Article bien documenté, mais gâché par le parti-pris.
On retrouve dans au moins une partie de cet article une trame vue et revue : les Etats-Unis sont très méchants avec la Russie, mais celle-ci telle Zorro remportera aisément la partie.
Derrière ceci, un raisonnement simpliste :
1 - Nous n’aimons pas le capitalisme états-unien (il y a des arguments valables pour ceci).
2 - Donc nous aimons la régime de Poutine qui est son ennemi. Quitte à nous aveugler sur les défauts de ce régime.
3 - Et puisque nous aimons Poutine, c’est lui qui va gagner (cf. ’KO douloureux pour le dollar’ ou encore "Poutinemijote quelque chose, et, quel que soit ce qu’il mijote, cela surprendra tout
le monde et fera avancer les intérêts de la Russie et de ses alliés« ). C’est ce qu’on appelle prendre ses désirs pour des réalités. Chez les observateurs recherchant un minimum d’objectivité, personne ne se hasarderait à parier sur le nom du vainqueur, s’il doit y en avoir un.
Cette trame revient si souvent ... on dirait qu’un seul raisonnement stéréotypé est ressorti à chaque crise.
Quelques remarques sur les détails de l’argumentation :
Cette habitude de reprendre sans aucune réserve les thèses du maître du Kremlin : »les États-Unis ont imposé des sanctions afin de renverser le
gouvernement légitime démocratiquement élu à Moscou« . Parti-pris.
Poutine élu démocratiquement ? Réfléchissons : dans cette »démocratie« combien d’alternances démocratiques y a-t-il eu depuis la dissolution de l’URSS, soit en 25 ans ? Par alternance démocratique j’entends des élections amenant au pouvoir une tendance politique opposée au parti en place. La réponse est : ZERO. Eltsine, élu président de Russie en1990, est remplacé par son dauphin et premier ministre Poutine à la présidence en 2000, lequel est au pouvoir depuis cette date, de façon ininterrompue, soit comme président, soit comme premier ministre, grâce à la très démocratique manœuvre d’échange provisoire de postes avec Medvedev. ZERO alternance démocratique en 25 ans. En France dans le même temps, QUATRE alternances. Aveuglement.
On pourrait ajouter les dérives autoritaires dénoncées par les défenseurs des droits de l’homme, la presse contrôlée, le taux si élevé de mortalité parmi les journalistes ou hommes politiques critiques, etc, mais cela prendrait des pages.
Terminons par le jugement prononcé par Poutine sur Bachar el Assad : »C’est un dirigeant très décent ... et élu démocratiquement« , et nous connaîtrons le sens de »démocratique« pour Poutine. La famille Assad, au pouvoir sans interruption depuis 44 ans. Démocratiquement bien sûr. Certes l’Occident a des alliés peu fréquentables comme l’Arabie saoudite, mais au moins elle ne les présente pas comme de grands démocrates. Et bien sûr, s’il y a guerre en Syrie, la tyrannie interminable des Assad n’y est pour rien, pas plus que le soutien indéfectible, en armes notamment, que la Russie lui a apporté. C’est la faute aux E.U. bien sûr ! Parti-pris.
L’argument »À force de remplacer la force de la loi par le droit de la
force de manière universelle, les USA ont dilapidé tout le capital politique et
la crédibilité qu’ils avaient précédemment gagnée auprès des publics russe et
chinois" signifie-t-il que la force du droit prévaut en Russie et en Chine ? Aveuglement. J’en arrive à me demander si la fausse route que représentait le soutien de nombre de Français au stalinisme a servi de leçon.
En conclusion, dans cet article, que de compétences (en économie, géopolitique, ...), que d’engagement sincère et d’investissement militant, tous gâchés : une vision du monde déformée par le dogmatisme empêche toute remise en cause des injustices dans le monde : en effet ; pour changer la réalité, il faut la voir telle qu’elle est.
Par exemple dire que tout est rose en Serbie serait très exagéré. Mais il y a des signes qui valent plus que des discours : les Serbes sont tellement convaincus que l’occident est un méchant agresseur qu’ils élisent des gouvernements qui prônent ouvertement ... l’entrée dans l’UE. Ce qui est proprement inimaginable pour un lecteur qui n’aurait pas d’autre source d’information que ce genre d’article.
Autre exemple, les réfugiés syriens sont tellement effrayés par ces méchants européens qui les bombardent qu’il filent à l’unanimité en ... Russie. C’est bien ça ?
Et cette critique systématique et absolue de cet unique axe du mal que représenteraient l’occident et ses institutions (EU, UE, OTAN), calquée sur le propagande Russe (il suffit de lire régulièrement le site Sputnik pour s’en convaincre) semble avoir un seul résultat tangible, quoique non désiré : être un des facteurs ayant amené le FN à près de 30% des voix.
Pas d’accord donc avec vous, mais respectueusement quand même.
Choisir comme titre une phrase littérale de Poutine en dit long sur le parti-pris de l’auteur : « Pourquoi la Turquie a poignardé la Russie dans le dos ».
Ensuite il est affirmé « abattre le chasseur russe Su-24 sur le territoire syrien » : c’est la version russe. Comme si la Turquie n’avait pas une autre version des faits. Parti-pris.
Ensuite, le contenu de l’article est facile à résumer : la CIA et la Turquie font des vilaines choses, mais la Russie, elle, a des raisons (implicitement légitimes) de faire ce qu’elle fait et d’ailleurs, telle Zorro elle va vous le remettre au pas tout ce beau monde, vite fait bien fait. « De manière calculée, froide et rapide ». On est impressionné. Parti-pris permanent. C’est fatigant à la longue. Sauf pour les lecteurs qui ont le même parti-pris, et cherchent à conforter leurs certitudes plutôt qu’à les mettre en question.
La vérité vraie est que les Etats-Unis comme la Turquie comme la Russie interviennent pour défendre leurs intérêts propres, que celà s’appelait impérialisme à une époque, et que donc la Russie comme la Turquie comme Etats-Unis mènent une politique impérialiste en Syrie, et qu’il est illusoire d’opposer en permanence et à chaque crise les « bonnes » raisons" des uns (toujours les mêmes) aux noirs desseins des autres (idem). Une seule argumentation pour expliquer tous les problèmes de la planète, voilà qui est confortable.
Deuxièmement, s’il y a quelque chose sur quoi nous devrions être tous d’accord, c’est la grande menace pesant sur la paix en Syrie et plus largement, à cause de ces jeux de puissance - y compris de la part de la Russie.
Enfin, la jubilation que l’on sent bien dans l’article à l’idée d’une action punitive de la Russie confirme bien le sentiment général : ce n’est pas un article pour la paix, ni pour les droits de l’homme, ni pour proposer une solution aux souffrances des populations, ni pour aider le lecteur à réfléchir. C’est un article pro-Poutine, qui épouse toute l’argumentation de son régime. Le reste n’est que littérature.