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Une génération vouée aux catacombes numériques

Le très récent vote de la chambre basse ayant validé le projet de loi n°1618 intitulé Loi Création et Internet, et plus communément encore Hadopi du nom de l’autorité administrative devant être mise en place, présente tous les risques d’une aggravation générationnelle irrémédiable entre ceux qui maîtrisent les nouvelles technologies de l’information et ceux qui s’en défient au nom d’une réaction morale comme d’intérêts économiques privés sous le couvert de la défense des droits d’auteur.

L’avènement d’un monde aseptisé

A travers les principes de précaution comme de sécurisation sans cesse martelés, le tout enserré dans un entrelac de dispositions législatives et réglementaires, c’est l’avènement d’une société spécifique qui se dresse au grand jour.

La sécurité comme la précaution sont des conditions somme toute normales et légitimes pour la pérennité de l’espèce humaine qui ne peut croître, ou très difficilement, dans un milieu mettant en péril sa survie. L’être humain étant un animal social, quoi de plus normal qu’il s’en remette à une entité supérieure pour lui garantir le droit à la vie.

Seulement le dysfonctionnement de cette entité est prévisible sur deux fronts : l’excès et le dévoiement. L’excès en ce sens que la volonté outrancière de sécuriser peut aboutir à juguler tout espace de liberté et celle de précaution à se défier de toute innovation. Et le dévoiement par l’utilisation des moyens mis à disposition pour assurer le bien de quelques uns au détriment de celui de tous. Si le dévoiement est un fait désagréable mais relativement erratique dans les sociétés, en revanche l’excès croit avec l’âge, le confort, l’accumulation de capitaux et de biens. Ce qui amène à la fameuse question générationnelle…

Le péché générationnel

Dans un monde idéal, les générations se passent le flambeau et la sagesse des anciens canalise l’intempérance des turbulents cadets par le savoir et conseils avisés.

Seulement dans une société où les liens traditionnels de solidarité ont explosé au profit de l’individualisme, y compris dans la sphère familiale, comment se transmet l’héritage de la connaissance ?
Réponse : par d’autres canaux de communication que les liens personnels. Et là nous en arrivons à Internet, le réseau des réseaux.
Or la démocratisation et rapidité de ces nouvelles technologies de l’information et de la communication sont telles que les générations précédant l’ère de l’informatique de masse ont des difficultés conséquentes pour assimiler l’évolution sociétale phénoménale en ayant découlé (malgré de louables efforts pour une partie de celles-ci).

Toutefois, par un effet logique de pyramide des âges comme de positions clefs détenues dans des secteurs stratégiques (médias traditionnels, politique, haute administration), ce n’est pas la génération informatique qui domine mais celles citées précédemment.

La fracture qui est intervenue par l’immixtion de la révolution informatique grand public a creusé un réel et profond fossé. Certes, la facilité des jeunes générations à se gausser de celles qui l’ayant précédé est hélas une constante qui tend fort heureusement à disparaître peu à peu dès que s’instaure une réflexion personnelle sur la vie et que les stigmates de l’âge s’imposent. Cependant, les nouvelles générations sont aussi porteuses d’énergie, de créativité et d’ingéniosité : des qualités nécessaires à toute civilisation afin de lui assurer pérennité et vitalité. L’éphémère durée de vie de l’être humain à l’aune de l’univers qui l’environne ne lui offre guère d’alternative que la passation de ces bribes de savoir arrachés à l’immensité de l’inconnu lui faisant face.

Or que s’est-il passé ce 12 mai 2009 ? Tout simplement l’aboutissement d’un matraquage réitéré d’une oligarchie refusant jusqu’à la caricature le dialogue et piétinant rageusement un espace de croissance économique comme culturel. Pédophilie, terrorisme, piratage : Internet était déclaré coupable de tous ces maux qui pourtant n’avaient pas attendu ce medium pour gangrener la société. Avec l’aide de médias traditionnels complaisant jusqu’à l’obséquiosité, le pouvoir répondant à des lobbies disposant d’appuis en haut lieu trancha sans faillir, au mépris des argumentations juridiques, techniques, économiques et sociales prodiguées par nombre d’experts patentés.

