Révolution génétique et évolution
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La science emprunte parfois des chemins détournés pour parvenir à un résultat. Prenez la mécanique quantique, d’un côté, la mécanique ondulatoire proposé par de Broglie et Schrödinger, de l’autre, la mécanique des matrices, élaborée par le tandem Pauli et Heisenberg et en bout de course, le facétieux Dirac montrant que les deux voies conduisent à une même physique. La biologie sait aussi emprunter des voies indirectes, sans savoir où elles mènent. Analyser ces détours vaut certainement le détour. Récemment, on a pu lire sous la plume de l’excellent Carl Zimmer du NYT l’évocation de recherches assez surprenantes dont voici un modeste résumé.
Edward Marcotte, biologiste texan, étudie les moyens de lutter contre le cancer en jouant sur la vascularisation de la tumeur. Pour ce faire, il a cherché quels sont les gènes contrôlant la genèse des vaisseaux sanguins. Ces gènes humains sont au nombre de cinq mais aussi étrange que cela puisse paraître, ils ont été trouvés dans une espèce très éloignée de l’homme, ni la souris, ni la mouche, modèles classiques s’il en est, mais chez la levure, cet être rudimentaire composé d’une seule cellule et que les scientifiques savent très bien cultiver dans un bocal. Ces cinq gènes fonctionnent de concert en contrôlant un mécanisme précis, celui de la formation des enveloppes cellulaire de la levure (cell walls en anglais, qu’on peut traduire par coquille ou paroi cellulaire) Ces structures ont pour finalité de rendre la levure plus résistante aux chocs mécaniques. Et donc, cela n’a aucun rapport avec l’édification des capillaires et autres micro vaisseaux fabriqués chez l’homme pour vasculariser les tissus. « c’est complètement dingue ! » s’est exclamé E. Marcotte qui, précisons-le, n’a jamais écouté Christophe Maé.
Cette découverte surprenante est loin d’être isolée puisque Marcotte et ses collègues ont trouvé des centaines de gènes censés être impliqués dans des tâches précises, voire des pathologies humaines, et qu’on trouve dans des espèces vivantes très éloignés où ils assurent d’autres tâches en coopérant sous forme de module (cluster). Ainsi, des modules génétiques humains ont pu être retrouvé chez des espèces aussi rudimentaire et éloignées dans l’arbre phylogénétique que le vers nématode et même certaines plantes. Ce qui signifie que ces gènes organisés en modules fonctionnent, certains depuis un milliard d’année, en assurant des tâches différentes selon l’espèce où ils opèrent. Ces modules suivent donc leur course pendant des millions d’années en empruntant des bifurcations faisant qu’ils obéissent à d’autres signaux tout en déterminant des traits différents. Comme s’il s’agissait d’une mise à jour dans la programmatique génique, ou si on veut, un emprunt génétique effectué par une espèce qui use alors de ce module pour des tâches propres.
Ces similitudes entre modules ont conduit des biologistes à forger la notion de « profonde homologie » dans un article remarqué par la communauté scientifique (Shubin et al. Nature, 388, p. 639, 1997) Cette notion traduit la probable présence d’un ancêtre commun ayant produit des modules génétiques qu’on retrouve actuellement dans des espèces éloignées où ils assurent parfois des tâches distinctes. Cette notion est donc une innovation si on la rapporte à la classique homologie construite par la génétique des années 1960, basée sur des homologies de structures qui plus tard seront évaluée selon les homologies de séquence génique, élément essentiel en génétique de populations. On connaît le cas emblématique de la molécule d’hémoglobine dont on a pu jauger les écarts structurels et les dérives génétiques en analysant structures et séquences chez différentes espèces. L’homologie profonde renvoie à des configurations très différentes. Prenons le cas de deux dispositifs très éloignés dans leur fonctionnement comme l’œil humain et les structures lumino-sensibles de la méduse. Rien de commun, excepté la sensibilité à la lumière et pourtant, ces dispositifs utilisent un même module génétique. Que de mystères !
Les cas d’homologie profonde ne cessent d’être détectés. Une équipe française a livré des résultats assez surprenants. Les neurones de notre système nerveux utilisent des dispositifs d’agencement très élaborés, faisant appel à des protéines d’échafaudage (scaffold) présente dans les agencements post-synaptique et jouant un rôle que métaphoriquement, on peut comparer aux connexions dans un central téléphonique ou un serveur du Web. Ces agencements sont dus à un module de gènes qui a été retrouvé chez des espèces où on peut penser qu’ils n’ont rien à y faire. Car telle se présente cette curieuse découverte montrant que des modules impliqués dans les connexions neuronales fonctionnent chez le trichoplax, métazoaire des plus rudimentaires, dépourvu de tube digestif, de symétrie et de système nerveux. Mieux encore, ce module est fonctionnel chez l’être unicellulaire qu’est le choanoflagelle, minuscule cellule appartenant au plancton et qui possède la faculté de s’agréger pour former des colonies. Les auteurs de ces travaux (Alié et Manuel, BMC Evol. Biol, 2010) concluent à la présence de ce « module » chez les espèces unicellulaires ancestrale où il n’aurait pas servi dans la communication intercellulaires mais uniquement dans la régulation du dispositif cytosquelettique en relation avec les ions calcium. Ce n’est qu’au moment de l’apparition des espèces dotés d’un système nerveux que ce module, en s’intégrant avec d’autres gènes, aurait divergé dans sa tâche, servant alors à l’échafaudage des connexions entre neurones. Cela dit, on peut aussi penser que la régulation des mouvements calciques participe d’une certaine forme de communication.
Comme le suggère Marcotte, l’étude de ces cas d’homologie qu’on pensait être de simples curiosités semble d’élargir sans qu’on puisse tracer des limites à cette nouvelle recherche. Marcotte a en effet trouvé des « homologies modulaires » en comparant le génome humain et celui de végétaux comme la moutarde. Il est apparu qu’un module assurant à la moutarde la sensibilité à la gravitation (permettant aux plants de pousser verticalement) serait impliqué, lorsqu’il est altéré chez l’homme, dans une maladie génétique rare définie par le syndrome de Waardenburg. Ce module, lorsqu’il est altéré, est également susceptible de créer des malformations embryonnaires dans le développement de la grenouille.
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Ces résultats ouvrent certainement des perspectives nouvelles dans la compréhension du vivant mais sans doute est-il prématuré d’établir un paradigme tant qu’on ne dispose pas d’une recension élargie de ces cas d’homologie profonde. Thomas Kuhn a très bien expliqué le processus de changement de paradigme dont les ressorts sont multiples, notamment l’accumulation de faits nouveaux qui finissent par faire pencher la balance du côté de l’innovation conceptuelle. En analysant correctement ces constats sur les modules de gènes, on pensera à des pièces de puzzle inédites venant s’insérer dans le grand paradigme synthétique de l’évolution darwinienne. Donc comme le dit l’expression populaire, rien de nouveau sous le soleil. Quoique... à suivre si vous le voulez bien, dans un prochain billet dont le titre serait, évolution génétique et révolution en biologie
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