Rencontrer le futur est possible avec la route du temps et la double causalité
Pouvons-nous anticiper notre futur et même l’influencer et réaliser de ce fait des projets ou se laisser guider par une sorte d’attraction dans la poursuite d’une voie ? Un scientifique lambda, comme du reste un citoyen bêta, répondra non à cette question. Mais si l’on en croit le récit et l’investigation de Philippe Guillemant, alors la réponse est affirmative, mais elle ne coule pas de source. Comprendre le « fonctionnement » du futur requiert une attention sérieuse mais pas envahissante. Attentif, l’auteur de la Route du temps (2010, éditions Le temps présent) l’a été lors des observations qu’il a recueillies au cours de ses expériences de vie qui s’offrent à tout un chacun. Il suffit de savoir « capter » les signes pour voir l’entrelacs subtil entre le passé d’où l’on vient, le présent où l’on agit et le futur où les choses adviennent. Guillemant raconte comment il en est arrivé à comprendre le « jeu du temps » et forger la thèse de la double causalité qui conditionne notre cheminement dans l’existence, avec les aléas du temps, les actions calculées et aussi, point essentiel, les événements qui s’insèrent dans notre chemin et que nous n’avons pas intégrés dans nos calculs mais qui ont été « calculés » dans une sorte de monde parallèle où la logique causale et temporelle ne s’applique pas.
Les phénomènes racontés par la route du temps semblent défier la rationalité si bien que la qualité de scientifique du narrateur ne peut que donner une assise à des choses que le bon sens refuse ou réfute, comme le font aussi le scientisme et la philosophie moderne. La double causalité a sous doute été appréhendée par les sages antiques, suivis par les alchimistes de la Renaissance, les philosophes intermédiaires comme Leibniz et enfin un groupe hétéroclite qui depuis plus d’un siècle, se penche sur les faits qui dépassent la causalité conventionnelle et parmi lesquels figurent des individus hétéroclites, ésotéristes, médiums, sages contemporains, mais aussi pas mal de scientifiques qui, fort de leurs connaissances poussées, peuvent établir des ponts entre la spiritualité, la mystique, les mystères du temps et la science moderne. C’est en vérité un atout que d’être pénétré de rationalité pour aborder les choses et événements qui dépassent cette rationalité. Et c’est ce voyage que nous propose Guillemant dans un livre fort plaisant à lire qui commence tranquillement sur un chemin de campagne et qui s’achève sur des interrogations métaphysiques.
Le voyage peut commencer. Il faut avancer doucement, par étapes, pour bien saisir cette histoire de dédoublement du temps, des causes et du réel, car c’est de cela dont il est question dans cette aventure qui commence sur une route de Provence et qu’on se plaît à suivre dans ses développements. Il est question de chemin de vie, de rencontres, d’anticipations, de projections et à la fin, d’un mystère du Temps que seul le Temps connaît mais dont nous pouvons être les témoins et même les acteurs. On prend ainsi plaisir à se laisser guider par cette compréhension du temps exposée avec des petites nouvelles successives par Guillemant qui n’hésite pas à imaginer des situations réelles ni à donner un peu de son expérience pour conduire le lecteur vers cette double causalité qu’il est difficile de lancer d’un seul « coup de concept » avec force abstraction. Et c’est qui rend l’ouvrage intéressant et crédible car il est en phase avec l’existence et ne cherche pas à fuir dans des théories fumeuses. La double causalité se précise ainsi de chapitre en chapitre jusqu’au dialogue final avec l’Esprit, conversation qui résume parfaitement l’ensemble tout en laissant des portes ouvertes à l’interprétation (chapitre 20). Je ne résiste pas à cette évocation des vibrations spirituelles nécessaires pour cheminer avec cette nouvelle dimension du temps, vibrations qui selon la voix de l’Esprit seraient incompatibles avec notre condition d’esclaves modernes de la consommation (p. 298). Il est aussi question de libération des traces du passé, de la création, du pouvoir de l’amour, bref, des résonances déjà connues mais qui sont rappelées ici sous une forme plus en phase avec les préoccupations spirituelles du moment que formatées pour des consciences naissantes et nécessitant les béquilles de la religion instituée.
