Le capitalisme d’Etat est, en effet, un terme générique mais il me convient. Il est clair que ce terme est un terme originairement conçu pour dépeindre les régimes dits du « socialisme réel » (ou encore, en France, le capitalisme sous De Gaulle), mais comme Wallerstein le met bien en exergue dans son article sur l’indispensable état : « Le capitalisme n’aurait pu ni voir le jour sans une alliance active du marchand et du prince, ni se développer sans un constant soutien des Etats ». C’est sans doute un peu « fourre-tout », mais ça a le mérite, je crois, de casser certains mythes, ainsi que les contradictions simplistes « marché » vs. organisation.
Ensuite, peut-on assimiler Etats-Unis à un « Etat libéral ». Peut-être si l’on se réfère aux concepts classiques des sciences politiques. Mais, nous pourrions également attirer l’attention sur le fait que, même aux Etats-Unis, nous ne sommes pas dans un capitalisme purement concurrentiel où la régulation par le marché serait prépondérante. D’ailleurs, la crise des subprime n’a t-elle pas illustré ce constat ? Un état qui consacre la doctrine « too big to fail » (associété à divers dispositifs de renflouement) et dont on sait qu’il est toujours intervenu historiquement en faveur du monde des affaires dénote une certaine contradiction idéologique : n’appelle t-on pas ça l’interventionnisme libéral ? Mais, après tout, Etat libéral pourrait déjà constituer une contradiction dans les termes (à tout le moins pour les anarcho-capitalistes).
De manière plus synthétique, ce qui m’intéresse chez les auteurs dont nous parlions, concerne la reproduction sociale et ses réalités. Je le répète, aujourd’hui, ce phénomène est parfaitement documenté. D’ailleurs, en Belgique, la ségrégation sociale est encore plus implacable qu’en France ou en Allemagne.
Deux dernières choses...Tout d’abord, la critique que vous m’attribuez au sujet de la solidarité inter-classes est « déplacée » (par l’intermédiaire de vos jugements sur les travaux de Louis Chauvel) car s’il existe des réflexions sur les alliances de classe au sein même du marxisme (cf. jacques Bidet et Duményl) (et c’est là une réflexion qui intéressera surtout les gens de gauche), c’est une problématique différente du regard que l’on peut porter sur l’utilisation du discours bourgeois sur le « vivre-ensemble » (en tant qu’idéologie destinée à désamorcer ou déligitimer toute conflictualité à caractère social)
Ensuite et enfin, votre regard sur la notion de classe est très étrange. Reprenons simplement la haute bourgeoisie (pas spécialement des gauchistes vous en conviendrez), ne peut-on pas y voir (même dans votre conception) une « classe objective », dans le sens où « elle représente des individus placés dans des conditions d’existence homogènes leur imposant des conditionnements propres à engendre des pratiques semblables ». Ces individus possèdent en ensemble de propriétés communes : biens, habitudes de classe, pouvoirs, etc.« Les travaux des époux Pinçon ne sont-ils pas assez révélateurs à ce sujet. De leur point de vue, la seule classe »en soi« et »pour soi".
PS : des travaux sur l’extrême-gauche d’un point de vue de droite, il en existe (Philippe Raynayd, Raymond Boudon sont des références valides n’est-ce pas ?)
La reproduction sociale( dont la transmission du capital économique ne constitue qu’un des aspects contrairement à ce que vous semblez croire) est toujours un élément de la réalite, mais en plus c’est un phénomène qui s’est accru. De multiples auteurs ont travaillé sur la question (Alan Bihr justement qui en collaboration avec Pfefferkorn nous montre bien comment les inégalités s’enchevêtrent, se cumulent et font système. Sinon, vous lirez avantageusement Louis Chauvel ou encore Establet. En Belgique, puisque c’est là que vis, la reproduction est encore plus implacable : il faut lire les travaux éclairants de Nicco Hirtt) Je pourrais probablement proposer un article de synthèse sur agoravox.
Sur la question des dépenses publiques, c’est un effet un jeu de ping pong idiot entre idéologues, car comme l’a bien montré le marxiste anglais Harmann dans son article theorising neoliberalism, les dépenses publiques demeurent à un très haut niveau. http://www.isj.org.uk/?id=399
For these reasons, “neoliberal” is not in reality an accurate description of the operation of capital today. We are not faced with a reversion of the system to the free market capitalism that came to an end more than a century ago. Rather we face a system that attempts to deal with its problems by restructuring on an international scale of the units of the system that emerged in the course of the 20th century—units that Marxists called “monopoly capitalisms”, “state monopoly capitalisms”, or “state capitalisms”. States continue to play a central role in trying to facilitate or regulate this, even if the internationalisation of production makes this much more difficult that in the immediate post-war decades. (...) There have been repeated attempts by governments to cut back on social expenditures over the past three decades. Indeed in Britain struggles against cutbacks began much earlier than that.85 Yet the expenditures have gone on rising. How is that to be explained ? Part of the explanation has to do with struggles against the cutbacks.
