Bonjour ! Pour ma part, je suis antispéciste ou, en tout cas, opposé au spécisme. Il ne s’agit pas de dire que les humains sont des animaux comme les autres, qu’un humain « vaut » un rat ou un cochon, ou que sais-je encore. Il s’agit de prendre acte simplement que nos différences d’avec les autres animaux, aussi importantes soient-elles, ne sont pas pertinentes d’un point de vue moral pour qu’on considère que nos intérêts doivent primer sur eux, autres êtres sentients. Le fait d’être d’une autre espèce n’est pas en soi un critère pertinent (pas plus que d’être d’une autre race ou d’un autre sexe, d’être moins ou plus âgé, etc.) pour traiter quiconque sans considération (pour moins prendre en compte ses intérêts que les nôtres propres), et de même les critères « cognitifs », mentaux, moraux, ne sont pas du tout pertinents : il n’y a aucune raison de moins bien traiter quelqu’un qui est moins intelligent, moins sociable, qui se projettte moins dans l’avenir, qui a moins de capacités d’abstraction (etc.) que quelqu’un-e comme vous et moi qui possède pleinement ces capacités-là. L’intelligence ou la raison (ou le libre-arbitre) ne sont pas des raisons pertinentes pour moins bien traiter quelqu’un-e – ce qu’on accepte aujourd’hui (ça n’a pas toujours été le cas) volontiers quand on pense aux petits enfants, aux personnes séniles ou gravement handicapées mentales. Bref, le spécisme (et la différence de traitement entre humains et autres animaux qu’il tente de légitimer) n’est pas défendable, justement, d’un point de vue rationnel, car il repose sur des critères arbitraires. Il est indéfendable. Du coup, cette exploitation des animaux qui en découle n’est pas justifiable, elle est injuste. Et la souffrance et les vies gâchées des animaux sont un problème aussi important que les souffrances et vies gâchées des humains. Cela ne signifie pas du tout considérer, comme je le disais au début, que « un humain = un rat ». Il s’agit bien plutôt de cesser de jouer dans la cour des hiérarchies. L’éthique ne prône pas de prendre en compte les intérêts de tous les êtres sentients parce que « un-rat-vaut-un-humain-vaut-une-poule-vaut-un-poisson-vaut-une-crevette ». Il s’agit, vraiment, de cesser de raisonner en termes de « valeur des êtres » pour simplement considérer l’importance des intérêts de chacun, en refusant de considérer une quelconque échelle d’essence (de nature) qui octroierait une dignité. Une valeur n’existe pas en soi (un être simplement « supérieur » n’existe pas) : non seulement une valeur n’existe que comparativement, mais une évaluation n’a de sens qu’en fonction de critères déterminés. Qui est supérieur, du chimpanzé ou de l’humain ? Un chimpanzé est-il supérieur (dans l’absolu) à un humain parce qu’il a une meilleure mémoire visuelle ou qu’il parvient, lui, à sortir une cacahuète d’un tube ? Comment peut-on passer de comparaisons portant sur des capacités définies à des considérations de valeur indéfinies, si ce n’est en imaginant des essences (des natures) hiérarchisées dont ces capacités seraient les marqueurs ou les révélateurs ? Ce que nous disons, c’est que ces histoires de « supérieur », d’« égaux », « inférieurs » n’ont pas de sens : elles aussi sont indéfendables rationnellement. Cette vieille échelle des êtres, qui infuse notre culture depuis 2500 ans et qui est responsable de tant d’atrocités (racismes, guerres, esclavages, mais aussi sexisme, âgisme, spécisme...) ne vaut rien d’un point de vue logique, et nous devrions cesser enfin de faire reposer tout notre édifice social sur elle, et la reléguer aux poubelles de l’histoire. Ça ne nous met pas en danger, bien au contraire : cesser de considérer qu’il y a des inférieurs et des supérieurs, pour considérer qu’il faut se préoccuper de façon similaire des intérêts de tous sur Terre, c’est sans doute là que se niche le véritable progrès moral (et, espérons-le, politique) des siècles qui viennent. C’est cesser de nous prendre (en tant qu’humains) pour des Dieux ou des Etres supérieurs, ou pour l’Espèce élue, et simplement considérer que nous sommes des animaux, c’est-à-dire, des êtres vulnérables, comme les autres animaux (de ce point de vue), et que nos capacités mentales plus importantes et nos capacités sociales extrêmement développées peuvent être utilisées de façon solidaire et non plus dominatrice. Bref, il y aurait tant à dire sur le sujet... Si ce que je vous dis là vous interpelle un peu, je vous suggère de lire, soit le (tout) petit livre de Peter Singer, L’Egalité animale expliquée aux humains (téléchargeable gratuitement sur le site des éditions tahin party : http://tahin-party.org/singer.html ; ou commandable pour 4 euros, je crois), qui fait bien le point sur les idées de base que j’ai trop rapidement expliquées ici, ou bien, paru cette année aux Presses universitaires de France, La Révolution antispéciste, qui apporte plein d’idées et d’infos (infos sur la sentience et la conscience chez les autres animaux et en général ; analyses de ce qu’est le spécisme ; et de ce qu’une remise en question du spécisme peut apporter de façon générale à notre civilisation). (mais il est à 18 euros !). Car c’est bien d’une sacrée révolution dans nos manières de voir dont il est question. Et on ne peut pas dire qu’elle n’est pas fondée en raison, en logique... Bien amicalement !
