Bonjour,
Permettez moi de reprendre quelques points ici dans le désordre.
D’une part, je voudrais signaler que l’article de Michaël ne portait pas a priori sur le « généticisme » des généticiens, qui font probablement preuve de plus de prudence (je l’espère) que M. Sarkozy, mais bien du généticisme de monsieur-tout-le-monde, et qui donc relève plus de l’idéologie et de la croyance, que du savoir « objectif ». Donc, certains des commentaires qui vont suivre sont probablement hors-sujet par rapport à l’article. Cependant, il y a certains points qui méritent d’être débattus, notamment ceux concernant le rôle de l’idéologie dans les sciences (« dures » ou sociales).
« Une théorie scientifique doit décrire des mécanismes permettant d’expliquer des faits, être féconde pour la recherche et offrir la possibilité de tests de réfutation. C’est le cas de la génétique. »
C’est également le cas de la psychologie sociale. Libre à vous de demander à Michaël ses différents questionnaires de généticisme, et d’intolérance, de le faire passer à une centaine de personnes, de traiter les résultats, et d’en tirer vos conclusions. Les recherches en psychologie sont aussi soumises à ses critères de réplicabilité et de « réfutabilité ».
« Les concepts utilisés dans une étude scientifique doivent être en cohérence avec la problématique intrinsèque du domaine et ne pas être contaminés par des considérations idéologiques ou morales. C’est le cas par exemple du concept de »code génétique« , ce n’est pas celui de »généticisme« dont on va montrer par la suite qu’il est corrélé à des concepts immoraux. »
Les questionnaires utilisés permettent tout autant de montrer une corrélation avec des comportements de tolérance, et d’ouverture, bref, des comportements « moraux », qu’avec des comportements contraires, « immoraux ». Le truc, c’est que la corrélation entre la croyance au déterminisme génétique et les comportements « moraux » est négative, et qu’elle est positive avec les comportements « immoraux ». Il ne faut pas confondre ce qui est fait pendant la recherche, et ce qui est résumé dans le présent article. D’ailleurs, avez-vous lu la recherche de Keller ou celle de Dambrun, pour tirer des conclusions aussi hâtives ?
Cependant, il est vrai que, comme soulevé plus haut, les recherches de Keller et de Dambrun ont probablement été faites avec des non-spécialistes comme participants de l’expérience. Généralement, ces études utilisent des étudiants à l’université comme participants. Mais pourquoi ces étudiants à l’université seraient moins spécialistes de la génétique que le futur présidentiable dont il est question ici ?
Pour revenir sur la question de la scientificité, le problème le plus important dans la science est que, même en sciences dures, comme la génétique, les recherches sont guidées idéologiquement. Un chercheur qui veut trouver des différences génétiques entre 2 groupes de personnes à de fortes chances de les trouver, alors que celui qui cherche à montrer qu’il n’y a pas de réelles différences, risque également de trouver ses résultats. L’avantage de la psychologie sociale, et des autres sciences sociales, par rapport aux sciences dures est qu’elles savent qu’elles sont guidées par l’idéologie du chercheur, et qu’il faut lire les résultats avec précaution, en prenant en compte cette dimension.
Le fait de penser la science comme idéologiquement neutre n’émancipe nullement de l’influence de l’idéologie dans la science. La recherche scientifique, tant qu’elle sera faite par des humains, sera teintée idéologiquement (soit par un intérêt politique, ou par un intérêt financier, ou même par l’intérêt propre du chercheur qui d’une part doit publier -ou mourir-et qui d’autre part ne peut pas se permettre de publier des résultats qui viennent contredire ses 15 dernières années de recherche). A mon avis, seule la conscience de cette idéologie permet de pouvoir lutter contre. Si les sciences dures, et surtout la biologie, mais pas uniquement, ignorent la composante idéologique qui vient teinter l’interprétation des résultats, on risque pas mal de sur-interprétations, et toutes les dérives qui en découlent (dont certaines ont été soulevées dans les commentaires).
« La croyance abusive, en l’état de nos connaissances, dans le rôle des gênes comme déterminants de la personnalité et des comportements doit être combattue par les moyens scientifiques fournis par la théorie génétique. »
Il est donc nécessaire que d’autres sciences, comme l’épistémologie, la sociologie des sciences, ou la psychologie sociale, s’interrogent sur ces sujets, et viennent tirer la sonnette d’alarme en montrant que, parfois, les croyances de certains viennent orienter les recherches qu’ils font, et les résultats qu’ils trouvent (ou du moins, l’interprétation de ces résultats). L’avantage de la psycho sociale, est qu’elle peut fournir des « preuves » empiriques de ce qu’elle avance. Une fois que cette ingérence de l’idéologie dans la recherche scientifique a été mis à jour, il est plus facile pour les généticiens de se poser la question de savoir comment leur idéologie va teinter leurs recherches. On demande aux chercheurs de faire une déclaration d’intérêts (pour qui la recherche a-t-elle été faite ?, y-a-t-il un brevet à la clé ? qui finance ? etc.) avant de publier dans les revues scientifiques comme Nature, Cell ou Science, parce que l’intérêt de l’organisme financeur est de ne pas publier de résultats contradictoires. Pourquoi ne leur demanderait-on pas une « déclaration d’intérêt idéologique », puisque c’est l’intérêt même du chercheur de ne pas publier de résultats contraires à ses idéaux ?
Cordialement,
Fabrice.