Vers la fin de l’Internet fixe illimité ?
Le monde des télécoms est à nouveau secoué par une annonce qui fait grand bruit ces derniers jours : la possible fin de l’illimité sur l’Internet fixe. A l’origine de cette polémique, la publication par Owni d’un document de travail de la Fédération française des télécoms (FFT), qui regroupe les principaux fournisseurs d’accès à Internet (FAI), laissant présager l’application de plafonds aux forfaits Internet illimité, sur le modèle de l’Internet mobile ou encore de ce qui se passe déjà dans les pays anglo-saxons (en Grande-Bretagne et aux Etas-Unis, les connexions sont plafonnées le plus souvent à 250 GO par mois). Le modèle économique d’Internet va-t-il passer de l’illimité au limité, tout comme il est en train de passer du free au freemium ?
L’Internet fixe va-t-il suivre l’exemple de l’internet mobile ?
Ce projet de la FFT, qui est une réponse à une consultation de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) sur la neutralité des réseaux, envisage de plafonner la connexion Internet à domicile. Le forfait actuel illimité cèderait donc la place à des offres différenciées selon le débit de la connexion (plus ou moins rapide) et le plafond de la consommation (de la bande passante). Ces nouvelles conditions pourraient apparaître à travers des nouvelles gammes forfaitaires, comportant des mentions « débit IP maximum » et « plafond de consommation ».
Les opérateurs télécoms appliqueraient ainsi à l’internet fixe le modèle de l’Internet mobile, où le débit est déjà dégradé au-delà d’un certain seuil de consommation (500 Mo, 1 ou 2 Go). Si le principe de faire quelque chose au-delà du plafond est bien acté, Yves le Moël, directeur général de la Fédération française des télécoms, précise que « rien n’est décidé » concernant la forme que prendront ces offres : « peut-être les opérateurs feront-ils des tarifs différents pour ceux-là ? Peut-être leur limiteront-ils la bande passante ? ».
Cette nouvelle orientation est justifiée par le même argument qui prévaut sur le mobile : optimiser la gestion du trafic, en faisant payer plus aux abonnés qui consomment le plus de données, pour faire face à la saturation des réseaux.
Un argument qui est cependant moins recevable que pour le mobile, dont les limitations physiques sont réelles, puisque la couverture est conditionnée au nombre d’antennes, contrairement à la fibre optique qui est beaucoup plus performante.
Le consommateur lésé ?
Une des premières critiques opposées à cette décision est l’atteinte au principe de neutralité du Net (principe selon lequel tout individu peut consulter ou émettre n’importe quel contenu et ce quelque soit son statut et sa localisation dans le monde). On voit en effet ressurgir la crainte nouvelle d’un Internet à plusieurs vitesses.
Selon les défenseurs de ce projet et d’une manière générale de la gestion différenciée du trafic, la nécessité de « gestion du trafic » justifie les atteintes à la neutralité du Net. Un argument déjà présenté il y a un mois par Jean-Bernard Lévy, patron de Vivendi « Nous pensons que, pour optimiser l'Internet, le trafic doit être géré de façon différenciée. », qui justifiait alors une des préconisations faite par les dirigeants du secteur « L’Europe doit encourager la différenciation en matière de gestion du trafic pour promouvoir l’innovation et les nouveaux services, et répondre à la demande de niveaux de qualité ». Un discours qui sonne faux pour ceux qui pensent que cette gestion différenciée servirait moins les intérêts des consommateurs que ceux des opérateurs.
Et au premier titre, le gouvernement qui, par l’intermédiaire de son ministre de l’économie numérique, Eric Besson, a rejeté l’hypothèse d'un plafonnement de l'internet illimité. Le ministre a déclaré dimanche à l’AFP que « le gouvernement n’envisage aucune restriction de l’accès à Internet » mais qu’il s’attelle plutôt « au développement du très haut débit fixe et mobile sur l’ensemble du territoire et pour l’ensemble des Français » (à travers notamment la mise en place de forfaits sociaux) et qu’il « travaille à encadrer l’utilisation du terme « illimité » par les opérateurs afin de protéger les consommateurs contre certains abus ».
