Historien militaire, plus particulièrement intéressé par les "sales petites guerres" de la Guerre Froide, ainsi que les conflits contemporains, les capacités opérationnelles des forces armées, ainsi que les questions de défense et de sécurité dans leur ensemble.
Votre avis sur la nature dictatoriale du régime russe, je la partage. Comme vous le dites, tout est là : culte de la personnalité, glorification de la force...
Cependant, je ne suis pas d’accord pour ce qui est de l’obligation d’une analyse politique. Le thème de cet article porte sur les capacités militaires des forces terrestres russes dans le cadre de l’intervention russe en Géorgie, sans rentrer dans le champ des considérations "pour" ou "contre" la Russie, en évoquant néanmoins la fissure qui s’élargit entre opinions publiques occidentales et russes.
Pour ce qui est de l’aspect "politique", j’ai souhaité répondre par un commentaire distinct.
Je ne m’extasie pas quant à l’efficacité de l’Armée russe. Je constate des faits, puis je les analyse à la lumière de ce qu’est la pensée militaire russe, de ce qu’est la pensée militaire "otanienne" et j’en déduis que, oui, l’armée russe retrouve son efficacité. Difficilement, mais sûrement.
Ce n’est pas en dénigrant la Russie, en considérant ses voisins - alliés ou favorables à Moscou - exclusivement comme des paysans illettrés que l’on ira vers une paix mondiale stable. Cela vaut pour tous les niveaux : du citoyen au décideur politique. Et il faut arrêter de considérer que parler de questions militaires, réfléchir sur le sujet, signifie être un belliciste forcené, agent de propagande en faveur de tel ou tel "camp".
Quant à dire qui est responsable de ce conflit, c’est d’abord la bêtise. Et au bilan, ce sont les civils qui ont le plus trinqué, qu’ils soient Ossètes du Sud ou Géorgiens.
Les T-72 SIM-1 qu’alignaient les Géorgiens étaient plus performants que ceux dont disposaient les Russes, car non-modernisés. La défense antiaérienne géorgienne s’est révélée particulièrement efficace.
Comparer l’armée géorgienne a une armée de paysans incapables, relève du cliché. Cliché qui d’ailleurs est méprisant à l’encontre des dits-Géorgiens. Avant le conflit, la croissance économique en Géorgie était importante, ce qui lui a, entre autre, permis d’augmenter dans de fortes proportions son budget de la défense.
En effet, le plan initial géorgien consistait vraisemblablement à bloquer la sortie du tunnel de Roki après avoir pris le contrôle de Tskhinvali. Pour s’emparer de la capitale d’Ossétie du Sud, les Géorgiens pilonnent la ville avec leurs pièces d’artillerie lourde, et des lance-roquettes multiples, puis, ils lancent une colonne de chars, soutenue par de l’infanterie mécanisée et motorisée dans la ville. Les chars semblent très vite avoir été coupés de l’infanterie mécanisée et motorisée, devenant alors très vulnérables aux groupes d’Ossètes du Sud, qui eux, profitent du terrain favorable à la défense. Le fer de lance de l’offensive géorgienne s’émousse alors dans des combats urbains, jusqu’à ce qu’il soit incapable de capturer la ville, puis de se ruer vers la sortie du tunnel.
Les pertes aériennes officiellement reconnues par Moscou s’élèvent à quatre appareils abattus : trois Su-25 Frogfoot (selon la désignation OTAN) et un Tupolev Tu-22M3R Backfire de reconnaissance électronique (Le Tu-22M3R est une plateforme ELINT - Electronic Intelligence). Dans la presse anglo-saxonne, spécialisée ou non, la destruction de cet avion est souvent mise en avant pour souligner l’absence de drones au sein des unités engagées en Ossétie du Sud. C’est une erreur : les missions imparties à un drone de reconnaissance tactique sont de loin différentes de celles qui sont confiées à un appareil de reconnaissance électronique. Les Américains disposent d’un avion équivalent, le RC-135 Rivet Joint.
Sa destruction aurait été provoquée par un missile 9K37M1 Buk-M1 selon la désignation russe, ou SA-11 Gadfly selon celle de l’OTAN. La Géorgie a acquis ces systèmes d’armes auprès de l’Ukraine, et certains spécialistes russes considèrent que pendant le conflit, les trois (ou quatre) batteries en service dans l’armée géorgienne étaient servies par des opérateurs ukrainiens, ou du moins, que le personnel était encadré par des Ukrainiens. Cela ne semble pas impossible dans la mesure ou les Géorgiens ont reçu cet armement seulement à partir de juin 2007.
Outre ces quatre appareils abattus dans les premières heures de l’engagement russe, trois autres auraient encore été détruits par la suite (pertes non-reconnues par les autorités russes) : un Su-24MR Fencer E de reconnaissance, un bombardier Su-24M Fencer D (équivalent du F-111 américain qui n’est désormais plus en service) et un autre avion d’assaut Su-25 Frogfoot. Ces avions détruits seraient à mettre au tableau de chasse de deux batteries de 9K33M3 Osa-AKM (SA-8B Gadfly). S’ajoutent trois Su-25 auraient quant à eux été endommagés par des missiles sol-air à très courte portée (SATCP ou MANPAD - Man Portable Air Defense ; des missiles anitaériens légers pouvant être tirés à l’épaule).
Qu’il s’agisse de quatre ou de sept appareils perdus, ces pertes sont lourdes (surtout en ce qui concerne le Tu-22M3R) au regard de la briêveté du conflit. La défense antiaérienne géorgienne était probablement la composante militaire de Tbilissi la plus efficace, notamment grâce aux instructeurs ukrainiens (ou au moins à la formation qu’’ils dispensèrent aux Géorgiens). A l’inverse, les systèmes de contre-mesures électroniques dont disposent les avions russes se sont révélés défaillants car trop anciens.
La Russie dispose de plusieurs missiles antiradars : Kh-25MP, Kh-31, Kh-58E, mais ils ne semblent pas avoir été utilisés. Les forces aériennes russes ont été incapables de s’assurer de la "suppression" du réseau antiaérien géorgien du fait de graves lacunes dans le renseignement et la guerre électronique (la localisation des points névralgiques de la défense antiaérienne de Tbilissi...).