L’ouverture de catacombes bruissantes de ressentiment

C’est le réalisateur Eric Rochant dans un entretien accordé au journal Le Monde [1] qui donne un véritable récital où les cordes vocales vibrent d’une colère non feinte :
Cette loi est le symptôme d’un aveuglement, d’une stupidité archaïque face à l’angoissante vitesse du changement qui s’est opéré depuis quelques dizaines d’années. Aller contre Internet de la sorte, avec le bâton, le casque et les ciseaux, c’est aller contre la jeunesse, l’avenir, l’enthousiasmante créativité qu’Internet a libérée.
Et voilà que nos parlementaires, d’anciens ministres de la culture, le gouvernement français, la France, quoi, s’avance, imbue d’elle-même, certaine de toujours tenir le flambeau de la défense des droits divers, certaine d’être originale, inventive et supérieure, dans son rapport à la culture et à la création, la France donc, vient se ringardiser, tant au niveau technique qu’intellectuel, vient suggérer que désormais le monde peut avancer sans elle, ou plutôt malgré elle.

 
Un constat corroboré par Monique Dagnaud, directrice de recherche au CNRS, lorsqu’elle déclare : le débat Hadopi s’articule à des enjeux qui dépassent de beaucoup l’univers du Net, des enjeux qui touchent les rapports entre les générations. [2]
 
Alors que va-t-il se passer ? Une situation fort plausible : les utilisateurs les plus réactifs, les plus avisés et les plus vindicatifs vont s’enterrer dans les strates du net, développer des réseaux privés virtuels (darknets) ainsi que de nouvelles méthodes pour se dérober aux yeux inquisiteurs ou développer des attaques envers ceux les épiant et les traquant sans relâche. Mais dans leur esprit il deviendra clair que le pays où ils demeurent leur sera devenu un terrain hostile où la richesse est devenue moins une question de compétence que de naissance et où la novation n’entraîne que suspicion.

Un futur plus qu’hypothétique d’autant plus dommageable que la généralisation risque de s’étendre dans les esprits en agrandissant une des fractures de la société Française : une épreuve supplémentaire dont elle se serait bien passée en temps de crise. Car ne nous y trompons pas : le récent vote à l’Assemblée Nationale ne sera pas qu’une simple formalité, il dressera durablement une partie de la population envers l’autre. La révolution numérique qui aurait pu apporter un peu de bleu dans le ciel vient de se ternir considérablement, et qui sait si elle ne devrait pas dans un futur très proche virer au gris, voire pire… ?

[1] Edition du 12 mai 2009.
[2] Billet du 10 avril 2009 paru sur le site Telos.
 
Illustration photo : christosnyc

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6 réactions à cet article    


  • Marc Bruxman 16 mai 2009 13:14

    Sympa la photo, c’est dans le GRS ?

    Sinon d’accord avec l’article sauf que l’on parle ici de catacombes un peu bruyantes. De même que la visite des sous sols s’accompagnent d’ouverture de plaques d’égout plutot bruyantes sur les trottoir parisiens, l’existence d’une société duale séparée en communauté et qui va communiquer au travers de darknet ne sera pas sans conséquences visibles.

    Mais cela permettra aux vieux de s’imaginer que la culture qu’ils ont crées (« ah les années 60 ! Depuis on fait k’de la merde ! ») est éternelle, leur survivra, d’ailleurs les jeunes kiffent encore, la preuve on en parle à l’émission de Drucker.

    C’est toujours rassurant de croire qu’on a a laissé une emprunte éternelle avant de crever. C’est toujours beau de croire que les rêves de la jeunesse seront toujours le syndicat pour lequel papa a fait grêve. Que ses combats dépassent ceux de sa génération.

    Sauf que chaque génération nait, vit et meurt et avec elle une certaine vision de la société. HADOPI est une réaction à ce que les vieux voient comme une agression, une désagrégation de leur mode de vie, de leur controle politique, de tout en fait. Mais HADOPI n’accroit pas leur espérance de vie.

