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Sexes durs, sciences molles

Depuis déjà bon nombre d’années, il est convenu de distinguer dans le domaine du savoir les sciences « dures » et les sciences « molles ». - Si vous aviez le choix d’être traité de « dur » ou de « mou », quel terme choisiriez vous ?

Il s’agit ici, bien sûr, d’une figure de style, d’une question rhétorique, et nous savons bien, et cela depuis notre plus tendre enfance, que désigner quelqu’un de "mou" est un dénigrement ; vous, vous avez toujours voulu être "le gros dur", n’est-ce pas ? - Si votre réponse est « Non ! », vous êtes probablement de sexe féminin ; cela nous amène à dire qu’il est plus que probable que ladite distinction entre sciences est d’abord une affaire d’hommes... ou, pour être plus clair, que l’utilisation de ces deux termes est liée primo à la sur-représentation du sexe "fort" (nomen est omen ?) dans la communauté scientifique, secondo à un machisme ambiant forcément primitif : le phallocentrisme. Le distinguo en question a été établi par les représentants des sciences "dures", est-ce étonnant ?

La première intention dans le postulat d’une différence fondamentale - la paire adjectivale est représentative de notre conception antithétique binaire -base millénaire de notre culture de pensée occidentale qui nous interdit fréquemment l’accès, par ce schéma réducteur de la pensée, à une réalité toute en nuances, soit dit en passant mais non sans gravité - est visiblement d’établir une hiérarchie et, pourquoi pas, tant qu’on y est, de se placer en haut de la pyramide décrétée. Il y a ainsi des hommes et des sous-hommes, et les machos durs sont rassurés quant à la virilité de leurs activités.

D’où vient ce besoin psychologique individuel de pratiquer la ségrégation para-raciale chez nos confrères aux sexes si durs ? Pourquoi décréter une altérité afin de la dénoncer ? La question revient à chercher le pourquoi de phénomènes sociaux tel que le racisme ou l’antisémitisme. En somme, les représentants des "sciences molles" sont les Juifs des scientifiques.

C’est certainement d’abord à eux-même qu’ils, voire qu’elles (hyper-adaptation ?), doivent se poser la question. Doutes sur leurs qualités identitaires ? Complexe d’infériorité ? Auto odi ? -peut-être un peu de tout ça. Mais il est possible aussi qu’il s’agisse non pas d’un problème psychologique et individuel (de masse, certes), mais plutôt d’un phénomène social, révélateur d’un malaise profond sur le plan professionnel, d’un problème existentiel.

En quoi les sciences dures ou molles le sont-elles donc, quelle est la légitimité ou la légitimation de ces qualifications ? En français, on distingue aussi sciences exactes de... oui, de quoi ? Eh bien, rien justement. Il y a les sciences "exactes" et les "autres" - altérité postulée. C’est le même fonctionnement que pour la paire dur/mou, sauf qu’on refuse "aux autres" la dignité même de porter un nom. C’était ainsi que la cour royale parlait du peuple. Il y a ce qui est noble et ce qui ne l’est pas. La récente tentative, par les scientifiques français, de remplacer "molles" par "douces" - un sourire ironique aux lèvres, car il leur en coûte de revaloriser ainsi ces parias - ne change rien au problème de fond, même si l’on est en droit de penser qu’il s’agit d’une tentative de mise en place d’une logique de désescalade entre les communautés.

Dans la culture française, la paire "moderne" dur/mou ne fait donc que reprendre une réalité antérieure en ce qui concerne les termes précis, d’ailleurs sous influence américaine (hard/soft). Cela se voit dans d’autres termes du langage : scientifique, par exemple, n’est pas l’adjectif qualificatif de toutes les disciplines du savoir humain codifié, mais réducteur aux seules sciences "exactes". Un adjectif pour les exclus n’existe pas.

En allemand, Wissenschaft désigne l’ensemble des savoirs, puis on distingue trois sous-groupes, Naturwissenschaft, Geisteswissenschaft et Sozialwissenschaft, un "scientifique" au sens réducteur de la langue française est un Naturwissenschaftler, un représentant des sciences humaines un Geisteswissenschaftler : le traitement des disciplines est donc égalitaire dans la langue. Peut-être un exemple à suivre ?

En quoi la qualité des sciences exactes correspond-elle aux exigences de son étiquette ? Les sciences dites exactes ont pour objet le monde extérieur, les sciences humaines et sociales, les mondes intérieurs liés aux hommes et parfois visibles à travers les activités humaines.

Le scientifique est révélateur de la réalité extérieure, il dé-couvre, il arrache à la matière son secret, il comprend l’univers, il révèle le plan divin de manière précise ou exacte. Il y a, nota bene, opposition entre le sujet (le scientifique) et son objet de recherche (l’univers). À terme, il aura flanqué un sacré coup de vieux à Dieu, et pourra le remplacer à sa guise. Ou bien ils se partageront le boulot en deux mi-temps. Ambitieux ou vaniteux ? Ce n’est pas le lieu ici de continuer sur cette piste, mais il est intéressant aussi de se pencher sur la relation entre progrès de la science et recul apparent de la religion.

