Et le pire, c’est que la période actuelle se caractèrise par une perte d’autonomie des chercheurs et par une prolifération des faux scientifiques. Lire, entre autres, cet article d’Isabelle Debergue :
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=9933
Le scandale chronique des résultats scientifiques falsifiés : crise du lobbying et des pouvoirs discrétionnaires
L’affaire des résultats falsifiés sur le clonage de cellules souches humaines à l’Université de Séoul nous est souvent présenté, en France, comme un cas isolé, un problème « coréen ». Mais les résultats falsifiés étaient parus dans la très prestigieuse revue américaine Science. A présent, on nous parle également d’une « douche froide pour les ambitions technologiques chinoises » (Nouvel Observateur, 16 mai) du fait qu’un jeune chercheur en informatique formé aux Etats-Unis, qui avait annoncé la mise au point d’un nouveau processeur digital, s’est avéré être un faussaire : il semblerait que « la pression (soit) trop forte sur les scientifiques chinois ». La réalité est que ces affaires sont loin d’être les seules qui secouent depuis longtemps les institutions scientifiques au niveau mondial, et pas spécifiquement en Chine ou en Corée. Un peu partout, de nombreux résultats falsifiés ont passé sans difficulté le barrage des « comités de lecture » dans les principales revues internationales. Les auteurs de ces faux sont invariablement des chercheurs connus et devenus influents, pas des « marginaux ». L’exemple coréen constitue, précisément, une poignante illustration de la crise profonde que traverse le monde scientifique dans l’ensemble des pays industrialisés. Mais pas seulement : il s’agit en réalité d’un problème plus global de notre société, celui des effets néfastes du lobbying, des pouvoirs discrétionnaires et de l’immunité institutionnelle.
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Dans tous les pays industrialisés, les hiérarchies des institutions académiques et scientifiques sont super-protégées par leur condition de détentrices du pouvoir de décerner des diplômes, par leurs liens directs avec le milieu des décideurs, par leur participation à de nombreuses activités au sommet de l’Etat et des grandes entreprises privées, par leur osmose avec les plus puissants secteurs de l’Etat, leurs contrats industriels, leur contrôle dans l’ensemble d’importantes administrations avec des budgets très conséquents... Qui les contrôle vraiment, qui ose les censurer ? Personne, sauf rares exceptions. En général, on fait confiance au « jugement par les pairs ». Mais, de nos jours, le « jugement par les pairs » est devenu le lobbying des personnes influentes, à l’échelle nationale et internationale. Si quelqu’un est détenteur d’un pouvoir significatif, « on lui fait confiance », et c’est réciproque. Mais avec une telle logique, l’évaluation scientifique, le contrôle administratif... ne peuvent que dépérir. Le pouvoir devient alors, de fait, discrétionnaire, et incontrôlé, le corporatisme des coupoles aidant, et quoi qu’en disent les textes statutaires que l’on affiche pour la galerie.
Il va de soi, d’ailleurs, que ce problème d’immunité institutionnelle n’est pas circonscrit aux institutions scientifiques. Mais les événements récents, y compris en France, mettent en évidence le développement au sein de ces dernières d’une crise devenue d’autant plus profonde qu’il ne semble exister aucune volonté politique de s’y attaquer. En 2005, les Français ont assisté à la mise en examen de trois importants établissements universitaires et scientifiques en rapport avec l’affaire de l’amiante de Jussieu (voir le site du comité anti-amiante), au constat de la faillite des experts dans l’affaire d’Outreau (parmi lesquels se trouvait un professeur directeur de laboratoire), à la montée des tensions au sein des instances dirigeantes du CNRS qui a abouti à la démission du président début janvier et à un changement de directeur général deux semaines plus tard... Dans un communiqué se plaignant de cette dernière mesure, l’équipe de direction sortante défendait ses orientations dans le sens d’un renforcement du « management ». Précisons qu’une fonction de « directeur scientifique général » du CNRS avait été créée pour la première fois par décision du 30 juin 2005, séparée de celle de directeur général et sous sa tutelle. Ce qui ouvrait la voie à l’accès de non-scientifiques à la direction générale, dans la logique corporatiste de la « haute fonction publique ».
Partout, ce semble être la course au pouvoir et à l’influence, la volonté de les préserver et de les renforcer, que peuvent aggraver des enjeux industriels et financiers peu transparents, qui se trouve à l’origine de cette crise institutionnelle générale. Mais si c’est cela qui compte... qui a intérêt à travailler et à créer, au lieu de « gérer » ?