J’ai personnellement entendu ce type de discours pas mal de fois. En fait il y a un angle qui n’est jamais adopté dans le parallèle entre info écrite et info électronique, c’est que si il y a crainte des journalistes papier, c’est parce que internet a virtuellement étendu l’espace des médias jusqu’à l’infini. La question qui se pose au bout c’est jusqu’où la pléthore d’informations qui en naît peut être compatible avec la réalité presque mathématique des besoins du public, qui compose avec des tonnes de sources, et comment ce véritable brouillard d’information peut permettre, ici ou là, l’installation de projets viables. Ce n’est pas anodin, parce que cette mutation des voies de passage de l’info s’opère sur un fond de crise de la légitimité des journalistes particulièremetn sévère. Du coup la question revient à se demander ce qui fonde l’identité de ces projets viables : leur modèle économique ou la nature de leur action ? ça change le point de vue. Il y aurait beaucoup à dire sur le penchant de certains à théoriser sur les modèles économiques sans poser en amont le travail de réflexion que la profession a à accomplir sur elle, et peut être aussi sans voir les solutions qui sont déjà à l’œuvre sous leur nez du côté de la presse spécialisée où l’expertise se paie cher. Toujours est-il que ces théoriciens ont tous un point commun : l’impossibilité de repérer des solutions qui résistent au temps les amène à finir par parler du mécénat. Why not, mais c’est quand même mince.
L’idée d’un conseil de l’Ordre est en effet dans l’air du temps. Problème, là où en est la profession (une bonne moitié qui s’en fout, le reste se partageant entre les cyniques de service, les petits malins, ceux qui rament sur internet, ceux qui étouffent dans leur peau de journaliste, ceux qui se mettent à cogiter), le risque serait que cette instance se trouve aussitôt récupérée par ceux par qui la crise a pu se développer, et qui, il faut le savoir, sont aujourd’hui à l’affût du premier train réformiste qui se présentera.
La leçon que donnent tous ces gens qui sur les forums bastonnent sur les journalistes, parfois de façon caricaturale, mais d’autres fois de façon pertinente, c’est que les journalistes ne s’en sortiront pas sans remettre à plat l’intégralité de leurs instances, comme vous le pointez d’ailleurs, ni sans faire un agionamento complet de leur façon de se penser dans la société. Je n’ai pas à revendiquer de position particulière car je ne suis qu’un individu là-dedans, mais si nouvelles instances il y a, il faudra qu’elles puissent être saisies par la profession et les citoyens ; Enfin, en voyant la débilité des propositions faites par les têtes de pont des médias, il semble que ce qui manque le plus aujourd’hui, ce sont des concepts, et à ce titre des philosophes, des sociologues des médias seraient bien avisés de prendre part au débat.
En tant que journaliste, je partage votre réaction indignée, mais je lui trouve deux défauts. Le premier est de s’appuyer sur des syndicats de la presse, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont été très discrets ces dernière années, période où les éditeurs ont démoli toutes les digues de la profession. Ainsi, le communiqué que vous citez intervient alors qu’un sentiment d’incrédulité se levait sur le terrain face à une énième charte du journaliste, émanation d’états généraux de la presse conduits par les politiques et tournés de manière obsessionnelle vers l’évacuation de la responsabilité morale des éditeurs, sans que ces syndicats ne trouvent là matière à mobiliser.
Le second est de ne pas voir, pour des raisons qui m‘échappent eut égard à la pertinence de votre analyse, sur quelle toile de fond plus générale s’inscrivent les dérives que vous dénoncez. Car enfin, il faut quand même revenir aux sources du malaise. Quand une société se fabrique des professionnels de l’information et les entoure de codes éthiques censés leur fournir un minimum de sens collectif, c’est parce qu’elle croit dans la nécessité des contre-pouvoirs, et accessoirement qu’elle veut se regarder exister le plus fidèlement possible. Mais quand cette même société anéantit la corporation qu’elle a créée, la précarise, la rend dépendante du marketing et du commercial, cela veut dire qu’elle n’a que faire du contrat moral qui la lie à ses concitoyens et que les médias ne lui apparaissent plus que comme des instruments de propagande. Dès lors, la dénonciation de la capillarité entre information et communication politique (j’ai connu l’ORTF quand j’étais gamin...), ou celle des fric frac de quelques notables de la presse, si elle est légitime, ne suffit pas, ou alors elle représente une volonté d’éviter de mettre les pieds dans le plat politique en chargeant le journaliste de tous les maux de la terre.
Juste un exemple pour montrer les paradoxes du débat ; J’ai le souvenir d’une photo prise pendant la dernière campagne présidentielle. On y voyait Sarkozy en cow-boy camarguais, s’adressant du haut de son cheval à une forêt insensée de perches de preneurs de son. Des dizaines et dizaines de perches qui convergeaient vers son visage cool et satisfait. On pourrait dire que c’était l’image de l’instrumentalisation des médias et refermer le chapitre. Sauf que la photo existait, qu’elle avait été prise comme un feed-back par un reporter photographe , et qu’elle avait été publiée.
Alors Il est très intéressant de multiplier les angles d’attaque sur la crise du journalisme, encore faut-il que chacun d’entre nous soit bien conscient que ce sont autant d’angles pour aborder notre crise sociétale. À partir de là, la critique portera fort.