Je vous prie de m’excuser, j’ai oublié de répondre sur l’utilisation des pseudonymes. De tels textes existent également en France : pourtant, dans les faits, il est pratiquement impossible d’utiliser un autre nom dans la vie courante, et pour les professions soumises à un titre, il est impossible d’agir sous pseudonyme.
En droit, il existe souvent une règle et un nombre incroyables d’exceptions (renforcées par la pratique, cf le bulletin de salaire, ou les nombreux documents à fournir pour louer un appartement : même si la loi autorise à utiliser un autre nom, comment concilier ça si vous avez des documents à plusieurs noms différents ? Déjà que ça relève du casse-tête, pratique et non juridique, dans le cas d’une femme mariée qui vient de prendre le nom de son mari, je n’ose imaginer dans la pratique la coexistence de documents obtenus sous pseudonymes et d’un livret de famille ou extrait d’Etat civil). C’est le cas pour le nom en France, et je pense qu’il en est de même aux Etats-Unis, bien que je n’ai jamais eu l’occasion d’y exercer.
Il est intéressant de relier des éléments entre eux plutôt que de faire une analyse morcelée ; toutefois, cette fragmentation peut rendre le propos plus difficile à suivre et à commenter.
En préambule, je tiens à dire que je suis parfaitement d’accord pour préserver l’anonymat au maximum. Cet anonymat est un droit, mais comme tout droit, il ne doit pas dégénérer en abus.
Les comptes certifiés que vous évoquez sont réservés aux « stars » et « people » de tous horizons. La raison est simple : de nombreuses personnes créent des comptes au nom de personnalités, pour se faire passer pour eux, les ridiculiser, etc. C’est ainsi qu’on se retrouve avec 5 Mark Zuckerberg inscrits sur un même réseau social. Outre les problèmes de visibilité, il s’agit d’une pure et simple usurpation d’identité. Et les personnes dont l’identité est usurpée ont parfois la plainte facile... Afin d’éviter de se retrouver en procès, Google et Facebook prennent les devants, et n’autorisent ce genre de comptes qu’après une vérification en bonne et due forme. Il ne s’agit là que d’éviter de se faire taper sur les doigts pour cybersquatting.
Quand ces ténors du net parlent de virer les trolls, il est question d’éviter les hackers et les spammeurs, pas les personnes ayant des opinions « qui dérangent ». Internet n’est pas un lieu de non-droit : l’incitation à la haine raciale, l’assistance au suicide, les menaces de mort ou la diffamation sont des crimes, et ce n’est pas parce qu’ils sont commis sur le réseau que leurs auteurs doivent échapper à des condamnations. Il est normal qu’une identification judiciaire soit possible. (Et pourtant, avec un minimum de méthode et de connaissance des réseaux, il est très facile de falsifier son identité)
Quel serait l’intérêt de Google de lever l’anonymat de ses utilisateurs ? Offrir des publicités encore plus ciblées ? Quel besoin de votre nom pour cela, alors que vos données de connexion sont très faciles à recueillir et bien plus efficaces ? D’autre part, il est possible de désactiver le traçage dans les options de confidentialité. J’ai dû rater un élément dans votre lien, mais je ne vois nul par que Google vende des données nominatives sur ses utilisateurs à des régies publicitaires : une telle pratique serait contraire au droit français, et la CNIL veille au grain. Google est déjà dans le colimateur de nombreux organismes, et au coeur d’un nombre incroyable de procès pour ses différents services (et en tant que juriste, je ne peux que déplorer les fondements souvent totalement hors de propos et des décisions extravagantes des juridictions inférieures, trop contentes « de se payer Google » alors que le droit leur donne tort... Heureusement que la cour de cassation et la CJUE montrent plus de rigueur).
Je ne perçois pas dans quel dessin Google nous fliquerait (alors qu’un tel flicage est en revanche opéré par les FAI). Sommes-nous donc si importants ? Nos recherches sont-elles les piliers qui permettront à Google de prendre le contrôle du monde ? Je ne vois pas. Les Etats auraient bien plus intérêt à le faire, et ne s’en privent d’ailleurs pas. Et ils n’ont pas attendu l’avènement du net pour le faire.
Il me semble que vous évoquiez dans un de vos articles des chefs d’entreprise qui avaient interdit à leurs employés d’utiliser Google pour les communications sensibles. S’il est raisonnable de vouloir limiter les risques, Google n’en présente pas plus que n’importe quel service de messagerie, gratuit ou payant. Et il y a bien plus à craindre des hackers (qui l’ont prouvé ces derniers mois, sont capables de s’en prendre à la CIA ou au Pentagône) que des employés de Google. J’ai travaillé quelques temps dans une administration publique chargée d’aider des entreprises : même dans ce contexte, j’ai vu des patrons refuser de communiquer avec nous des données pourtant totalement inoffensives, à cause d’une réelle paranoïa totalement injustifiée. Je ne suis pas loin de penser que ces mêmes chefs d’entreprises pourraient interdire à leurs employés l’utilisation de Gmail, parce qu’ils n’ont pas confiance, sans se baser sur la moindre raison rationnelle.
