Bonjour Quen_tin,
c’est un sujet intéressant, mais votre article a le défaut de ne pas voir assez loin, de manquer d’horizon, et de s’imaginer que pour changer les choses, il suffirait d’inventer à partir de rien de nouvelles formules de consommations et, par exemple, de remplacer la propriété des objets par leur location.
Mais celà n’abolirait pas réellement la propriété, puisque les "loueurs" resteraient propriétaires des objets qu’ils loueraient, avec en plus le risque de développer encore plus les monopoles et la dépendance des consommateurs...
En réalité, la notion de propriété est partie de notre identité, et inséparable de l’image que nous nous faisons de nous-mêmes. Et on ne peut réellement comprendre le Monde d’aujourd’hui sans en remonter aux considérations existentielles.
L’homo occidentalus moderne, malgrès ce que voudrait nous faire croire une propagande médiatique omniprésente, est loin de représenter la norme et la nature de l’espèce humaine, ni son épanouissement d’ailleurs ; et l’identité humaine, cad la manière dont les gens se conçoivent eux-mêmes, et donc aussi les notions de propriété, ont été vécues d’une manière très différente dans les autres cultures.
Si le sujet nous intéresse, plutôt que de faire marcher notre imagination et essayer "d’inventer" des choses nouvelles et théoriques, utopiques en somme, nous ferions mieux d’aller explorer ce qui existe déjà ailleurs, ou a réellement existé dans le passé.
Je vous conseille, en particulier, la lecture de l’excellente "histoire de la bourgeoisie en France", de Régine Pernoud, qui explique très bien que les notions de "propriété privée" telle que nous les connaissons aujourd’hui et qui nous donnent en principe le droit "d’user et d’abuser" de l’objet dont nous sommes le propriétaire, voire même de le casser si c’est notre bon plaisir, sont issues du droit romain qui a été réintroduit vers la fin de l’époque féodale pour remplacer les anciennes lois coutumières.
Car dans la société Européenne d’avant la Renaissance, ce que l’on définit aujourd’hui comme la propriété était plutôt privilège d’usage, de bétails ou de terres par exemple, mais sujet à confiscation dans les cas extrêmes de mauvaises utilisations et non privatif d’autres droits.
Le bénéfice d’un verger, autre exemple, était justifié par le fruit du travail beaucoup plus que par la rente d’une propriété ; et dans le cas de vergers non récoltés, toute personne était fondée à venir en cueillir les fruits.
Le Monde féodal était un Monde non cloturé (même si les taxes de passages entre zones, ou à l’occasion de ponts, étaient fréquentes), dans lequel chacun avait des privilèges d’usages définis selon son état. Et en réalité personne, pas plus les seigneurs que les autres, n’était propriétaire terrien (à l’exception des cas assez rares de "franc alleu", cad de possessions qui remontaient à l’époque romaine).
Malgrès qu’il soient ceux de nos ancêtres,c’est un Monde et une mentalité qui nous sont aujourd’hui aussi étrangers que ceux de la Chine impériale ou des aborigènes d’Australie. Mais on ne peut comprendre les fondements de l’économie moderne, et en particulier ceux du libéralisme économique, ni l’histoire de ce que l’on a appelé "la révolution industrielle" si l’on ignore les conditions de transitions entre les deux époques et ce qu’ a représenté l’apparition des "enclosures" en Angleterre.
A ce sujet, le livre "La Grande Transformation", de Polianiyi (si ma mémoire est bonne...) est incontournable.
Les principes qui régissaient nos sociétés à l’époque féodale vont à l’encontre de toutes les règles économiques et sociales actuelles, et les réfutent absolument ; c’est sans doute la raison pour laquelle les tenants modernes des "lumières" ont tellement menti à leur sujet et les ont tellement caricaturé. Mais on doit pouvoir encore retrouver les traces de ces principes aujourd’hui, dans les dernières cultures traditionnelles que nous n’ayons pas réussi à faire disparaître...
Cordialement Thierry