Non, la mort n’est pas l’inverse de la vie. La vie apparaît objectivement comme un processus ressortant du registre phénoménal. Au plan subjectif, elle est vécue comme un flux d’évènements - dont la mémoire consciente ne retiendra d’ailleurs que quelques uns.
La mort n’est objectivement que la cessation de la vie ; elle n’est pas un phénomène en soi, et qu’un évènement ponctuel. Certes cet évènement singulier que constitue la mort des autres, par ce qu’il nous affecte potentiellement, peut marquer plus sûrement le souvenir. Au plan personnel, la mort n’existe pas, excepté dans notre imaginaire, et nous ne la connaîtrons jamais : on ne rencontre pas sa propre mort, puisque la conscience part avec elle. C’est pourquoi même si « La mort ne surprend point le sage ; il est toujours prêt à partir », néanmoins, même y étant préparé, la mort nous prend toujours par surprise, car au dernier instant l’on croit toujours être vivant, et celui d’après toute croyance a cessé.
« Réserver à notre prochaine et totale absence du monde des plages fréquentes de représentation mentale, n’épuise donc pas toute révolte de la conscience devant la certitude de sa finitude, mais permet d’en domestiquer un tant soit peu l’effroi » Ces tentatives de représentation mentale pourraient aussi bien sembler dérisoires, puisqu’on ne peut se représenter l’absence. Le sujet ne peut penser l’absence de lui-même. Si l’on demeure dans la crainte de la mort, c’est donc poursuivre un expédient artificieux que de vouloir se figurer l’inconcevable.
« Ce ne sont pas les choses qui troublent les hommes, mais les évaluations prononcées sur les choses : ainsi la mort n’est rien de terrible (car même à Socrate elle serait apparue terrible), mais l’évaluation prononcée sur la mort : qu’elle est terrible - voilà qui est terrible. » écrivit Epictète. Le point de vue stoïcien pourrait se résumer ainsi : Il ne sert de rien de craindre les choses au regard desquelles nous demeurons impuissants. S’il faut s’habituer à penser aux choses qui nous semblent redoutables, ce n’est pas pour s’habituer à la peur qu’on en pourrait avoir, mais pour comprendre que, ne dépendant aucunement de nous, nous n’avons rien à en craindre (NB : de plus la mort n’est pas une chose, mais la disparition d’une « chose »). Nous devons seulement craindre notre propre imagination.
En revanche, l’idée « philosophique » du suicide, quels qu’en soient les motifs, relève de la représentation. Bien souvent, et bien heureusement, elle ne reste d’ailleurs qu’au niveau conceptuel, sans franchir le cap de l’expérience (dernière). La réalité du suicide se rapporte bien davantage au domaine de la psychopathologie. Voire exclusivement, tant il serait difficile de démontrer que le passage à l’acte suicidaire, fut-il commis par un philosophe, ne marque pas le terme d’une pathologie pendante – hormis le fait d’un suicide ordonné (comme pour Sénèque), auquel cas, il ne s’agit en réalité que d’un meurtre par procuration. « Ne plus trembler devant la fatalité et l’ignorance du moment où elle se manifestera, mais lucidement décider de ne plus persévérer dans son être. » Fatale erreur philosophique née du sentiment trompeur de pouvoir, par ce biais extrême, récupérer la maîtrise de ce qui nous échappe, pour ne pas reconnaître (encore une fois) notre totale impuissance…
« Mais lorsqu’il n’y a vraiment plus rien à jouir, plus personne à réjouir, quitter la vie… » Parole d’hédoniste qui ne rechercherait que le plaisir, à prendre ou à donner ? « L’esprit s’engloutit, mutilé par les passions tristes. » Triste passion de la chair, nourriture vaine pour l’esprit : pour que sa joie demeure, il faut lire tous les livres, et ne se pas lasser, puis par dessus tout ne cesser de méditer.
La méditation, cette stratégie du silence...
« Pour bien vivre, la mort est utile, pourvu qu’on n’oublie pas que sa couleur est silence d‘atomes solitaires… » On dirait du René Char… C’est dire que je n’y comprends goutte
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Merci pour ce beau texte littéraire. Etes-vous également l’auteuse de ce remarquable dessin ?