Bonjour Paul,
merci de votre bon et nécessaire article.
Mais, concernant le paragraphe où vous mentionnez la tradition chrétienne, il y a une remarque à faire :
Si à l’époque (il y a plus de sept siècles !) où le christianisme était encore vivant et fondement de nos sociétés le pauvre était érigé en modèle, ce n’était pas "paradoxalement", ni pour des raisons de charité utilitaire.
En vérité, c’est tout simplement parce que l’on considérait que le dénuement et la frugalité matérielle sont l’état le plus sain pour l’esprit humain et la condition où il est le plus proche de sa nature réelle ; l’exemple de la pauvreté du Christ en est l’illustration même.
A l’époque où, quand on mettait la table, on n’oubliait jamais de rajouter une assiette pour un convive de plus, "l’assiette du pauvre", celà n’était pas l’effet d’une charité plus ou moins sentimentale, moraliste, paternaliste ou bien-pensante, et celà n’avait rien de "social" ou d’utilitaire, bien au contraire :
Quand le mendiant frappait à la porte, il représentait la nature humaine d’origine, et l’accueillir à sa table revenait à accueillir le Christ lui-même !
Celà n’est d’ailleurs pas une particularité du christianisme, et l’on retrouve les mêmes principes chez les autres peuples : par exemple, chez les Indiens peaux-rouges, Navajos entre autres, la richesse a toujours été considérée comme très suspecte, presque synonyme de maladie ; quand on était riche, c’était nécessairement que l’on avait pris plus que sa part, et que, quelque part, on avait spolié les autres...
Selon la parole d’un ancien de là-bas : -dire " Indien riche", c’est comme dire "de l’eau sèche".
Ce genre de mentalité a toujours été la règle dans l’histoire humaine, hormis pendant les époques de décadences, précisément.
Pour ce qui nous concerne, le basculement "moderne" en ce domaine a commencé avec l’apparition de ce que l’on pourrait appeler "l’esprit" calviniste et bourgeois : la richesse qui à l’époque féodale, comme dans toute société traditionnelle et naturelle, était vue comme une chose inquiétante et non enviable, comme une épreuve pouvant entraîner la déchéance et la perte de soi, a été alors présentée comme le signe de ce que l’on était "aimé" de Dieu, que l’on avait de la chance et de la compétence, en un mot que l’on avait tous les attributs du "winner", le gagnant anglo-saxon.
La pauvreté au contraire, qui était considérée auparavant comme une "bénédiction divine" et l’indice d’un rang particulièrement honorable puisque proche du Christ, est devenue à l’aune des nouvelles mentalités stygmate de paresse, de malchance, de maladresse et d’incompétence : celles du "looser" lui-même !
Et ce n’est évidemment pas un hasard si cette "évolution" correspond à la création et au développement de cette mentalité américaine et moderne qui nous envahit et qui par essence craint, maudit et même excommunie en quelque sorte les pauvres et les démunis.
En vérité, la véritable chasse que l’on mène dans nos pays contre eux et aussi contre les gens sans papiers s’apparente bel et bien à celle qui est menée en permanence et par tous les moyens de manipulation, médiatiques, réglementaires et culturels contre tous principe même de nature humaine et de dignité, c’est à dire contre nous-mêmes.
Il n’est que de voir les lois actuellement développées, qui vont toutes clairement dans le sens d’une soumission des "citoyens" de plus en plus complète au pouvoir, à ses représentants et à leurs abus, ainsi qu’à l’apparition des nouveaux "devoirs de délation"...
C’est la nature humaine elle-même qui est devenue chez nous étrangère, suspecte et "en situation irrégulière" ; et c’est nous qui devons baisser la tête, en permanence et à chaque fois plus bas, sous les fourches claudines toujours renouvelées de "l’adaptation progressive à l’efficacité moderne et libérale" et nous renier le plus abjectement possible pour nous intégrer et nous soumettre aux nouvelles définitions de la condition de salarié en entreprise.
Que l’on ressente alors un "malaise" devant certaines lois iniques ou certaines publicités particulièrement perverses est alors la chose la plus naturelle qui soit :
bien que n’ayant jamais de notre vie connu de société humaine réellement saine et naturelle, ni reçu d’éducation traditionnelle nous permettant d’atteindre et de goûter ce que nous avons en nous de véritablement sacré, dans cette ignorance de nous-même qui la nôtre, il nous reste malgrès tout l’instinctive capacité de ressentir les souillures quand on nous les inflige.
Tout comme ces jeunes enfants qui, abusés par des adultes, n’ayant pas en eux l’age et les moyens d’identifier et de comprendre le crime dont ils sont les victimes, n’en éprouvent pas moins les traumatismes et la profonde souillure ...
Cordialement Thierry