Par ailleurs, certains voient dans l’invocation de la neutralité du Net un alibi afin de légitimer la différenciation des forfaits Internet. Une différenciation de la gestion de trafic qui, selon l’UFC-Que Choisir, ne se traduirait pas par des prix plus attractifs, mais au contraire par une augmentation du prix d’Internet. L’idée des opérateurs serait en fait de créer des formules de forfaits à géométrie variables pour rendre plus difficile la comparaison des forfaits d'un opérateur à un autre.
Enfin, si le plafonnement de la connexion Internet est instauré, les habitudes de navigation françaises se verront fortement bousculées. La France, qui offre un des accès à Internet les plus compétitifs au monde (offres quadruplay, sans aucun seuil de navigation, pour un prix unique et modique), ferait alors un retour en arrière de 10 ans. Et puis, la facturation au compteur remettrait en cause le développement de nouveaux services, comme la télévision connectée, la vidéo en ligne (dont la consommation devrait exploser dans les années à venir) ou le cloud computing (le stockage à distance des photos, vidéos et données personnelles).
Pour répondre aux inquiétudes, Yves le Moël a assuré, lors d’une interview au Figaro, que « l'utilisateur ordinaire d'Internet n'a aucune crainte à avoir », que si cette affaire venait à se concrétiser, la fin des forfaits Internet illimités concernerait uniquement les "net-goinfres", à savoir les « 5% à 10% de consommateurs qui utilisent 80% de la bande passante, car ils passent leur temps à télécharger des films, font de la vidéo en permanence, passent la journée sur Facebook avec de la vidéo, YouTube, Dailymotion ».
Les opérateurs se ravisent
Free et Numéricable, deux acteurs majeurs qui ne sont pas membres du lobby du secteur, se sont empressés de rappeler qu’ils ne sont en rien associés avec la proposition avancée par la FFT. Free a même exprimé ses réticences, en disant qu’il est "plus que réservé sur la pertinence d’une telle proposition", qui irait "à l’encontre des fondamentaux" de la société. En effet, c’est l'opérateur qui a bousculé le marché en 2002 en imposant le standard de l’illimité.
Face à la polémique, les autres opérateurs - Bouygues Télécom SFR et Orange - ont fait savoir qu’ils ne songeaient pas à abandonner l’illimité sur l’internet fixe. Un retour en arrière pour Orange et Vivendi (maison mère de SFR) qui pourtant s’étaient prononcés en faveur de la différenciation des offres et de la lutte contre les consommateurs qui monopolisent une grande partie de la bande passante. Un revirement de situation qui rappelle celui qui avait eu lieu plutôt cette année, alors que Free annonçait l’ajout de l’illimité vers les mobiles à ses offres triplay et que les autres opérateurs s’étaient alignés progressivement (respectivement SFR, Orange et Bouygues Télécom).
Vers un nouveau modèle économique d’Internet ?
Si ce projet est finalement enterré pour le moment, la gestion différenciée du trafic et plus généralement la neutralité du Net n’ont pas fini de faire parler d’eux. Le modèle économique qui a fait le World Wide Web est de plus remis en cause. Tout d’abord, l’ère du tout gratuit sur le web s’achève progressivement au profit d’un nouveau modèle : le freemium, un mixte du payant-gratuit. Les éditeurs de contenu sont de plus en plus nombreux à proposer une partie de leur contenu en accès payant. Une manière pour eux de revenir à logique de public (prêt à payer pour un contenu de qualité) et surtout de trouver un modèle économique viable. La tolérance au paiement étant plus forte sur le téléphone mobile, l’Internet mobile est particulièrement utilisé pour éprouver ce modèle et habitué les mentalités.
L’illimité connaitra-t-il le même sort ?
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