Que fait le "non-scientifique" (non, je ne vais pas évoquer ici le fait que ce terme ne permet pas de différencier le mécanicien du philosophe : il est vrai qu’il n’est pas de sot métier), par exemple un linguiste ? - Il essaie de comprendre le fonctionnement des langues. L’un de ses problèmes majeurs est que le chercheur (sujet) est obligé de passer par son objet pour travailler sur celui-ci. Bon, vous avez deux minutes pour relire cette dernière phrase et la comprendre. Ça y est, you got it ? Il avance donc dans un épais brouillard, et comme chaque conducteur d’une quelconque Porsche le sait, c’est quelque peu frustrant de ne pouvoir appuyer sur le champignon, mais aussi casse-gueule de le faire... Il n’est pas sûr toutefois que les scientifiques "durs" se sentent obligés de dénigrer leurs collègues, parce qu’ils envient leur Porsche ! Vous allez dire que cette manière de décrire le problème n’est pas très... "scientifique", c’est à dire "sérieux", mais il s’agit juste d’illustrer le problème par une métaphore ! Et vous avez raison malheureusement. Je ne puis rien avancer pour ma défense. Quel manque de rigueur ! Mea culpa maxima.

Et la légitimité existentielle en sciences sus-évoquée, que devient-elle, entre-temps ? - Cela revient à poser la question sur la distinction entre le caractère "scientifique" et/ou "scientiste" de la réalité des sciences dites exactes. Car il faut bien se rendre à l’évidence : entre le discours humain et la réalité se trouve un gouffre, généralement comblé par des mensonges acceptés de tous en fermant de fermement à fervemment les yeux sur les problèmes : on peut appeler cela des idéologies. Or, jusqu’à preuve du contraire, les scientifiques sont des êtres humains.

Selon leurs propres exigences, les scientifiques révèlent donc de manière exacte la vérité. Je ne vais pas me perdre ici sur l’analyse scolastique du fait qu’en sciences aussi, il y a des différences d’opinion et d’appréciation (encore que...), mais force est de constater que l’analyse devient fondamentale pour les "dernières questions".

En quoi le modèle de Nils Bohr est-il révélateur de la réalité ? Bon, d’accord, ce n’est pas le modèle le plus moderne de l’atome (pour les Anciens : « la plus petite partie indivisible dont est constituée toute matière »), mais celui basé sur des quarks et autres pions n’a pas vraiment abouti encore à une modélisation homogène et définitive, que déjà le prochain modèle pointe le bout de son nez. Effet de mode ? Peu importe ! Le problème sous-jacent reste le même : il ne s’agit pas d’un accès direct à la réalité, mais d’une représentation de celle-ci. Les savoirs des purs et durs ne sont, eux aussi, ni plus ni moins que des... métaphores. Une métaphore, c’est une image. Un autre mot pour image est icône. Nous voilà dans la sacristie des scientistes. Ajoutons toutefois que les icônes en question ne sont peut-être que des veaux, fussent-ils en or, à moins que les veaux soient les hommes...

Tout scientifique risque donc d’appartenir, du moins en partie, à une secte qui n’avoue pas son nom. À chacun de faire son examen de con-science. Nombreux sont d’ailleurs ceux parmi les grand physiciens et autres scientifiques qui, le soir de leur vie venu, se rendent à Dieu et deviennent croyants, avant de mourir - pour assurer leurs arrières ? À cause de l’impuissance vécue face au mystère divin ? -alors qu’ils ont passé leur vie à houspiller ledit personnage (et autre icône). Étonnant ? Non, simplement humain.

Les cathédrales de ce culte scientiste portent des noms comme synchrotron, Itar, ou Iss. Elles sont de plus en plus chères, de moins en moins accessibles. Les scientistes réservent l’accès à ces cathédrales au cercle interne, à l’élite de la secte. Ce fonctionnement s’apparente aux plans d’Auguste Comte pour la religion de la République. Triste triomphe d’un fou.

Ainsi, le manichéisme postulé d’un noir et blanc - paire antithétique - "évident" révèle, à l’examen, sa nature absconse. Ce n’est pas très étonnant. Au fond, nous savions qu’entre le noir et le blanc se trouve un nombre illimité de gris. Décrire la réalité, c’est décrire l’ensemble, et non seulement les extrêmes, en faisant abstraction du reste : une telle abstraction devient forcément l’abstraction de la réalité elle-même.

Il est possible que la seule discipline qui ait un accès privilégié à "la vérité" soit la mathématique qui, tout en passant par notre langage, en révèle un autre. Son objet de recherche a cette double nature de l’existence et de la non existence dans le réel. Peut-être s’agit-il même d’un univers à part ? Grâce à cette tête de Janus, elle bénéficie probablement de perspectives et d’une perception particulières. Voilà pourquoi cette quête de l’ars mathematica est, avec ses cousines dont Melpomène, depuis la nuit des temps, l’apanage des mages.