Si la prudence est de mise, demander d’utiliser des noms « réels » (ou qui le semblent) pour faciliter la communication ne me semble pas alarmant. D’une part, parce qu’une crédibilité de façade suffit amplement aux Facebook et Google pour remplir leurs missions et leurs caisses. D’autre part, parce que ces mêmes services ont au contraire plutôt intérêt à multiplier les profils et les inscrits pour se vendre : est-ce bien grave que deux profils appartiennent à une même personne, quand en contrepartie on peut revendiquer 25 millions ou 700 millions d’utilisateurs ? La course au chiffre ne serait que freinée par une politique restrictive d’identité réelle systématique. Et enfin, la preuve d’une identité est totalement impossible : une carte d’identité ? Qui garantit que je suis bien le titulaire et que je n’ai pas scanné la carte de quelqu’un d’autre, ou modifié sous Photoshop ? L’analyse sémantique ? Il suffit d’introduire des fautes volontaires correspondant à une identité et de la systématiser (je l’ai déjà fait, c’est très simple, ne serait-ce qu’en faisant des fautes de syntaxe), et de modifier son style (je sais que j’utilise beaucoup d’adverbes en temps normal, il me suffit d’en enlever si je veux altérer mon identité). Le cerveau humain parviendra toujours à trouver des parades à des systèmes automatiques, et une analyse manuelle serait un véritable gouffre financier et temporel.
Je vous rejoins sur le thème de la prudence. Mais comme je l’avais écrit en réponse à un de vos autres articles, il ne faut pas céder à la paranoïa. Si vous ne voulez pas que quelque chose se sache, il faut faire comme dans la vraie vie, et ne pas le mettre sur Internet. Si on veut malgré tout mettre une information, il suffit de dissocier ses profils et de créer des identités crédibles qui répondent à des facettes particulières. Votre analyse, quoique intéressante, semble omettre un aspect essentiel : l’intérêt financier de Facebook et Google va à l’encontre d’une vérification systématique, au demeurant impossible (les profils vérifiés sont des exceptions, qui leur permettent d’éviter des procès, mais cela n’est rentable qu’à la marge et non en pratique généralisée). Et si l’intérêt financier ne suit pas, pourquoi une entreprise privée se donnerait-elle la peine de prendre une telle mesure, au demeurant impopulaire ?
Je suis tout à fait d’accord pour dire que la vigilance est de mise. Mais cibler spécifiquement Google me semble inadapté, dans la mesure où il s’agit d’une des boites qui en fait le plus pour la transparence et la préservation des droits et libertés de ses utilisateurs.
Je crois que tout ce problème peut se résumer par le bon sens : Internet n’est pas un lieu hors du monde, il n’en est qu’une excroissance. L’anonymat n’y a jamais été total (pas plus qu’il ne l’est dans la vraie vie, même si les nouvelles technologies en général permettent un fichage plus systématique), et il suffit d’appliquer les mêmes précautions sur la toile que dans la vraie vie : si on ne veut pas que quelque chose se sache, on n’en parle pas. Pour le reste, il suffit de hiérarchiser ce sur quoi on communique et de répartir ses messages dans autant de personnalités fictives, en veillant à bien les détacher (mais dans la mesure où une analyse linguistique ou des indices dans le texte permettraient de faire des recoupements, il faut surtout veiller à ne jamais dire quelque chose de vraiment « non divulgable »).
Cet article part effectivement dans beaucoup de directions à la fois, j’aimerais revenir sur quelques points.
"Il est d’ailleurs fort surprenant que Google et Facebook, entreprises
US, puissent annoncer de telles politiques de « noms véritables » dans un
pays où l’on peut exercer toute activité, à ma connaissance sans aucune
restriction, en utilisant le pseudonyme sous lequel on s’est fait
connaître et qui n’a bien souvent aucun rapport avec son état civil
« d’origine ».« C’est loin d’être le cas en France, et je doute que les Etats-Unis soient en reste sur ces questions : en France, outre les professions réglementées (tout le médical, le juridique...), la plupart des métiers vous demandent de vous identifier par votre vrai nom : le salarié pour recevoir son bulletin de salaire ou attester de ses diplômes, le chef d’entreprise pour son immatriculation au RCS... Dans la vraie vie tout autant que sur Internet, vous êtes fiché. Il n’y a guère que dans le milieu artistique que l’on puisse s’émanciper (un peu) de ce carcan. Et encore, je ne parle pas de tous les documents administratifs, ou dès que vous voulez obtenir un logement (en propriété ou location).