    Quand on voit des mauvais artistes que plus personne n’écoute si ce n’est les maisons de retraite, on se dit que tout cela ce n’est qu’un peu de bave en plus sur la moquette.

    Ce faisant croire que la révolution numérique allait créer le ciel bleu c’était être un peu naif. Une telle révolution déstabilise la société en profondeur car elle en remet en cause le modèle. Les vieux se crispent, les autres défendent leur nouvel outil et c’est rapidement la guerre ouverte.

    Et au final c’est bien la compétence qui gagne plus que la naissance. La vieille société est en train de voler en éclat. Les vieux torchons que l’on appelaient presse et qui n’informaient pas disparaissent du paysage à grande vitesse, le pseudo art des maisons de disque coule. Et d’autres chose vivent à la place.

    Bientot la canicule numérique !


    • Yannick Harrel Yannick Harrel 16 mai 2009 15:13

      Bonjour,

      Ah semblerait-il qu’il y ait un doublon avec l’adjonction d’illustration, c’est un petit peu gênant en l’occurrence...

      Sinon effectivement on va directement au clash avec cette loi, mais là où je diffère sensiblement de vous c’est que pour l’heure c’est plutôt une victoire de ceux qui n’entendent pas s’adapter au nouvel environnement qui disposent encore de moyens disproportionnés en matière de coercition. Sûr que ça donnera un petit côté kitsch par rapport aux autres pays évolués qui eux continueront d’exploiter tous les ressorts de cette révolution technologique : remarquez peut-être tenons-nous là un relais de croissance pour la France de se transformer en réserve touristique du monde pré-numérique...

      Cordialement


    • chlegoff 16 mai 2009 18:18

      Je me dois de réagir parce que j’ai plus de 50 ans et je dois donc me considérer comme un vieux au regard des nouvelles technologies.

      C’est vrai que les vieux de ma génération sont majoritairement complètement largués. Concernant les nouveaux modèles économiques naissants, je n’en connais pas un seul dans mon entourage qu’y les soupçonnes.

      Les résultats de l’élection présidentielle de 2007 sont très révélateurs du clivage des générations auquel nous assistons, surtout si dans ce scénario on considère que l’UMP jouait le rôle du conservatisme. Les plus de 70 ans ont plébiscités la majorité UMP à 68%. les 60 à 69 ans à 61%. Dans les autres catégories d’ages seuls les 24 à 34 ans ont donné la majorité à l’UMP, j’avoue ne pas avoir d’explications rationnelles mise à part peut être qu’a cet age là ils regardent beaucoup plus la télévision à cause des enfants. Il ne faut pas oublier que la quasi totalité des médias classiques et institutionnels roulaient pour l’UMP puisqu’ils appartiennent aux amis du Fouquet’s. De plus l’UMP bénéficiait des services d’une des plus grosses boites étasunienne de marketing (propagande) dont je ne me souviens plus du nom. (votez pour qui on vous dit de voter mais votez !)

      Se rajoute à cela l’oligarchie financière occidentale, celle là même qui organisait le déménagement des grandes fortunes françaises en Belgique avant les élections et qui détient tous les moyens d’asservissement et d’assujettissement économique et psychologique destinés à la population. Elle contrôle l’ancien modèle et n’a aucun intérêt à laissé perdurer la libre circulation des informations, de l’accès à la culture, ainsi que la liberté d’expression. On peut également accepter le fait qu’elle manipule quasiment tous les mouvements politiques et syndicaux. Ce qui expliquerait en partie l’évanouissement d’une véritable opposition politique et démocratique en France. (le vote du PS au sénat en première lecture d’HADOPI avant la contestation des internautes appel des questions).

      Face à cette volonté, brutale de surveiller et de contrôler Internet, 5 gus dans un garage, quelques geeks boutonneux et quelques idéalistes, ça fait pas beaucoup.

