un splendide oxymore alors que le philosophe averti aura vite décelé des arguments lancés un peu vite d’autant plus que cette question du hasard n’a pas été solutionnée par les plus redoutables des philosophes de la science, ni les physiciens et autres mathématiciens naviguant entre médaille Field et prix Nobel (allusion à la controverse Prigogine Thom). Ce qui est programmé, c’est certainement la venue des deux messies de l’univers médiatique pour faire la promo de leur bouquin dont les ventes sont assurées d’autant plus que les deux jumeaux ne cessent d’être impliqués dans une polémique en haut lieu scientifique à propos de leurs doctorats reçus dans des conditions décrite comme suspectes par des professeurs sourcilleux pour les uns, grincheux pour les autres. Je ne me hasarderai pas à intervenir dans cette polémique, étant donné qu’un doctorat est un doctorat, excellent s’il est assorti des félicitations, ou très modeste s’il n’a que la mention honorable. Et puis, un doctorat, c’est quoi ? Chaque année, les établissements intronisent des centaines voire des milliers de docteurs en physique ou en mathématique, cela n’en fait pas pour autant des génies.
Alors, géniaux les Bogdanov ? On peut en douter, même si ces deux vulgarisateurs sont très doués, très intelligents, pratiquant un verbe plaisant, excellents acteurs médiatiques ce qui en fait également de très bons mondains pour les agapes se déroulant entre gens dotés d’un quotient culturel élevé. On pressent du sang aristocratique à la Russe chez ces deux là.
Et ce livre sur le hasard, un événement épistémologique, des idées inédites ? Eh bien je ne crois pas. Pour en avoir le cœur net, je suis allé dans une grande surface culturelle. Je n’ai pas acheté le livre, trop cher. J’ai juste pris un exemplaire pour le consulter après m’être assis sur un pouf. L’expérience a été rapide. Même pas 5 minutes et l’affaire était classée. Ce n’est pas compliqué. J’ai lu au début l’entame bien jouée avec le boson de Higgs qui semble être une denrée précieuse pour qui veut jouer le type qui est dans le coup, pas démodé pour un sou. Sauf que le raisonnement sur ce boson dont la masse expliquerait que le photon soit sans masse, que toutes les constantes soient réglées pour que l’univers existe et l’homme avec, eh bien ça manque de rigueur, c’est inexact de plus et ce n’est qu’une resucée du principe anthropique exposé avec plus de sérieux par un Carter ou un Trin Xuan Thuan. Autant préférer l’original à la copie.
Après cette fausse note, la suite n’est guère plus avenante. Mais sans doute intéressante pour un lecteur doté d’un minimum de bagage physique et qui aura plaisir à lire ces histoires romancées où apparaissent tour à tour quelques génies de la physique. L’incontournable Einstein et son « dieu ne joue pas aux dés » qui lui vaut un premier rôle dans ce polar scientifique bien écrit. Et puis, quelques figures aux vies pas très conventionnelles, au quotidien comme dans le champ scientifique avec ces génies que furent Turing, entré dans la légende pour avoir craqué les codes secrets utilisés par les nazis ou von Neumann dont les travaux théoriques sont plus que remarquables et qui participa à l’élaboration du feu nucléaire ce qui lui valu d’être très surveillé sur son lit de mort par les services secrets américains. L’ouvrage est composé ces histoires romancées de personnages hauts en couleur, de grandes découvertes assorties d’interprétations improvisées sur le hasard dans l’univers. Ces histoires de savants racontées par les Bogdanov sont pittoresques (comme le fut cette revue publiée sous la Monarchie de Juillet, le magasin pittoresque, destiné à donner de l’instruction à la bourgeoisie tout en la divertissant. La Revue des deux mondes étant réservée à une élite culturelle) Mais l’on se demande s’il n’y a pas malversation et usurpation. Parce que les découvertes servent de levier ontologique aux frères Bogdanov sont toutes datées, déjà anciennes et que de plus ces tonnes d’études épistémologiques conduites par des chercheurs de renom n’ont pas permis d’aboutir à une philosophie de la nature exacte mais on pu poser quelques questions en livrant des interprétations dignes de considération. Et que la philosophie de la nature physique va apparaître avec des investigations et des résultats postérieurs pour la plupart aux années 1980.
Une lecture attentive du livre verrait apparaître les « dérapages scientifiques », notamment l’utilisation de la controverse sur la mécanique quantique lors du congrès Solvay de 1927. Il n’était pas question de décider de la programmation de l’univers mais de fixer l’interprétation de la mécanique quantique. Qui du reste n’est pas même relativiste et donc, ce congrès n’a rien à voir avec la cosmologie. Quant aux arguments tirés des observations du fond de l’univers, ils n’indiquent rien sur le hasard. C’est comme si on comprenait l’évolution en étudiant le pelage des animaux ou alors en analysant leurs déjections. Bref, j’ai la conviction que ce livre est une sorte de polar scientifique assez agréable à lire et surtout une belle farce jouée par deux jumeaux qui s’amusent à mélanger des théories physiques de manière arbitraire, sans précaution épistémologique ou réflexion ontologique, pour raconter des anecdotes et des histoires à des gens de l’ère individualiste qui sont en fait des grands enfants. En plus, rien ne prouve le big bang. La question n’a pas été tranchée. Sinon, il reste l’idée de l’information comme donné fondamental de l’univers. Une idée qui devrait ces prochaines décennies être exploitée par quelques génies de la physique contemporaine et qui dépasse certainement les compétences de nos deux jumeaux surdoués, surtout pour passer à la télé.
Pour finir, un jugement sur cette histoire d’information préexistant à l’univers. C’est une confusion pré/trans au sens de Wilber, une confusion comme on en trouve chez beaucoup de théologiens et même Jung avec son inconscient préexistant. Et aussi chez les Bogdanov pour qui le code génétique préexiste au vivant ! L’information universelle ne devient efficiente qu’en s’incarnant. L’ordre apparaît à la fin des temps comme la transcendance incarnée du reste. C’était la minute ontologique. Vous pouvez rallumer la télé !
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