Loi Hortefeux : l’autorisation des études « ethniques » va renforcer le communautarisme en France
Le projet de loi défendu par Brice Hortefeux a soulevé beaucoup de polémiques sur les tests ADN ou sur l’exclusion des sans-papiers à un logement d’urgence. Mais une autre disposition aurait dû aussi susciter un débat qui n’a étrangement pas eu lieu.
Ce mardi 16 octobre 2007, la commission paritaire rassemblant quatorze parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat va statuer sur la loi Hortefeux et leur chambre statuera en séance publique respectivement le 22 et le 23 octobre 2007.
En effet, comme le texte adopté par le Sénat est différent de celui adopté par l’Assemblée nationale, une commission paritaire doit se mettre d’accord sur le texte final acceptable des deux chambres.
Cette réunion est donc d’autant plus importante que la procédure dite d’urgence empêche une seconde lecture à l’Assemblée nationale.
Certes, le suspense est faible puisque le Premier ministre François Fillon a annoncé le 15 octobre 2007 que le gouvernement soutenait l’amendement Mariani sur les tests ADN adouci par le Sénat.
Malgré les protestations très vives de personnalités de tous bords (gauche, centre, mais aussi UMP avec Dominique de Villepin et François Goulard, par exemple), un grand rassemblement à Bercy le 14 octobre 2007 et plus de deux cent mille signataires à la pétition contre ces tests ADN, François Fillon et Brice Hortefeux semblent être confortés par un sondage qui donne 56 % des Français approuvant cette disposition.
Cependant, cette disposition ne doit pas cacher non plus une autre disposition du projet que je considère, elle aussi, très contestable : la possibilité de recourir à des statistiques dites ethniques.
D’ailleurs, la Secrétaire d’État chargée de la Ville, Fadela Amara, l’avait aussi évoqué lorsqu’elle avait lancé le "dégueulasse" à la figure du gouvernement le 9 octobre 2007 : « ça aussi c’est un autre combat. Je ne veux pas qu’on définisse les gens en fonction de leurs origines, de leur religion. Créer des catégories de population c’est dangereux ».
Si le fait que Fadela Amara se maintienne au gouvernement avec une telle loi reste pour moi l’un des mystères de la politique actuelle (le président Sarkozy exercerait-il une sorte de fascination ?), elle a cependant eu raison de parler de ce point-là car il aurait pu passer inaperçu.
De quoi s’agit-il ?
L’article 20 du texte voté par le Sénat et également voté par l’Assemblée nationale parle en effet des : « traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration (...). Lorsque la complexité de l’étude le justifie, la commission peut saisir pour avis un comité désigné par décret. Le comité dispose d’un mois pour transmettre son avis. À défaut, l’avis est réputé favorable. ».
Jusqu’à maintenant, les études sur des critères d’origine sont interdites sauf dans des cas ponctuels où la CNIL doit donner l’autorisation.
La CNIL explique ainsi : « Le recueil de données relatives à l’origine raciale ou ethnique réelle ou supposée dans le cadre de la mesure de la diversité doit être en l’état écarté. En effet, il n’existe pas à l’heure actuelle de référentiel national de typologies "ethno-raciales" ».
La loi est d’ailleurs assez sévère puisque la France, dans l’article 226-19 du Code pénal, interdit la « mise ou conservation en mémoire informatisée sans le consentement exprès de l’intéressé, des données à caractère personnel qui, directement ou indirectement, font apparaître (notamment) les origines raciales ou ethniques ».
Ainsi, l’an dernier, le ministère de l’Éducation nationale avait remis le débat sur les rails en demandant une enquête basée sur l’origine ethnique, suscitant déjà quelques polémiques.
Le débat n’est donc pas nouveau.
Mais pourquoi est-il aujourd’hui silencieux ?
Certains estiment que c’est une fausse querelle menée essentiellement par des démographes pour accroître leur notoriété. Ils font remarquer par exemple que l’utilisation du pays de naissance non seulement de la personne enquêtée, mais également de celui de ses parents n’est pas nouvelle et donne une idée claire des l’intégration des immigrés.
Selon François Héran, directeur de recherche à l’INED, « l’étude des origines peut remonter au lieu de naissance des parents à condition de s’effectuer dans le cadre d’une étude anonyme et spécialisée où sa pertinence scientifique et sociale est avérée. L’appréciation de cette pertinence ne dépend pas seulement des sociologues ou des démographes qui conçoivent l’enquête, elle doit émaner aussi d’institutions telles que le Cnis et la Cnil, qui représentent à leur manière l’ensemble du corps social. ».
