En tant que journaliste, je partage votre réaction indignée, mais je lui trouve deux défauts. Le premier est de s’appuyer sur des syndicats de la presse, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont été très discrets ces dernière années, période où les éditeurs ont démoli toutes les digues de la profession. Ainsi, le communiqué que vous citez intervient alors qu’un sentiment d’incrédulité se levait sur le terrain face à une énième charte du journaliste, émanation d’états généraux de la presse conduits par les politiques et tournés de manière obsessionnelle vers l’évacuation de la responsabilité morale des éditeurs, sans que ces syndicats ne trouvent là matière à mobiliser.
Le second est de ne pas voir, pour des raisons qui m‘échappent eut égard à la pertinence de votre analyse, sur quelle toile de fond plus générale s’inscrivent les dérives que vous dénoncez. Car enfin, il faut quand même revenir aux sources du malaise. Quand une société se fabrique des professionnels de l’information et les entoure de codes éthiques censés leur fournir un minimum de sens collectif, c’est parce qu’elle croit dans la nécessité des contre-pouvoirs, et accessoirement qu’elle veut se regarder exister le plus fidèlement possible. Mais quand cette même société anéantit la corporation qu’elle a créée, la précarise, la rend dépendante du marketing et du commercial, cela veut dire qu’elle n’a que faire du contrat moral qui la lie à ses concitoyens et que les médias ne lui apparaissent plus que comme des instruments de propagande. Dès lors, la dénonciation de la capillarité entre information et communication politique (j’ai connu l’ORTF quand j’étais gamin...), ou celle des fric frac de quelques notables de la presse, si elle est légitime, ne suffit pas, ou alors elle représente une volonté d’éviter de mettre les pieds dans le plat politique en chargeant le journaliste de tous les maux de la terre.
Juste un exemple pour montrer les paradoxes du débat ; J’ai le souvenir d’une photo prise pendant la dernière campagne présidentielle. On y voyait Sarkozy en cow-boy camarguais, s’adressant du haut de son cheval à une forêt insensée de perches de preneurs de son. Des dizaines et dizaines de perches qui convergeaient vers son visage cool et satisfait. On pourrait dire que c’était l’image de l’instrumentalisation des médias et refermer le chapitre. Sauf que la photo existait, qu’elle avait été prise comme un feed-back par un reporter photographe , et qu’elle avait été publiée.
Alors Il est très intéressant de multiplier les angles d’attaque sur la crise du journalisme, encore faut-il que chacun d’entre nous soit bien conscient que ce sont autant d’angles pour aborder notre crise sociétale. À partir de là, la critique portera fort.