Pendant que j’y pense, vous reprenez une erreur qui est faite par Aymeric Caron dans son livre : "De l’éthique animale découlent deux grands courants : le
conséquentialisme et le déontologisme, c’est-à-dire d’un côté ceux qui
luttent pour l’amélioration du bien-être animal et de l’autre ceux qui
réclament la fin pure et simple de l’exploitation des animaux (cf. Antispéciste pp.151-161). Parmi les premiers on trouve les welfaristes ; les autres sont abolitionnistes.« En fait, il s’agit d’une schématisation fausse ; de nombreux utilitaristes sont abolitionnistes (c’est mon cas), et ça ne m’étonnerait pas que des déontologistes soient parfois welfaristes.
Par ailleurs, je trouve important de dissocier question animale (et antispécisme !) et écologie : la première se préoccupe de prendre en compte les intérêts des individus sentients (sensibles, qui éprouvent sensations et émotions) et la seconde de leur environnement. Les deux sont liées, bien sûr, mais pas toujours de façon simple. Surtout, les animaux ne sont pas à prendre comme des »éléments naturels« ou des »éléments de l’environnement« , comme nous le répète l’idéologie spéciste, mais bien comme des individus à part entière, existant pour eux-mêmes et par eux-mêmes. La »défense de la nature« procède d’un autre type de questionnment que directement éthique, et devrait être à la défense des animaux ce qu’est la »défense de la culture (ou de la société)" à la défense des droits humains. Une conséquence, mais pas la même chose, et encore moins quelque chose de premier, de plus important.
Depuis 1991 existe en France une revue théorique et militante excellente, les Cahiers antispécistes (http://cahiers-antispecistes.org) qui a publié de très nombreux textes fondamentaux sur le spécisme, sur l’égalité animale, sur la distinction d’avec l’écologie, etc. Je renvoie les lecteurs/trices à ce site, qui est une mine d’informations et de réflexions.
je trouve vraiment bien cet article, mais avec un bémol toutefois ; vous écrivez :
« Il existe deux types de réactions de la part des consommateurs face à la résistance animale : être solidaire des animaux en devenant végane ou ne pas changer ses habitudes et essayer de justifier ce phénomène en se convaincant que c’est une exception (« cette vache-là voulait vivre »). »
Cette insistance sur ce qu’on peut faire en tant que consommateur, à force, laisserait supposer que la seule réaction qu’on peut avoir face à l’exploitation animale serait une réaction de consommateur ; mais la réaction la plus importante me paraît être, non pas de simplement s’abstenir de cautionner l’exploitation animale, non pas de devenir objecteur de conscience, mais combattre activement cette exploitation, se solidariser activement, publiquement, collectivement pour faire reculer cette exploitation en se battant à un niveau social, culturel, politique. Ce n’est pas dans le secret du frigo de notre cuisine que se joue la libération animale, mais dans l’arène publique.
Je crois qu’il faut arrêter de se polariser sur ce côté « individuel » de ce qu’on peut faire pour les animaux ; de toute façon, une personne qui est sensibilisée à ce que subissent les animaux modifiera ses habitudes de consommation. Par contre, si on lui présente toujours le fait de devenir vegane comme l’alpha et l’omega de ce qu’elle peut faire pour les animaux, on n’ira pas loin...