-----------------------------------
La thèse que développe Philippe Guillemant fait appel à deux concepts essentiels, d’abord la causalité non conventionnelle que l’on peut désigner comme finale, se manifestant sous forme de futur influant de manière providentielle ; ensuite une option dualiste, qu’on peut relier à la différence ontologique entre matière et esprit. Ce n’est pas une manière conventionnelle de voir les choses, surtout à notre époque ensorcelée par le matérialisme, l’activisme et le narcissisme mais rien ne dit que les conventions et le consensus soient dans la vérité. La causalité non conventionnelle échappe à la plupart sauf à ceux doués d’une conscience élargie et capables d’accepter les perceptions de signaux indiquant cette présence du monde des esprits participant à nos destinées. On ne peut qu’apprécier l’audace du narrateur qui pose l’hypothèse d’un second monde et surtout d’une seconde substance, une sorte de fluide, doté d’amour et de création, susceptible d’enregistrer nos intentions si elles ne sont pas motivées par la prétention de l’ego, du carriérisme et du narcissisme. La causalité du futur est à la fois une sorte de calcul des destinées et des rencontres et l’expression d’une substance fluide, spirituelle et universelle. Les initiés de la philosophie auront reconnu quelques connivences avec Spinoza et Leibniz, bien que le schéma soit exposé avec plus de modernité et plus d’universalité. Avec en plus une ouverture sur une science que ne pouvaient connaître les métaphysiciens du 17ème siècle. Et il est bien question de métaphysique avec cette théorie de la double causalité que je vais tenter de résumer sans la trahir.
1 le volet ontologique. Comme le précise Guillemant, la double causalité impose de considérer deux mondes, ou deux substances pour parler comme les anciens. Au monde spatio-temporel où se déroulent les actions et interactions produites par les causes efficientes est « accolé » un fluide spirituel dont l’essence est distincte du monde matériel et dont les règles aussi diffèrent, avec cette sorte d’« encodage » des futurs possibles. Ce fluide est évoqué comme amour car il possède des propriétés attractives, celles notamment de faire se rejoindre des « tunnels » d’existence en facilitant le croisement des chemins. Ainsi, les chemins de vies sont attirés au même titre que les astres occupent des trajectoires fixées par la gravitation cosmologique. Mais ce n’est pas selon un décret divin. Chaque personne peut ou non participer à « forcer » le destin et jouer de la providence. Question de temps. Le fluide spirituel ne fonctionne pas comme une rétroaction car il n’est pas régi par le monde d’action. La notion de rétro-influence serait plus appropriée.
2 le volet téléologique. Le temps justement, linéaire et irréversible lorsqu’il accompagne les actions matérielles exécutées selon les causes efficientes avec le plus souvent, des calculs, des projections, des feuilles de route conçues par les acteurs. Mais il existe une autre détermination, celle du futur, qui s’inscrit dans une conjecture téléologique. C’est cette seconde cause que nous présente Guillemant dans divers récits où peu à peu se précise comment fonctionne ce « dispositif » régi par une logique non causale mais qui n’en est pas moins finale, notamment avec cette hypothèse intéressante de convergence des parties qui n’est pas sans évoquer la monadologie et la théodicée de Leibniz. Néanmoins, l’homme est partie prenante dans cette règle qui indique la présence d’un attracteur temporel sur lequel l’individu peut, non pas agir car ne c’est pas d’action dont il s’agit, mais influer. Il est possible d’augmenter les probabilités de réalisation d’une situation en étant attentif aux traces du futur (chapitres 7 à 10). Les parties, comme les événements, convergent vers une sorte de rendez-vous donné par le futur.
