Un irrésistible penchant philosophique me fait couper les cheveux en quatre, un indécrottable mauvais esprit me rend souvent taquin : j'en demande pardon aux lecteurs.
J'attends avec impatience vos remarques, contradictions et, pourquoi pas, approbations.
La filiation : c’est bien le seul enjeu du mariage pour tous. D’abord
parce que le l’union matrimoniale est un cadre légal de la filiation, et ensuite
parce que la loi précise : mariage et
adoption pour tous. Adoption et bientôt PMA, puis un peu plus tard, sans
doute, GPA.
La filiation et non le sentiment.
Le maire qui prononce des mariages n’interroge jamais les fiancés sur la
qualité de leurs sentiments, il se
borne à leur lire les passages du Code civil relatifs aux droits et devoirs des
époux et à l’autorité parentale. En réservant le mariage aux couples
hétérosexuels, la loi encore en vigueur n’interdit, évidemment, et encore moins
ne nie l’existence d’autres formes d’amour.
D’ailleurs, pourquoi voulez-vous donc faire reconnaître le « sentiment » par la
loi ? Seuls les êtres puérils, dont
vous n’êtes sûrement pas, ont besoin d’être approuvés et autorisés dans leurs
ressentis, pas les hommes libres. La loi ne s’occupe pas de nos émois, de nos
amours, et de nos embrassements, bien heureusement d’ailleurs : elle nous laisse
les vivre et les assumer en paix !
Sur ces sujets de méditation, je vous quitte et vous souhaite bonne route
dans la vie !
Comme vous le dites très justement, la Bible est une compilation de textes
antérieurs. (Merci pour l’info sur les dieux mésopotamiens et akkadiens !)
Une compilation, toutefois, retravaillée, réécrite et réinterprétée.
L’extraordinaire, justement, est que ce bric-à-brac improbable de poésies,
de codes juridiques, d’épopées, de chroniques, de proverbes, de contes, de
mythes, de prophéties et d’apocalypses, rédigées à des époques et des lieux
divers, puisse – malgré tout – avoir un sens, et tracer les contours d’un
certain rapport de l’homme à lui-même, à autrui et à la transcendance.
Des contours en tout cas suffisamment identifiables et originaux pour que
l’on puisse s’y opposer, et les critiquer. Ce qui n’a jamais manqué et ne
manquera jamais, rassurez-vous.
Mais, diable, je réalise soudain que je suis en train d’alimenter
l’éternelle polémique, typiquement française, entre le bouffeur de curés et le
calotin de service, dont nous sommes l’un et l’autre - ne trouvez-vous
pas ? - des exemplaires magnifiques.
Cette sympathique querelle est cependant hors de propos dans le débat qui
nous a réunis au départ, dont le sujet était, je vous le rappelle, le mariage
pour tous. J’en suis d’ailleurs le premier responsable : c’est bien moi
qui vous ai tendu une perche trop facile à attraper sur le judéo-christianisme.
Hors sujet, en effet, car si le christianisme a pu être précieux pour
transformer les rapports entre les sexes, en y enfonçant (si j’ose dire) le
coin de la liberté et de l’égalité, il est finalement fort peu utile, et
quoiqu’il en soit nullement indispensable pour défendre la filiation
hétérosexuée.
Vous êtes dans le vrai : le mariage en Occident est né en dehors de l’Église,
qui s’est contenté d’en faire un sacrement. Le mariage entre un (ou plusieurs)
hommes et une (ou plusieurs) femmes existaient et existe dans toutes les
cultures. La seule exception étant, je crois, les Na (minorité chinoise), qui n’ont
toutefois pas non plus, à ce que je sais, l’idée d’une filiation homosexuelle.
L’Église a donc encore moins inventé la filiation hétérosexuée – laquelle
est une évidence pour toute l’humanité qui nous a précédés et pour l’immense
majorité des humains qui peuplent aujourd’hui
notre terre. Évidence, nourrie de l’expérience partagée par tous (à l’exception
de quelques libérâtres occidentaux) de l’incarnation de l’humain dans son corps
– et donc dans son sexe. Cela a des conséquences sur la façon dont les êtres
humains pensent leur origine. La vôtre, comme la mienne, ne se trouve pas dans
le désir d’enfant (peut-être absent), mais dans la rencontre de deux semences,
principes, archétypes, aux natures complémentaires.
Petite remarque au passage, ce rattachement à la nature, paradoxalement, garantit
notre liberté : nous sommes beaucoup moins enfants de nos parents que du cosmos.
Nous n’avons donc pas de comptes à rendre à papa et maman, qui n’ont été dans
cette histoire que des instruments plus ou moins consentants. Dieu merci, leur
éventuel désir d’enfant ne leur donne aucun droit sur nous.