Il paraît donc que le distinguo entre sciences "molles" et sciences "dures" (si vous êtes sensibles, vous remarquerez que même l’inversion des termes pose problème) peut s’insérer dans le schéma bien connu, et constitutif pour de nombreux groupes et communautés, qui consiste à se créer un bouc-émissaire afin de pouvoir se construire dans l’opposition à celui sur qui on projette tout ce dont on a peur chez soi-même, tout en affirmant haut et fort qu’on est purifié, ou pur tout court, ceci afin de se rassurer soi-même, et pour assurer une cohésion sociale. Bien sûr, le tout se fait dans le mensonge, mais qu’est-ce que la vérité ?

Est-ce que les représentants des sciences dites exactes vont un jour arriver à dépasser le stade de science "inexacte", se détachant de modèles-métaphores pour en arriver à la vérité ? Pour l’instant, on est au moins en droit d’en douter. Le jour où nos mages modernes, qui prêchent la vérité mais vivent l’obscurantisme, sauront faire apparaître et disparaître des univers à leur guise sous nos yeux, il sera toujours temps de revenir sur ce jugement. Entre-temps, on ne peut légitimement parler de science exacte, et bien entendu encore moins de science dure... tout juste de sciences moins molles !

Tenter de distinguer les sciences par leur rapport à un état hydraulique n’est finalement correct que sous l’aspect d’impliquer une pression sous-jacente. Car nous sommes toujours trop pressés de savoir, comblant des vides évidents simplement en fermant les yeux.

Le fonctionnement des sciences dites dures et des sciences dites molles est en fait beaucoup plus proche que l’opposition d’office ne laisse croire. Il est vrai qu’entre la clarté d’un soleil éblouissant et la nuit la plus noire, il y a beaucoup de nuances de lumière... et parfois un épais brouillard.

Si l’on est intéressé par l’humanisme, on se doit cependant de mettre en évidence et de combattre de telles machinations. Au bout de cette logique, nous le savons malheureusement, se trouve l’anéantissement de l’Homme par l’Homme. Comme vous le voyez, peu importe la noblesse de vos intentions, on n’échappe pas au machisme inhérent au langage.

Il n’y a que la vérité qui fâche !


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3 réactions à cet article    


  • lolo (---.---.137.72) 15 décembre 2005 14:18

    Mouais.... Et moi qui croyais que ce debat un peu vieillot etait depassé par les « sciences sociales ». Voila qu’un évéque de cette nouvelle religion vient souligner son rôle d’opprimé... Au risque de vous decevoir, je crois que ca fait longtemps, que plus personne ne pretend expliquer Dieu par la science...

    Je suis d’accord sur la description des Maths qui restent un vrai mystere.

    Pour le rest pshhhhhttttttttttttt


    • john.lipton (---.---.86.75) 16 décembre 2005 07:04

      L’eau est surement ce qu’il y a de plus mou en ce monde. Pourtant rien ne la surpasse pour user et réduire le dur.


      • Ledian (---.---.245.12) 19 décembre 2005 14:51

        On peut effectivement opposer sciences exactes non pas aux « autres » mais aux sciences experimentales...

        Et la difference reside a mon sens non pas dans une querelle de clocher mais bien dans la bases meme de ses sciences.

        Les sciences exactes sont decorrelees de la la realite, ce sont des sciences par et pour elles-memes. Elles se basent sur des lois qui les definissent et ne peuvent donc etre contredites. Par exemple 1+1=2, 2+1=3 ... Celles-ci peuvent alors etre utilisees pour etablir des modeles qui tentent de coller a la realite. La recherche de ses modeles definissent les sciences experimentales.

        Mais il est vrai qu a notre epoque la plupart des medias tendent a pervertir ce cote et a presenter la science comme une entite concrete et prouvee quel que soit son domaine. Et a oublier bien vite que toute nos sciences « physiques » ne sont basees que sur des postulats, ceux-ci ne reposant generallement sur rien mais collant de facon satisfantes (pour le moment) aux experiences que l on peut realiser. Ces postulats, au fil des decouvertes sont amenes a evoluer, a etre completer et pourqui pas un jour completement remis en question. Par exemple c est parce qu un morceau d ambre frotte de la laine contredisait la « loi » de la gravite qu on a invente l electrostatique. Et que dire du Big Bang presente et enseigne comme un fait, alors que celui-ci ne pourra jamais etre prouve et reste par la meme une theorie, certes fort probable mais une theorie tout de meme.

        A contrario les mathematiques ne peuvent etre contredites car leurs bases ne sont pas des hypotheses. En se developpant elles se donnent de nouveaux outils, a la fois pour elles-memes mais aussi pour les sciences experimentales qui peuvent ainsi etablir de nouveau modeles ou completer les anciens.

        tout cela pour dire que l amalgame des sciences axactes avec le reste de l article ne me parait guere a propos.

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