- Facebook (les forums, blogs, et « les Internets » en général) est symptomatique de l’état des relations sociales en Occident et de l’Occidentalisation généralisée des rapports sociaux dans le monde : la peur de l’Autre et la pression sociale sont si élevées que les occidentaux se réfugient sur FB afin de retrouver le peu de spontanéité qu’il leur reste. Et c’est un véritable torrent de « communication » qui se déverse : jamais nous n’avons autant lu et écrit à des inconnus.
- Mais ceci n’est pas contradictoire, bien au contraire : on parle plus facilement à des inconnus afin de suspendre tout ce que le contrôle social, la Norme et le face à face incarné empêchent et cloisonnent. C’est que les sociologues croient avoir découvert en théorisant la « puissance des liens faibles » (- voir M. Granovetter)
- Voilà pourquoi c’est parce que l’échange social disparaît que la « communication » prend le dessus.
« Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation », disait Guy Debord (La Société du spectacle, thèse 1)
- Ainsi, les collègues, les amis, les parents deviennent des « contacts », notre petite collection d’objets prestigieux, notre petit « capital social » (désormais si précieux - voir Bourdieu), ce qui entretient l’internaute dans ses nouveaux fantasmes de sociabilité, d’individu connecté au réseau plus qu’à sa condition sociale réelle : il est devenu « connexionniste » (voir « Le nouvel esprit du capitalisme » de Boltanski). Voilà comment nous sommes désormais tous assignés à produire et consommer de la communication afin de maintenir le peu de liens qu’il nous reste entre nous : des individus de plus en plus isolés, aux projets, idées et émotions flottantes, aux collègues, parents, amis, amours, demeures, meubles et objets précaires et instables. L’obsolescence programmée de notre environnement explique le fait que notre seule demeure devient Facebook, une adresse mail, un numéro de téléphone portable : tous assignés à résidence virtuelle, face contre écran...
- Voici pourquoi FB donne autant l’impression d’une grande liberté de parole et d’action. Ce monde désincarné de FB désinhibe, les tabous sociaux (semblent) y avoir disparu. Voilà pourquoi l’anonymat, les pseudonymes, les avatars et autres chimères y sont légion : c’est là, bien évidemment, le signe d’une absence de liberté fondamentale, puisque (faut-il le rappeler ?) la parole libre est celle de l’homme qui parle à visage découvert, en son NOM. Pour l’honneur du nom...
- Si les internautes passent donc tant de temps et d’énergie à « exister » sur Internet (à peaufiner leurs profils, à personnaliser, mettre à jour, commenter, poster, poker, twitter... etc.. ) c’est parce que les possibilités concrètes d’existence dignes de ce nom disparaissent.
« Bienvenue dans le désert du réel » (S.Zizeck)
- Internet, pour nos contemporains, c’est donc l’Utopie réalisée (au sens propre : un monde idéal qui n’a pas de lieu). Tout semble possible (« c’est l’Amérique ! », le mythe renouvelé de la liberté sans frontières) et c’est vrai : « il y a tout sur Internet », le pire comme le meilleur...
On ne peut donc conclure qu’une chose : depuis 2 siècles les hommes tentent de réaliser l’Utopie ici bas. Ils ont échoué disent les philosophes (« fin des idéologies », « des classes sociales », « des grands récits », etc) et se tournent désormais vers ce monde « virtuel »... où tout semble gratuit. Un pays de Cocagne.
- Mais entrer dans ce monde utopique a un prix : celui de sa vie privée et de la conscience de soi. Il faut « adhérer » au sens propre : participer, commenter, poster vidéos, photos, s’étaler, se répandre et se répondre.... gratuitement : NOUS produisons la richesse d’Internet et NOUS sommes dépossédés de cette richesse.
Ainsi, la dépossession de la vie privée n’est que la face émergée de l’iceberg Facebook flottant dans les eaux troubles d’Internet : ce à quoi nous avons renoncé, c’est à une vie plus émancipée.
- Le « mythe Facebook », c’est le retour des maigres consolations, cet opium du peuple qui s’imagine que le monde ne sera meilleur que si il échappe au réel....
C’est ni plus ni moins que le retour des pseudo-réconforts religieux : la « cité de dieu » de Saint Augustin : « Deux amours ont bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu : la cité de la Terre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi : la cité de Dieu. »
Mais le réel frappe toujours deux fois, toujours trop fort. Et de plus en plus la « Jérusalem Céleste » que nous avait promis Internet ressemble à s’y méprendre à une Babylone corrompue, où les marchands du temple vendent à prix d’or notre « mépris de soi ».
Voilà donc la triste réalité qui rattrape les internautes plus vite qu’un mauvais rêve. Et dans ce réveil encore brumeux, nous nous donnons bonne conscience en nous insurgeant contre les utilisations marchandes de nos informations, en dénonçant ce qu’Internet est devenu : une petite TELEVISION, avec boite aux lettres intégrée, etc...
Voilà pourquoi ce demi réveil, le votre, vous empêche encore aujourd’hui de vous poser la seule question qui vaille et en tirer les bonnes conclusions :