J’ai oublié l’extrait de l’épistémologue Vincent Bontems, le voici
Cette orientation de pensée, correctrice et négative chez Bachelard, se
retrouve sous une forme constructrice et positive chez Simondon. Au
risque de rappeler des éléments bien connus, commençons par restituer le
cadre général de sa théorie de l’individuation. Celle-ci repose en
premier lieu sur le postulat (tout à la fois ontologique et
épistémologique) du « réalisme de la relation », qui accorde
non seulement valeur d’être aux relations antérieurement aux termes qui
se constituent au sein de ces relations, mais qui accorde, en outre,
valeur d’être à une relation élaborée entre deux relations ayant
elles-mêmes valeur d’être.
Ludovic BOT :
Deux propositions pour tenter d’actualiser la pensée de l’individuation
en physique quantique
L’intervention consiste à proposer deux hypothèses pour actualiser la
pensée de Simondon (singulièrement le chapitre 3 « Forme et substance »
d’ILFI) au regard d’évolutions conceptuelles en physique quantique que
Simondon ne pouvait guère anticiper. Première
proposition : le chapitre en question comporte quelques erreurs
sur la théorie de la relativité et accorde une grande importance à la
théorie de la double solution de de Brooglie, théorie aujourd’hui
obsolète. D’un autre côté, il est maintenant acquis qu’il n’est pas
possible d’interpréter ontologiquement la mécanique quantique de
Heisenberg-Schrödinger complétée par les prescriptions de Bohr pour la
mesure, sauf à dire que c’est une théorie de l’information et des
interactions et à aller très loin dans un réalisme des relations. Notre
première proposition consiste donc à rectifier les erreurs et à
appliquer nombre de propos de Simondon à la théorie quantique des
champs (TQC) et non à la mécanique quantique non relativiste de
Heisenberg-Schrödinger. La TQC serait alors une science des
corrélations entre événements dans l’espace temps et l’individuation
(la « réontologisation ») porterait sur ces événements. La mécanique
quantique de Heisenberg-Shrödinger serait lassée à son sort de théorie
purement formelle, ne parlant pas d’autre chose que ce dont elle parle
(selon le caractère tautologique de toute théorie axiomatique),
permettant aux physiciens de faire des calculs mais sans intérêt pour
l’ontologie ni la philosophie des sciences. Le préindividuel serait le
champ, en attendant la réussite des théories encore surrationalistes
visant à unifier TQC et relativité générale ; Seconde
proposition : il s’agit à une autre échelle de se servir de la
théorie récente de la décohérence pour penser l’individuation de la
fonction d’onde (préindividuel) vers l’objet classique (individu). Nous
savons que la théorie de la décohérence n’est en rien une solution en
soi au problème de l’interprétation ontologique de la physique
quantique de Heisenberg-Shrödinger. Mais nous soutenons que c’est le
cas dans une approche simondonnienne de l’individuation. L’effet de
décohérence fait passer continument (et non de façon discontinue comme
le prétendait Bohr) un système quantique vers un objet classique en
couplant deux ordres de grandeur : d’un côté, les interactions propres
au système quantique (relativement isolé de son environnement)
quantifiables en quelques multiples de la constante de Planck (h) et,
d’un autre côté, les interactions dues à l’environnement qui sont
quantitativement très importantes devant h. La théorie de la
décohérence résout ainsi en un seul effort le problème de la transition
quantique-classique et le problème de la mesure (c’est pour elle le
même problème). Les probabilités quantiques infinitésimales qui
subsistent après l’effet de décohérence, et qui remettent
potentiellement en cause l’interprétation ontologique classique que
nous proposons ici, deviennent dans une approche simondonnienne le
« reste de préinvidualité » qui subsiste après l’individuation de l’objet
classique. Cela constitue une réponse aux auteurs adeptes de la
décohérence mais qui dénient à ces probabilités infinitésimales toute
signification ontologique.
Ces deux propositions peuvent être prises séparément selon les
critiques que leur apportera le lecteur. Prises ensemble néanmoins,
elles impliqueraient qu’il faudrait penser l’individuation en physique
quantique directement du champ à l’objet classique. C’est là une
perspective encore très au-delà de notre propos et qui mériterait à
elle seule un programme de recherche.
Simondon (G.), 2005, L’individuation
à la lumière des notions de forme et d’information, Millon,
Grenoble.