Luc Besson et ses approximations...
500 000 vols, 1 milliard d’Euros de pertes pour l’industrie du cinéma… Luc Besson n’hésite pas à dégainer les "chiffres qui tuent" pour soutenir son argumentaire contre le piratage. Et sans se préoccuper de la moindre vraisemblance…

Tout le monde, tout du moins toute personne s’intéressant au cinéma et au phénomène du piratage, a entendu parler (ou a lu) la tribune de Luc Besson parue dans le Monde du 14 février 2009. Où il est dit en substance que le piratage, c’est mal.
Une assertion que, sur le fond, on ne discutera pas : il est vrai qu’il faut trouver un système permettant de rémunérer justement les auteurs et producteurs d’œuvres audio-visuelles commerciales. Mais il n’est pas forcément besoin, pour cela, de dégainer des chiffres dont le manque de fiabilité le disputent à la mauvaise foi.
Ainsi, pour commencer sa démonstration, le cinéaste-producteur assène un définitif "Il y a 500 000 vols de films par jour en France : 500 000 connexions illégales". D’où sort-il de tels chiffres ? D’une étude diffusée en juillet dernier par l’Alpa (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) et qui dresse un portrait quasi cauchemardesque de la situation du piratage en France. Il est ainsi dit qu’il y aurait pas moins de 450 000 films récents en version française (et non 500 000 comme l’arrondit Luc Besson) qui seraient quotidiennement téléchargés illégalement en France, avec des films comme Transformers qui auraient été copiés à plus de 3,7 millions d’exemplaires ! Du sérieux, donc… Au moins autant, sans doute, que ce rapport, nommé "Statistiques ALPA de téléchargement de contrefaçons de films sur les réseaux P2P" et réalisé par Thomson et Advestigo, une entreprise spécialisée dans "la surveillance des réseaux P2P" pour le compte de l’Alpa. Un rapport truffé d’invraisemblances, d’approximations et de contre-vérités. On commencera par le fait que "l’observation a commencé depuis octobre 2008", un tour de force pour un rapport rendu public trois mois avant cette date... On continuera en constatant que cette étude a été réalisée en "surveillant" plusieurs réseaux P2P dont, selon ses auteurs, Edonkey, réseau officiellement fermé depuis... 2005 ! Il faut dire que la connaissance du P2P de ces "surveillants" semble assez limitée : le rapport indique ainsi que "une attaque sur certains serveurs P2P (Edonkey) a rendu une partie du service de redistribution illicite indisponible en février", un vrai tour de force pour des réseaux qui ont pour caractéristique fondamentale de fonctionner sans serveur (sans même revenir sur le fait qu’Edonkey est fermé...). Par charité, on ne s’appesantira pas sur un rapport qui prête plus à rire qu’à édifier les masses...
Cela étant, c’est donc lui qui, semble-t-il, a servi de base à l’argumentaire de Luc Besson. Argumentaire qui, donc, nous apprend que "(les) créateurs (…) ont perdu, rien qu’en France, 1 milliard d’euros en 2008 à cause du piratage d’oeuvres cinématographiques sur Internet". Ainsi donc, 500 000 "vols" par jour (soit un total annuel estimé de 182,5 millions) entraîneraient une perte de 1 milliard sur un an, ce qui, si l’on calcule bien, nous amènerait le film à 5,48 Euros. Faut-il en conclure que ces 5,48 Euros sont ce que les "créateurs" (on suppose donc les producteurs et cinéastes) toucheraient pour chaque place de cinéma ou chaque DVD vendu ? On aimerait en être sûr, mais la vérité est sans doute bien plus modeste. Mais bon, 1 milliard, ça parle…
Ah, et au fait, le cinéma va-t-il si mal que ça ? Mmmmhhhh, la question mérite d’être débattue… Le CNC, qui tient à jour des statistiques on ne peut plus sérieuses sur le cinéma en France, a ainsi noté que la fréquentation des salles de cinéma a connu une augmentation de 6,2 % de 2007 à 2008, croissance qui s’amplifie en 2009, avec un bien beau + 3,8 % pour le seul mois de janvier (14,92 millions d’entrées). Alors, serait-ce le marché du DVD qui souffrirait ? Si l’on prend les chiffres du marché global du DVD, la baisse entre 2007 et 2008 est de 7,5 %, pour un chiffre d’affaires global de 1,382 milliard d’Euros. Mais si l’on se concentre sur les DVD de films, le chiffre d’affaires n’est plus que de 779,17 millions d’Euros (contre 791,22 millions d’Euros en 2007) et la baisse limitée à 1,5 %.
Nous voilà donc confrontés à une problématique particulièrement ardue : comment arriver au chiffre de 1 milliard d’Euros de "pertes" dues au piratage avec d’un côté une fréquentation des salles en hausse (et, le consommateur a pu s’en apercevoir, un prix du ticket qui n’a pas baissé…) et, de l’autre, un marché du DVD de films qui a, en un an, perdu "seulement" une douzaine de millions d’Euros ? On ose espérer que les comptables de la société de monsieur Besson montrent une autre rigueur avec les chiffres qu’ils ont à manipuler…
Bref, Luc Besson arrange la réalité selon ce qui lui convient et n’hésite pas à asséner des arguments qui ne tiennent pas une seconde la route si l’on se donne un tant soit peu la peine de les examiner. Ce qui rend son discours rien moins que vide de sens, partial, orienté et, diront certains, "ringard". Surtout, il décrédibilise une fois de plus les arguments de la "ligne dure" anti-piratage et des partisans de la loi Création et Internet. Et ne fait avancer en rien le débat sur la rémunération des œuvres audio-visuelles.
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