Retour sur les propos de M. Sarkozy lors de sa rencontre avec M. Onfray
Les propos de M. Sarkozy sont-ils potentiellement dangereux et source d’intolérance ? Certains n’ont pas hésité à les qualifier d’eugénistes. Est-ce la réalité ? Outre les avis idéologiques de chacun, y a-t-il des éléments scientifiques sérieux qui soient susceptibles d’éclairer ce débat ? La réponse est clairement oui.
Avant d’apporter quelques éléments scientifiques sur la problématique qui nous intéresse, rappelons brièvement les propos de M. Sarkozy lors de son dialogue avec M. Onfray pour Philosophie Magazine.
Propos de M. Sarkozy : « J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense. »
Les propos de M. Sarkozy sont-ils potentiellement dangereux et source d’intolérance ? Plusieurs éléments scientifiques sérieux permettent de répondre à cette question.
Récemment, des chercheurs en France et en Allemagne ont réalisé plusieurs études scientifiques qui examinent très exactement la relation entre un discours « généticiste » et l’adhésion à des attitudes intolérantes. Le « généticisme » peut se définir comme la croyance selon laquelle les gènes sont les principaux déterminants de la personnalité et des comportements. Dans cette perspective, dans la mesure où ils confèrent à la pédophilie et au suicide une origine génétique, les propos de M. Sarkozy sont clairement généticistes. Dans une étude réalisée en France (source : Dambrun & al., 2007), nous avons mesuré les scores de généticisme et d’intolérance de 259 personnes. La mesure permettant de calculer un score d’intolérance était constitué d’une échelle de racisme, d’une échelle de sexisme et d’une échelle d’hostilité envers les pauvres. Ainsi, pour chaque sujet, nous disposions de son score d’adhésion au généticisme et de son score d’adhésion à des attitudes intolérantes. Les résultats sont très clairs ; plus les sujets adhèrent aux généticisme, plus ils sont intolérants. Les relations sont statistiquement très significatives. Autrement dit, plus les individus pensent que les gènes sont les principaux déterminants de la personnalité et des comportements, plus ils sont racistes, plus ils sont sexistes et plus ils dénigrent les personnes économiquement pauvres. Une collègue de l’université Mannheim en Allemagne trouve exactement les mêmes résultats avec des mesures différentes (voir Keller, 2005). Afin de s’assurer qu’il existait bien une relation de cause à effet entre le généticisme et l’intolérance, Keller a réalisé une expérience en laboratoire très intéressante. Dans cette expérience, des personnes volontaires étaient assignées aléatoirement à deux conditions expérimentales différentes. Dans la première condition, les sujets devaient lire un article qui rendait saillante l’importance des gènes chez l’homme (condition pro-généticisme). Dans la deuxième condition, d’autres sujets lisaient un texte neutre (i.e. condition contrôle). À la suite de la lecture de ce texte qui était soit « pro-généticiste » soit neutre, tous les sujets devaient répondre à des mesures d’intolérance. Les résultats sont très clairs : les sujets qui ont lu le texte pro-généticisme deviennent significativement plus intolérants que les sujets qui ont lu le texte neutre. Autrement dit, l’adhésion au généticisme déclenche de l’intolérance. Ici, la relation causale est clairement établie.
Concernant notre question de départ, les propos généticistes de M. Sarkozy sont-ils potentiellement source d’intolérance ? Idéologie mise à part, les résultats scientifiques actuellement disponibles indiquent une réponse claire que je vous laisse libre d’apprécier.
Plus généralement, sur la base de plusieurs travaux, les chercheurs pensent aujourd’hui que le généticisme est une idéologie à part entière qui essentialise les différences entre les personnes et les groupes et dont la fonction est de justifier et de maintenir les inégalités sociales. Prenons un exemple, le cas des plus avantagés et des plus démunis. Un discours généticiste consiste à dire que ces personnes sont par essence différentes ; la qualité de leur patrimoine génétique serait qualitativement différente. Si les plus avantagés sont par essence supérieurs aux plus démunis, il est donc tout à fait normal que chacun occupe la place qu’il occupe. Il ne faut donc rien changer (i.e. statu quo et maintien des inégalités).
Mais une question vous vient sans doute à l’esprit : y a-t-il oui ou non de réelles différences qualitatives en terme de gènes entre les groupes qui composent la société ? Certains groupes seraient-ils génétiquement mieux dotés que d’autres ? Sur ce point, il est difficile de trouver une réponse scientifique qui ne soit pas teintée d’idéologie ! Pour les intéressés, je vous renvoi à un article scientifique en accès libre qui traite de cette problématique (http://www.uiowa.eduwww.uiowa.edu/%7Egrpproc/crisp/crisp.10.13.html). Toutefois, je ne crois pas mentir en disant qu’aujourd’hui, la grande majorité des scientifiques experts dans le domaine s’accorde pour dire que, de façon générale, les gènes et l’environnement sont en étroites interconnections. Dans la mesure où ils sont fortement interdépendants, il est vain de chercher à les différencier. Le débat « inné-acquis » semble donc être un faux débat.
Michaël Dambrun
Références :
Dambrun, M., KamiejskiKamiejski, R., Haddadi, N., & Duarte, S. (2007). Why does social dominance orientation decrease with university exposure to the social sciences ? The impact of institutional socialization and the mediating role of « geneticismgeneticism ». European Journal of Social Psychology. (Manuscript under review)
Keller, J. (2005). In genes we trust : The biological component of psychological essentialism and its relationshipsrelationships to mechanisms of motivated social cognition. Journal of Personality and Social Psychology, 88, 686-702.
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