Molécules chirales et origines de la vie
La vie est certes dépendante de la sélection naturelle mais elle repose aussi sur des réactions biochimiques ainsi que sur des assemblages produit par des processus physiques régis par des lois. Par exemple l’assemblage par associations hydrophobes ou alors par interactions électrostatiques. Une collaboration entre chercheurs américains et chinois vient d’obtenir un résultat intéressant pour bien comprendre les phénomènes d’auto-organisation et d’assemblage. L’étude a porté sur l’assemblage de nanomolécules en forme de roue dont la formule est la suivante : [Fe28(u3-O)8(Tart)16(HCOO)24]20- Cette molécule est composée de quatre sous-unités Fe7 connectées chacune à quatre molécules d’acide tartrique. Or, cet acide possède la propriété de chiralité. Il existe sous deux formes qu’on appelle des énantiomères.
La chiralité est une propriété réservée aux molécules comportant un atome tétravalent asymétrique. Dans les systèmes vivants, c’est un carbone asymétrique qui produit la chiralité. Pour comprendre de quoi il s’agit, imaginez le sommet d’un cube et ses trois arêtes, l’une orienté vers le bas et les deux autres en haut, à droite et à gauche. Imaginez trois boules aux extrémités des arêtes. Si les trois boules sont jaunes ou rouges, il n’y a pas de chiralité. Même cas de figure avec en bas une boule jaune et en haut deux boules bleues ou rouges à droite et à gauche. Si maintenant vous prenez les boules de trois couleurs différentes, vous constatez que la configuration avec en bas le jaune, le rouge à droite et le bleu à gauche ne peut pas se superposer avec celle possédant le bleu à droite et le rouge à gauche. C’est pourtant une même molécule. Mais si vous retournez l’une des molécules pour la mettre face l’autre, vous notez qu’elles se comportent comme une image face l’image réfléchie dans un miroir. Mettez une main sur une autre, vous verrez qu’elles ne se superposent pas. Placez les paume contre paume, vous verrez qu’elle sont telle une image et sa réflexion dans un miroir.
La chiralité est présente pour nombre de molécules du vivant parmi lesquelles les sucres comme le glucose ou les molécules de ribose et désoxyribose présentes dans les acides nucléiques. C’est le cas aussi des acides aminés qui constituent les protéines et dont la formule est H2N–CHR–COOH. Le carbone en fin de chaîne est relié à un hydrogène, un groupe amine et un groupe carboxyle (les trois boules de couleur dans mon image précédent) alors que R représente la chaîne latérale propre à chaque acide aminé. Toutes ces molécules existent sous deux formes énantiomères désignées par D (dextrogyre) et L (lévogyre) selon l’effet qu’elles produisent sur la lumière polarisée. Dans les systèmes vivants, les sucres sont presque exclusivement dans la forme D alors que c’est la forme L qui est présente dans les acides aminés des protéines. Mais la D-sérine ou le D-aspartate sont des acides aminés pouvant intervenir dans des fonctions physiologiques, dans le système nerveux central.
Le vivant a visiblement développé des processus pour favoriser l’utilisation des énantiomères. Lorsque des acides aminés sont synthétisés en laboratoire ou alors apparaissent dans la célèbre expérience de Miller, c’est un mélange que l’on obtient. Mais dans le vivant, il s’est produit une brisure de symétrie faisant que c’est une seule forme, D ou L, qui est utilisée. C’est le cas pour des molécules autre que les sucres ou les acides aminés. La vitamine C est assimilée uniquement dans sa forme L. Comme le précisent les auteurs de l’étude qui va être présentée, les biologistes ne s’expliquent pas les raisons de cette brisure de symétries ayant conduit le vivant à n’utiliser qu’une seule forme énantiomère des molécules chirales (P. Yin et al. Nature communication, Chiral recognition and selection during the self-assembly process of protein-mimic macroanions, 6, 6475, 9 mars 2015). L’étude sur les macro-anions [Fe28(u3-O)8(Tart)16(HCOO)24]20- est de nature à livrer quelques éléments sur les effets d’énantiomères dans des phénomènes d’assemblages. Ces grosses molécules sont capables de s’assembler pour former des structures en forme de mûre (comme l’est par exemple l’embryon précoce possédant 16, 32 ou 64 cellules et désigné comme morula).
Les résultats sont significatifs. Le mélange racémique des macro-anions ferriques L et D génère des assemblages constitués d’énantiomères L et D. Mais si l’on ajoute de l’acide tartrique de forme D, on supprime l’assemblage des macro-anions D ; même chose pour l’acide tartrique L qui supprime l’assemblage des macro-anions L mais favorise l’assemblage D. Ce qui signifie que la rencontre des résidus tartriques liés au fer avec l’acide tartrique en solution permet l’assemblage sous réserve que les interactions se fassent selon le principe de l’image miroir. Les auteurs tracent deux conclusions, l’une d’ordre pratique car ces manipulations permettent de séparer les deux énantiomères Fe-Tart L et D ; l’autre d’ordre théorique sur les processus électrostatique à « grande échelle » impliqués dans ces auto-assemblages de macro-anions avec une hypothèse élargie, celle d’un intervention de ces processus électrostatiques à distance dans les assemblages formés par les biomacromolécules (protéines par exemple) sous réserve qu’elles possèdent des charges électriques.
Ces travaux ouvrent de plus des perspectives sur l’origine de la vie et les processus de sélection ayant conduit les premières cellules à sélectionner les énantiomères, en l’occurrence les sucres D et les acides aminés L. Peut-être que la sélection naturelle du vivant a été précédée par une sélection naturelle des biomolécules guidée non pas par le hasard mais par des lois physiques et des processus de reconnaissance. D’autres implications découlent de ces énantiomères qui ont la propriété de s’orienter dans l’espace, à l’instar des électrons décrits par les tétrades de Dirac. Ces énantiomères auraient alors un rôle plus étendu qu’on ne le pense dans l’organisation tridimensionnelle de l’organisme que la génétique a un peu trop vite attribuée aux homéogènes. Enfin, il reste une dernière hypothèse sur ces « phénomènes chiraux » que je tairai car elle s’inscrit dans un programme de recherche non abouti
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