D’autre part, je trouve que votre stigmatisation de Google est disproportionnée à l’heure actuelle. Je ne dis pas qu’il faille leur confier aveuglément toutes nos données (il serait absurde d’accorder une confiance aveugle à un service, quelqu’il soit, propriétaire comme libre). Mais Google est bien moins »venimeux« que Facebook. Zuckerberg revend la moindre info à des régies publicitaires qui gravent notre nom dans leur registre. Google se »contente« d’appliquer des algorithmes à nos recherches et mails pour afficher une publicité plus ou moins en corrélation, mais un changement dans nos habitudes, et très rapidement les publicités changent avec, car le processus est automatisé (sans l’intervention d’un seul être humain) et anonyme, uniquement basé sur l’IP. De plus, il existe des fonctions pour protéger sa vie privée chez Google qui sont totalement absentes de Facebook.
Exemple typique, les photos. Sur Facebook, si quelqu’un prend une photo de vous, il peut vous »tagger" à loisir. Si ça ne vous plait pas, il faut vous détagger, mais cela ne peut se faire qu’a posteriori. Sur Google, vous pouvez choisir qui a le droit de vous tagger... et vous pouvez tout à fait dire que PERSONNE n’a ce droit sans votre accord. Vous pouvez également exporter toutes vos données, activer un plugin qui empêche de vous suivre, etc.
Il y a fort à parier qu’à mesure que ces pratiques vont se développer, des lois vont venir encadrer ce suivi fort désagréable (il y a déjà un projet du côté d’Obama).
Je n’ai malheureusement plus ce document sous le coude, mais un analyse financier démontrait avec brio à quel point Google se désintéresse de l’économie et des investisseurs (exemple : faire de lourds investissements juste avant un conseil d’administration, quitte à présenter un bilan déficitaire, simplement parce qu’ils avaient besoin de faire des investissements pour réaliser leur nouveau projet trop bien pour lequel ils n’ont aucun projet de rentabilisation). Google, à l’heure actuelle, est composé de geeks, et se dressent contre des sociétés bien plus classiques. Mais il ne faut pas s’y tromper : si Google commence à partir en vrille, les geeks qui l’utilisent s’en rendront vite compte, et comme ils représentent le socle, le fond de commerce, le noyau dur de Google, le retour de bâton ne se fera pas attendre.
Tant que Google reste éthique (et ils font vraiment beaucoup dans le domaine, surtout par rapport à Apple ou Microsoft), ils tourneront. Le jour où ils dérapent, ils le sentiront passer.
Encore une fois, je ne dis pas qu’il faille leur faire confiance aveuglément. Et un changement dans la direction peut survenir à tout moment. Mais, à l’heure actuelle, vos prédictions sont alarmistes au-delà du raisonnable.
Je n’ai effectivement pas lu « ceci » dans son intégralité, car très rapidement il se borne à une liste d’exemples qui n’apportent rien au fond du problème : vous pouvez totalement être anonyme sur internet si vous le désirez, ne serait ce que parce que Google ne va pas s’amuser à aller vérifier chaque profil un par un. Ce qui est condamné, ce sont les faux noms (Atila Ze Roxxor 912). Si vous vous inscrivez sous le pseudonyme John Atila, et que vous remplissez dans votre compte le champ « autre nom » avec « Atila Ze Roxxor 912 », vous pourrez même vous afficher avec en public. Ca ne vous empêche pas d’avoir un compte « Jean-Christophe Morel » à côté.
Les réseaux sociaux sont devenus quasi-obligatoires dans certaines professions, où ne pas avoir d’existence sur Internet est source de méfiance : quoi, vous avez quelque chose à cacher ? Un avocat qui ne publie pas, qui n’a pas de visibilité, n’inspire pas la confiance de ses clients. Mais il est clair qu’il vaut mieux ne pas exister sur le net plutôt que d’avoir une mauvaise réputation. D’autre part, certaines informations ne passent plus que par les réseaux sociaux, et pour être au fait de certaines actualités spécifiques, on est obligé d’y être.
La clé est dans la segmentation : j’ai plusieurs profils, avec plusieurs noms différents, qui correspondent à plusieurs activités sur le net. Ma vie personnelle est bien gardée, je communique sur mes activités juridiques sous un pseudo spécifique (avec une identité numérique complète... à vrai dire, sur le sujet j’en ai même deux, une pour la vitrine, où je reste totalement neutre et me borne à des commentaires d’arrêt, l’autre où je suis un peu plus libre dans ma parole), et encore une troisième identité pour mes activités annexes (cinéma, littératures, etc). Quand je veux dire quelque chose sur la toile, je choisis à qui je le destine, et je poste sous le profil correspondant. Je ne vois pas en quoi ma liberté est touchée (à la limite, la schizophrénie pourrait finir par me guetter...).
Si on doit pousser le vice plus loin, il suffit d’exploiter chaque identité sous un proxy différent, et vous voilà avec autant de personnes distinctes et bien réelles pour le grand méchant Google ou Facebook. La clé : un peu de méthode, tout simplement.