Plus encore, sur votre vision de la société française comme une société où règnent les dépenses publiques, on se demande si elles ne sont pas le fruit du soutien de l’Etat aux kolkhoses ou encore de l’augmentation des prestations chômages liés aux licenciements massifs pratiqué par nos entreprises soviétiques.
Quant à votre vision de la sociologie, elle est en effet très schématique.Pour ne prendre qu’un exemple : Bernard Lahire et ses collaborateurs (proches de bourdieu) et d’autres encore opèrent un travail passionnant bien loin des caricatures que vous dresser de la discipline.
Pour réagir brièvement à votre réponse. je voudrais m’appuyer sur l’un de vos arguments.
Vous dites : Votre problème est que nous vous avons compris, que nous ne prenons plus vos discours au sérieux et que nous avons découvert l’arme suprême contre vos discours. Nous les répétons en les ridiculisant.
Si vous lisez attentivement mon texte, je m’interroge de la manière suivante : en effet, n’est-elle pas en train d’aboutir à une forme de « terrorisme intellectuel » avec ses propres effets de censure (probablement le produit d’une forme d’usure de la critique de gauche et l’affaiblissement de son impact sur le monde ?) et ses injonctions idéologiques
Je crois qu’il y a là, en effet, un problème évident au bénéfice de la droite, mais l’affaiblissement d’une théorie critique par l’usure temporelle (cf ? critique des archaïsme qui est aussi une grande tactique de la droite) ne signifie pas qu’elle soit fausse ou même qu’elle ne soit pas le reflet du « réel ». Prenons une théorie honnie de la droite et défendue par Bourdieu et Passeron en leur temps : la reproduction sociale et la critique de la méritocratie (on pourrait faire aussi le même exercice pour la notion d’exploitation). Aujourd’hui, ce phénomène général s’est probablement encore accentué. De sorte que la prétention à ridiculiser une thèse sur la base de sa circulation massive et appauvrie, réduite à quelques schémas simplistes, permet à peu de frais d’opérer un travail (comme je le supposais) de censure et d’auto-censure. En somme, une prétention qui permet de rendre la critique sociale « illégitime ». Heureusement, vous êtes là en embuscade pour reprendre ce poncif historique de la droite et de la gauche de la troisième voie sur le « vivre-ensemble ». Voilà bien une arme historique de la bourgeoisie n’est-ce pas (on pourrait multiplier les exemples) : laquelle déteste clairment ce concept et préfère ses « murs dorés ».
PS : votre compréhension de la théorie de marx me semble lacunaire pour quelqu’un qui s’estime « bilingue ». En somme, vous êtes très confus (classes sociales, création de la plus-value dans le procès de production, etc.). Il me semble au contraire que votre discours se rapproche plus des lubies libertariennes (quoique votre appel pour un équilibre entre intervention du marché et état est bien faite pour se donner un genre « modéré ») où la novlangue règne en maître.
PS2 : pour quelqu’un qui assimile la sociologie à une discipline de gauchiste méprisable, vous semblez aimer utiliser ses ressources. Il y a les bons et les mauvais chasseurs (dixit ’Les inconnus).
Ces temps-ci, la droite « laxative » n’a jamais été aussi indécente et raciste. Bizarrement, lorsqu’on lui met le nez dans sa merde, elle n’a jamais autant pratiqué le déni sarcastique en guise d’arguments. Ses mécanismes de défense sont foutrement bien construits faut l’avouer.
La bonne conscience s’exprime aujourd’hui dans les thèses de la droite décomplexée. Aujourd’hui, elle a même théorisé ce phénomène, ça s’appelle (petit sourire en coin) « mal-penser ». Il y a une sorte d’aveu dans cette novlangue.
Vite un psychanalyste !
Pour reprendre un autre concept d’orwel, il y a quelque chose qui aurait dû se déployer dans les commentaires précédents, mais qui aurait sans doute fait trop « chochote », c’est ce qu’il appelait la « common decency ».