3 le volet gnoséologique. L’attention, cette notion est déterminante et même cruciale dans le propos de Guillemant sur cette causalité du futur que l’on ne peut appréhender avec la logique du sens commun. Nous avons tous été confrontés à des événements qui semblent s’inscrire dans une sorte de destination, avec des rencontres inopinées perçues sur le moment comme insignifiantes ou anecdotiques et qui par la suite, s’avèrent déterminer notre chemin de vie. C’est le cas de rencontres amoureuses, amicales ou professionnelles. Et parfois, on s’aperçoit que ces croisements de chemins auraient pu très bien ne pas se produire. Il suffit de quelques minutes pour nous retarder, ou d’un courrier qui arrive trop vite ou trop tard, ou enfin d’une décision qu’on a prise en étant « ailleurs ». Un taxi qui tombe en panne et on rate l’avion qui va disparaître dans l’Atlantique.
4 le volet éthico-pratique. Il sera question de pratiques spirituelles. Car chacun peut, s’il a un minimum de foi, tendre à influencer sur le futur et participer à un bénéfice partagé. Mais ce procédé n’est pas garanti et s’il relève de l’irrationnel pour les scientistes, il renvoie aux prières, aux pensées qui peuvent éventuellement changer les voies en jouant sur la magie de l’amour. Ces choses sont évoquées avec retenue et prudence dans La route du temps, afin de laisser chacun croire ce qu’il veut ou peut. Pour comprendre et jouer sur la seconde causalité, il faut donc se déconditionner et apprendre à percevoir les détails importants semés par le temps sur son chemin. Et jouer aussi de bonnes intentions en tirant une flèche dans le futur puis en sachant capter le moment où c’est le futur qui renvoie la flèche mais sous une autre forme, celle de la partie qui s’insère dans notre projet (chapitre 8).
5 le volet cosmologique. Si je devais relier la théorie de la double causalité à la physique contemporaine, je suivrais les considérations sur l’univers holographique et les nouvelles conceptions informationnelles de l’énergie et de la gravitation. Attraction de chemins par la loi de l’amour universel nous suggère Guillemant. Et en effet, ces chemins qui se croient semblent être attirés en étant « informés » par cette instance attractive. En physique, la gravité tend à devenir un processus relevant de l’information et non pas la cause d’un effet mécanique (Susskind, Verlinde). Ainsi, nos pensées finissent par modifier le « dossier informationnel » qui détermine les attractivités de destinées. A noter aussi la perplexité finale de l’auteur sur l’équilibre à maintenir les deux pôles de l’existence qui se veut doublement déterminée. L’excès de passion et d’action détruit les cohérences du futur alors que l’excès d’attention et de contemplation fait que le véhicule n’avance pas. Ce qu’il faut, c’est mobiliser son influence pour faire arriver un cheval au bon moment et ensuite, ne pas hésiter et monter le cheval avant qu’il ne décide d’aller croiser un autre chemin. Pour finir, les initiés à la métaphysique védique auront fait le pont avec deux des trois gunas, rajas qui relève des causes efficientes et de la passion et sattva qui concerne plus l’attitude connaissante et donc la mobilisation de l’intuition pour capter les traces du futur. Ou alors avec ma doctrine métaphysique dans laquelle je revisite le schéma de Plotin avec le concept d’immanation (processus qui part de l’immanence pour s’appliquer au monde transcendant, avec le Un et l’Esprit)
Le livre de Guillemant s’inscrit parfaitement dans la nouvelle vision de l’univers qui émerge au 21ème siècle et qui mobilise quelques scientifiques bien plus audacieux que la plupart des philosophes et sociologues encartés qui visiblement, ne sont plus vraiment dans le coup pour expliquer les voies et chemins de l’homme.