Comme tous les faits de culture, la religion reflète nécessairement l’état
de la société où elle s’épanouit : il n’y aucun doute là-dessus. La
question est de savoir si elle n’est que cela, se réduit à une
superstructure au sens étroitement marxiste, ou si elle contient aussi un élément d’universel.
Par exemple, le judaïsme fut la religion de bergers palestiniens, certes.
Mais de cela faut-il conclure que les textes bibliques n’ont rien à
dire aux citadins mondialisés, bien que ces derniers partagent avec les sujets
du roi Salomon, que je sache, la même humanité.
En tout cas, si le christianisme, comme vous le regrettez, s’est
imposé aux sociétés occidentales, c’est précisément parce qu’il n’en était pas
le pur produit. Il portait une parole autre qui a dérangé le monde tel qu’il était. Pour le mieux ou le pire : à
chacun d’en juger.
Quant à l’ « éviction des
femmes, leur mise sous tutelle totale », il y aurait quelques nuances
historiques à y apporter. Hildegarde de Bigen prêchant aux papes, Jeanne d’Arc,
la marchande parisienne qui (au XIIIème siècle) jouit du plus gros chiffre
d’affaire de la cité, l’amour courtois, etc, ne prouvent pas, c’est vrai, que
les sexes fussent considérés comme égaux, mais invitent tout de même à hésiter
avant de parler d’ « exclusion »
et de « mise sous tutelle
totale ».
Sur la Bible elle-même : elle contient, vous avez parfaitement raison,
des passages clairement misogynes, et d’autres qui se font l’écho de la
hiérarchie en vigueur au Moyen-Orient ancien. Ces textes ont été utilisés
ensuite dans le sens qui arrangeait les sociétés patriarcales.
Mais la Bible recèle aussi des textes fondateurs de l’égale dignité des
hommes et des femmes. Le fameux « il
n’y a plus ni homme, ni femme » (dans le Christ) de Paul et le récit
de la création (Genèse) de l’humain « homme et femme » sans hiérarchie
– Ève tirée du côté d’Adam (et non de la cuisse, ni du
pied) en étant un symbole très parlant.
L’on pourrait aussi évoquer les figures héroïques d’Esther, de Judith et
d’autres qui ne sont pas décrites comme des bécassines ni des bobonnes derrière
leurs fourneaux. Sans parler, bien sûr, de la fameuse Marie, couronnée
d’étoiles et habillée de soleil (Apocalypse de Jean), élevée au-dessus des
anges, dont le « oui » souverainement libre permit de sauver le
monde. Ce qui n’est pas tout à fait négligeable, vous me l’accorderez.
Me paraît intéressant le fait que les accents misogynes ou inégalitaires de
certains textes ne le sont pas davantage que ce que l’on peut trouver dans
d’autres écrits contemporains ou antérieurs, alors que les professions de foi
égalitaires, elles, sont – à ma connaissance – inédites. Et sont aussi - dans un monde où, comme le
montre fort bien Françoise Héritier, l’infériorisation des femmes s’impose
universellement - je trouve, révolutionnaire.
Votre propos - « seule était louable la chasteté » - mérite d’être nuancé : le mariage fut très longtemps considéré par l’Église, non comme un moindre mal, mais comme un moindre bien.
Le mariage était bon, la chasteté pour Dieu était meilleure.
Que le mariage et l’union charnelle fussent bons, il n’en pouvait être autrement, à moins de brûler une bonne partie de la Bible, voire la totalité. Ce que, heureusement pour nous, les théologiens et les papes se sont gardé de faire : l’on peut encore lire la Genèse, le Quantique des quantiques, le prophète Osée, parmi d’autres cris de joie devant la beauté de l’amour humain.
Au nom de cet enseignement, d’ailleurs, furent combattues pied à pied moult hérésies dualistes qui méprisaient la chair, le corps et la sexualité.
La théorie du gender est la dernière en date. Comme vous le dites très bien « le mariage gay est l’union de deux personnes différentes », mais non de deux sexes différents. Le sexe ne fait donc pas, dans cette perspective, partie de l’identité profonde de la personne. On retrouve ici la tendance dualiste, à séparer le corps de l’âme, la matière de l’esprit.
La question de l’ordre social et de ses systèmes de domination est autre. Je vous rejoins sans hésiter dans votre dénonciation du mariage bourgeois et, plus généralement, des mariages arrangés pour raisons sociales, politiques, ou patrimoniales.
Le fait que l’ institution cléricale ait plus ou moins toléré, voire cautionné, ces pratiques ne touchent en rien à l’anthropologie judéo-chrétienne.
J’ajoute pour terminer mon propos (provisoirement j’espère, mon cher Mmarvinbear !) que la différence des sexes et la filiation hétéro-sexuée, défendues avec force par le judéo-christianisme, ne lui appartiennent pas en propre : elle sont reconnues comme des évidences par toutes les sociétés connues (ce qui n’est pas le cas, bien entendu, de la monogamie indissoluble).