I. Arguments pour les études "ethniques"
I.1. Lutter efficacement contre les discriminations
Les promoteurs des études statistiques se servant de ces critères d’origine évoquent souvent le besoin de visibilité pour lutter efficacement contre les discriminations.
L’Union européenne a en effet demandé (avec raison) à tous ses pays membres de lutter le mieux possible contre toutes les discriminations dans tous les domaines de la vie et, principalement, dans l’emploi et le logement.
Des démographes comme Patrick Simon (de l’INED) et des hommes politiques, notamment Nicolas Sarkozy quand il était le ministre de l’Intérieur, s’étaient prononcés en faveur d’un "comptage ethnique" en affirmant vouloir ainsi lutter contre les discriminations.
I.2. Favoriser la diversité dans les entreprises
Autre argument, c’est la possibilité de mesurer la "diversité" dans les entreprises. C’est d’ailleurs très étrange que cette notion très américaine (que je connais très bien pour avoir collaboré au sein d’une grand groupe américain) arrive en France dans un système social totalement différent.
Chaque année, les groupes américains ont un chapitre concernant la "diversity" dans leur rapport annuel, et c’est l’un des critères de réussite ou d’échec de l’entreprise.
La philosophie générale est d’ailleurs très intéressante. Il s’agit de rassembler dans une même entité le maximum de personnes d’origines, de cultures et de méthodes très différentes afin de l’enrichir et d’en faire une entité encore plus performante.
La France qui est beaucoup trop uniforme dans son mode de pensée a évidemment intérêt à prendre exemple sur ces différences qui renforcent et non qui affaiblissent.
Et c’est apparemment la victoire de l’équipe de France de football à la Coupe du monde de 1998 qui aurait fait prendre conscience de l’enjeu de la diversité dans les entreprises.
Mais l’utilisation statistique de ces données est fort discutable dans la tradition républicaine qui veut qu’un Français doit être pris en considération en tant que tel et pas en tant que membre d’une communauté particulière (ethnique, religieuse, sexuelle...) comme c’est le cas aux États-Unis.
II. Arguments contre les études "ethniques"
Ainsi, je vois quatre problèmes posés par la possibilité qu’ouvre la loi Hortefeux à des études sur des critères ethniques.
II.1. La définition des critères
Comme l’expliquait la CNIL, la définition des critères d’origine est très partielle. Or, les scientifiques chargés de réaliser des études doivent absolument naviguer sur des critères objectifs et fiables (dont la définition ne changent pas d’une étude à l’autre).
Trois approches sont possibles.
D’une part, une information sur l’ascendance. Elle est déjà amplement utilisée. Lieu de naissance des parents, voire des grands-parents. C’est une approche objective et rationnelle qui ne semble pas faire l’objet de contestation.
Ensuite, l’origine déclarée. Là, cela devient nettement plus subjectif. Surtout lorsqu’on ne peut choisir qu’une seule case et qu’on a plusieurs origines à la fois. Par exemple, des jeunes Français d’origine maghrébine sont des maghrébins en France, mais considérés comme des Français au Maghreb.
Enfin, l’identité "ethno-raciale". Par exemple, basée sur la couleur de la peau. Pour Patrick Simon, cette information est importante puisque les Antillais peuvent aussi être victimes de discriminations. Mais ce critère est encore plus litigieux que le second puisque, par exemple, un Kabyle qui a une peau très blanche pourra se sentir plus proche d’Algériens que de Français ou inversement.
Ce dernier critère a été utilisé dans des époques très sinistres comme l’esclavage, la colonisation ou l’Occupation sous Vichy.
II.2. La tradition républicaine face au communautarisme
Il ne s’agit pas d’agiter un chiffon rouge avec marqué "République" dessus. Il s’agit de rappeler quelques valeurs qui, jusqu’à maintenant, avaient fait consensus en France.
Je me souviens avoir assisté il y a une dizaine d’années à l’Institut d’études politiques de Grenoble à une conférence du sociologue Alfred Grosser qui avait commencé par le problème de sa propre identité : est-il Allemand ? est-il Français ? (Il a quitté l’Allemagne pour la France à l’âge de 8 ans).
Et de conclure qu’il n’avait pas UNE identité, mais de multiples, sa nationalité, son sexe, sa religion, son lieu de naissance, son opinion politique, son métier, sa sexualité, etc., et que vouloir les réduire à ses seules origines tronquerait sa personnalité.
C’est bien là le problème du communautarisme, c’est celui de ne prendre chaque individu non pas comme un tout complexe, mais par un seul aspect. Le représentant d’une sexualité, d’une religion ou d’une origine ethnique. Alors qu’un individu se distingue plutôt par ses actes, ses mérites, ses études, ses opinions, bref, par ses spécificités individuelles... beaucoup plus que par des éléments qui sont innés.
Permettre plus généralement (et non plus ponctuellement) des études "ethniques", c’est faire une brèche dans cette considération des personnes.
Et là, il s’agit bien d’un débat sur les valeurs, sur l’évolution qu’on souhaite de la société française.
Car les dérives peuvent survenir très rapidement.
II.3. Dérives vers le marketing "ethnique"
La dérive est déjà bien en place.
Ainsi, les entreprises de cosmétiques ont déjà fait réaliser des études sur les besoins ou envies des consommatrices en fonction de la couleur de leur peau (c’est compréhensible pour le maquillage évidemment).
Un site internet vante ainsi les études liées à l’origine : « Comment se décrivent-elles ? (origine ethnique, couleur de la peau, état de la peau, état du cheveux, fréquentation des instituts de beauté et salon de coiffure) ».
France Télévisions vient même de diversifier l’évaluation quantitative de son audience par Médiamétrie en cherchant une mesure qualitative, notamment par une étude sur l’origine de ses téléspectateurs, jugeant que « le panel "ethnique" est réclamé par "les annonceurs et les agences médias" ».
On peut imaginer que l’autorisation des enquêtes basées sur les origines (comme le prévoit le projet de loi Hortefeux) va multiplier ce genre d’études à simple but consumériste, renforçant mécaniquement les discriminations sociales en rendant l’offre économique plus axée sur ce qui différencie plutôt que sur ce qui rassemble.
II.4. Dérives vers le fichage des origines
L’autre point qui est très contestable concerne la finalité de telles études.
Parfois, elles sont anonymes et permettent sans doute une meilleure visibilité sur une situation sociale donnée encore que si les critères sociaux ne sont pas couplés, l’intérêt scientifique sera rapidement nul.
Mais pour d’autres enquêtes, les formulaires sont nominatifs, et c’est là le danger. Pour des enquêtes de grande ampleur organisée par l’État comme le recensement, il n’y a pas trop de souci car les procédures sont claires et strictes et mises en œuvre par les municipalités (pas sous-traitées).
En revanche, c’est peut-être moins le cas pour, par exemple, une entreprise qui souhaiterait avoir une vue claire de la diversité des origines de ses employés.
Et la question est bien celle-ci : cette connaissance aboutira-t-elle à réduire les discriminations ou à les maintenir ? Voire à les renforcer ?
Un préfet d’origine maghrébine peut-il être heureux de l’étalement médiatique de son origine alors qu’il a travaillé dur pour obtenir sa nomination qui pourrait être perçue comme un simple caprice de prince ? N’est-ce pas dévalorisant ?
La question se posait déjà avec l’obligation de la parité sur les listes municipales (entre autres) et, dans une autre mesure, avec l’institution du PACS qui officialise par exemple un couple homosexuel (le fait de déclarer publiquement un couple homosexuel parie sur le fait que la société a définitivement accepté l’homosexualité, ce que j’espère, mais si quelqu’un voulait pourchasser les homosexuels, il aurait maintenant moins de mal).
Petit à petit, la vie d’un individu devient de plus en plus transparente. Des données de plus en plus précises s’accumulent sur lui, de façon plus ou moins connue. Des caméras de surveillance se multiplient dans les rues où il évolue. Des drones se manipulent désormais au-dessus de sa tête. Des traçages informatiques s’organisent pour le pister.
Et si toutes ces données tombaient dans d’odieuses mains ?
Pour aller plus loin, quatre documents :
1. Colloque sur les statistiques ethniques (octobre 2006).
2. Note de veille de l’ancien Commissariat au Plan (juillet 2006).
3. Rapport de l’enquête sur la mesure de la diversité (2006).
4. Les statistiques ethniques, un sujet tabou (novembre 2005).
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