      Un vieux comme moi pourrait reprocher à la majorité de la jeunesse de faire mu-muse sur Internet, T’chatter via MSN, envoyer des SMS ou des MMS avec leur mobile, regarder Desperate Housewives à la télévision, jouer avec leur console ou en réseau plutôt que de profiter de ce merveilleux outils de culture et d’information qu’est Internet pour s’affranchir de leur condition et refaire le monde. Le meilleur système d’exploitation, libre et gratuit n’est utilisé que par 1% des Internautes. Qu’attend le jeunesse pour s’emparer de cette opportunité pour se libérer des profiteurs et privateurs de liberté de l’ancien monde ? il se décide en ce moment à Bruxelles un allongement de la durée des droits d’auteurs, etc. où se trouve le jeunesse pour se mobiliser contre ? Finalement les jeunes se comportent souvent en consommateurs passifs et captifs de quelques multinationales. Quelles proportion d’entre eux se sont mobilisés contre HADOPI ? Sont-ils plus sensibles à l’empêchement du téléchargement ou aux atteintes aux droits fondamentaux que porte cette Loi et celles à venir ?

      Le jour où l’oligarchie contrôlera Internet, et c’est bien parti pour, on découvrira comme par magie que les vieux se sont mis à Internet. Le nouveau monde ou nouveau modèle économique se crée sur la compétence et le savoir faire de quelque uns, mais pour développer une entreprise il faut des capitaux. Les détenteurs des capitaux sont plutôt partisans du Minitel 2.0. C’est à la jeunesse de s’imposer, les vieux sont déjà bouffés par le système. Les jeunes pourraient déranger s’ils refusaient de consommer ce que leur propose l’oligarchie et s’ils étaient moins fashion-victimes.

      Même si votre analyse est bonne concernant ce clivage générationnel, qui est naturel ne l’oublions pas, il est tout particulièrement exploité par les promoteurs d’HADOPI.

      Très bon article.


      • Yannick Harrel Yannick Harrel 16 mai 2009 18:51

        @Chlegoff

        Bonjour,

        Vos propos sur la jeunesse contient des accents de vérité que je ne puis contester sans faire montre de mauvaise foi. Le consumérisme à outrance * est en effet très (trop) répandu, et seule une minorité (active) a pris conscience des enjeux contemporains. Cependant c’est cette minorité active qui peut donner le la à une contestation d’envergure. Cette minorité étant créatrice de plus-value intellectuelle et/ou marchande, voyant d’un très mauvais oeil son espace de prédilection être mis en coupe réglée par la politique politicienne.

        De plus, si celle-ci devrait voir sa moyenne d’âge être particulièrement basse, elle ne devrait pas être rétive de l’apport de doctes et sages anciens tout à fait alertes sur les questions contemporaines, y compris technologiques.

        Pour le reste effectivement comme point de départ de cet article j’ai perçu lors des différents débats comme une volonté palpable d’enserrer une certaine partie de la population dans un corset répressif afin de rasséréner une majeure partie de l’autre. A ce petit jeu, ni l’une ni l’autre partie n’y gagneront hélas et seuls quelques happy few tireront réellement les marrons du feu.

        Cordialement

        * il serait passionnant de provoquer une étude ayant pour objet le fait que la consommation excessive et entrenue entraîne de pair avec la moraline empreignant la société actuelle une forme d’infantilisation des masses.


      • herbe herbe 16 mai 2009 18:58

        Le clivage générationnel est loin d’être le seul à prendre en compte amha.
        Pour moi c’est plutôt un problème de clivage entre tenants d’une position acquise (on va dire pour faire vite les conservateurs ) et ceux qui prônent un nouveaux modèle plus transversal moins traditionnellement hiérarchique et vertical. Entre ces deux camps c’est un clivage consommé.

        Il y a beaucoup d’exemples pour montrer que le clivage générationnel ne fournit pas l’unique grille de lecture :
        deux noms : le fils Dutronc (jeune pro Hadopi) le député venu ici sur avx ( sénior anti Hadopi).

        Si vous voulez voir des analogies avec une transition passée qui avait fait du bruit il y a l’histoire de la radio AM vers FM :

        http://www.framasoft.net/article3117.html
        http://fr.wikipedia.org/wiki/Edwin_Howard_Armstrong

        Et cette Bible pour décoder ce qui est en cours actuellement :
        http://www.wikilivres.info/wiki/Culture_Libre


        • patroc 18 mai 2009 10:40

           Bon article..

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