Bonjour à tous et merci pour la patience et le caractère cordial des argumentations exposées.
Tout d’abord, il me faut préciser, ce que je croyais limpide au regard de l’intitulé du chapitre, que l’évocation des procédures d’hospitalisation d’office (telles qu’elles sont actuellement conçues et pratiquées) n’avait pas pour but de justifier la rétention de sûreté. Il ne s’agissait que de soulever le caractère inopérant de l’argument selon lequel l’existence de l’hospitalisation d’office suffisait d’emblée à écarter toute réflexion sur la pertinence du dispositif de la rétention de sûreté. Plus précisément, il s’agissait de démontrer que l’on ne pouvait sérieusement exciper de l’existence de l’hospitalisation d’office pour dénoncer la logique de la rétention de sûreté, alors que les deux modèles procèdent de la même logique, même si les réponses apportées ne sont pas dans l’absolu de même nature. Pour tout dire, n’emporte pas ma conviction l’idée implicite selon laquelle l’hospitalisation d’office bénéficierait d’une supériorité morale parce qu’elle se propose en premier lieu de "soigner", et laisse entendre que l’ "enfermement" ou la mise à l’écart ne serait qu’une conséquence de cette "louable" volonté.
Tel que je vois la chose, et même si le dispositif de rétention de sûreté ne recueille pas mon adhésion en l’état, la réintroduction du pouvoir judiciaire dans le processus d’internement psychiatrique me semble éminemment souhaitable, en ce qu’il cesserait de n’intervenir qu’à posteriori, et ce dans des proportions ridicules au regard du nombre exorbitant d’hospitalisation d’office. L’équilibre est à trouver, mais, en dépit de nombreuses aberrations et insuffisances, l’actuel projet a au moins le mérite d’actualiser la question. Mon seul souhait serait que celle-ci reste posée, et qu’elle ne soit pas évincée du débat public au seul motif que l’on a une énième fois agité un épouvantail historique.
S’agissant de la confusion entre maladie mentale et criminalité, effectivement, comme l’a souligné M. Lovichi, celle-ci pose problème, et je reste moi-même parfaitement indécis sur cette question, ou plus précisément persuadé que l’on ne peut aussi facilement opérer une nette distinction entre ce qui constitue une "intention" criminelle et ce qui procède d’une "maladie" mentale. A mon sens, le projet de loi relatif à la rétention de sûreté est symptomatique de l’existence de cette zone grise, zone que l’on ne peut abolir, me semble-t-il, sans risque de revenir au très catégorique article 64 du Code pénal de 1810.
Sur la question qui se pose après amendement du Sénat, posant le principe de non-rétroactivité du projet, la question devient : la rétention de sûreté peut-elle être qualifiée, au sens juridique du terme, comme une « peine complémentaire » ?
Dans le cas d’une réponse affirmative, le projet de loi ne sera pas inquiété par le Conseil constitutionnel. Dans le cas d’une réponse négative, la rétention de sûreté heurte le principe de "non bis in idem" et sera déclarée, selon toute probabilité, inconstitutionnelle.
En l’état actuel du texte, du fait que le caractère thérapeutique du projet cède largement le pas devant l’objectif de sûreté, je serais enclin à considérer que la rétention de sûreté ne peut être considérée comme une peine complémentaire (et ce même malgré son caractère facultatif), et qu’elle est de ce fait contraire au principe selon lequel l’on ne peut être condamné deux fois pour une même peine.
Mais une fois ceci établie, une fois réfutée l’opportunité de la rétention de sûreté, la question posée si abruptement par cette dernière reste entière :
- Quel modèle de contrôle social pour l’auteur d’un crime qui, sans être pénalement irresponsable, ne peut être considéré comme parfaitement sain d’esprit et sollicite de ce fait le concours de la justice ET de la médecine ?
En considérant que l’administration forcée des soins est non seulement illégale, mais en l’occurrence médicalement contre-productive de l’avis partagé de tous (sauf erreur de ma part), l’on se heurte de fait à une parfaite aporie. Et je crains qu’à force de solliciter l’Allemagne nazie comme épouvantail historique, on ne finisse par laisser cette question à l’état d’aporie… Bref, sans que la rétention de sûreté emporte mon adhésion, je lui reconnais néanmoins le mérite, quand bien même fut-il indépendant de la volonté de ses artisans, d’amener dans le débat public des questions qui obligent à la fois la société et l’Etat.