-------------------------------
Ce texte écrit il y a plus de deux permet d’illustrer les connivences de pensée partagées avec Guillemant et son livre La route du temps dont je conseille la lecture à ceux pour qui le sens de l’existence est essentiel
Les dieux montrent la voie, les hommes manœuvrent les aiguillages
Les dieux montrent la voie, les hommes bougent les aiguillages et font avancer la motrice, même si parfois c’est difficile. Voilà la maxime qui m’est venue à l’esprit en cette fin d’année 2010 et je dois avouer qu’il me faut en comprendre le sens exact, quoique, un philosophe averti perçoive dans cette formulation quelques relents de stoïcisme. L’idée qui émerge, c’est que l’intuition capte parfois des signes à un moment de l’existence et que le chemin de vie qu’on croit tracé n’est pas aussi rectiligne qu’on ne le pense. Les signes se produisent parfois dans des moments critiques. L’idéogramme chinois désignant la crise a une double signification, danger et opportunité. Souvent, le danger consiste justement à ne pas saisir une opportunité et rester à quai ou alors dans un train quotidien qui n’apporte plus rien. Le plus important est d’être attentif aux signes. C’est peut-être ce qu’on appelle les intuitions, ces contenus de la conscience qui constituent la trame de la phénoménologie de Husserl, cette belle ouverture philosophique offrant une option permettant de se libérer des contraintes positivistes de cette science qui à force de calculer, se perd dans les chiffres du parcours en oubliant qu’une voie aussi se déchiffre avec des signes qui ne sortent pas des calculs humains mais semblent envoyés depuis cet autre monde où festoient les dieux en lançant de temps à autre quelques signaux du destin qui bien souvent, sont perdus par les hommes en errance dans ce monde devenu trop rationnel, privé de poésie et d’enchantement. L’homme moderne a perdu ce sens magique de l’existence et dans le champ philosophique, les contemporains ne savent plus pratiquer les cimes explorées par les Platon, Aristote, Leibniz, Kant, Hegel. C’est ce que pensait Gadamer, ce fils prodige de la phénoménologie qui a su remettre quelques pendules à l’heure en cette époque où la pensée ne sait plus où elle habite ni dans quelle époque elle navigue. Le sens, la voie, bien évidemment, le souci du voyageur, quoique, le sens advienne parfois comme un tel ravissement que le voyage est parsemé de délices et autres divines surprises. Souvent, la voie est difficile, obscure mais le voyageur est toujours dédommagé de ses efforts. Notamment d’avoir manœuvré les aiguillages de son destin et mis toute son énergie à faire avancer la motrice sur les rails de la providence. Les stoïciens comme du reste les platoniciens auraient pu faire de même, se sont sans doute trompés sur le destin, ne pouvant imaginer les dieux comme providentiels. Si leurs signes sont compris comme ceux du destin, c’est parce que l’histoire ne s’arrête jamais et que le passé accumulé si présent remplit de nécessité l’avenir. Leibniz n’aurait pas dit autrement.
Plus généralement, donner un sens, ou se donner un sens, c’est ouvrir une voie, un chemin vers la liberté, c’est aussi pourvoir un individu d’œillères, pour ne lui faire voir qu’un chemin, celui que d’autres ont tracé pour lui. Parfois les hommes ont besoin de repères. Dans la Rome impériale, les stoïciens s’en remettaient au destin écrit par les dieux. Ce n’est pas pour autant qu’ils ne se sentaient pas libre et c’était même le contraire puisque l’homme libre était celui qui acceptait son destin. Spinoza pensait de même, sauf que ce n’étaient pas les dieux mais l’entendement qui livrait la nécessité et donc la voie à suivre. Ainsi, était libre celui qui suivait cette nécessité. Chez Hegel, la liberté repose sur un usage dialectique de la raison. Dans ces trois exemples, la liberté est subordonnée à la connaissance. Ce qui laisse entendre que lorsque l’entendement est perturbé, que le sens est tronqué, parfois avec des manipulations, eh bien les hommes ne sont pas libres. L’idéologie a plongé les hommes dans une sorte de liberté encadrée, surveillée pour ainsi dire. Le sens livré par les idéologues a servi les intérêts d’un destin collectif, permettant de bâtir parfois des grandes œuvres de civilisation mais aussi de lancer les hommes dans de véritables boucheries sur les fronts de la guerre ou de les asservir pour que les maîtres du système se payent des rolex.
26 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON