Vous êtes bien sympathique et votre cher François Bayrou l’est tout autant que vous.
Mais ni lui ni vous n’allez à l’essentiel.
Il y a quelques mois encore, le capitalisme, à la satisfaction presque générale, se posait comme la forme ultime de l’organisation sociale.
Et votre cher François Bayrou défendait (et défend toujours) cette idée.
Longtemps avant vous, longtemps avant François Bayrou, longtemps avant le MoDem, longtemps avant le séisme financier d’octobre 2008, un certain philosophe allemand mettait en évidence les mécanismes du capitalisme et des rapports sociaux qu’il induit.
« Du fait que l’aristocratie financière dictait les lois, dirigeait la gestion de l’Etat, disposait de tous les pouvoirs publics constitués, dominait l’opinion publique dans les faits et par la presse, se reproduisaient dans toutes les sphères, depuis la cour jusqu’au café borgne, la même prostitution, la même tromperie éhontée, la même soif de s’enrichir, non point par la production, mais par l’escamotage de la richesse d’autrui… ».
Vous, François Bayrou et bien d’autres, mettez l’ampleur de la crise actuelle sur le compte des défaillances du système, de la volatilité des produits financiers sophistiqués et de l’impuissance du marché des capitaux et des hommes d’argent à s’autoréguler...
Pourtant, et François Bayrou le sait parfaitement, la crise initiale, dite des « subprimes » est née de l’impossibilité de millions de ménages américains candidats à la propriété à faire face à leur endettement.
Ces défaillances avaient une cause et une seule : l’accaparement par le capital de la richesse créée par le travail, cause que notre philosophe allemand nommait, il y a 150 ans : « loi générale de l’accumulation capitaliste ».
Si la crise a éclaté dans la sphère du crédit, sa puissance dévastatrice s’est répercutée dans celle de la production, avec le partage sans cesse plus inégal des valeurs ajoutées entre travail et capital.
Car là où les conditions sociales de la production sont propriété privée de la classe capitaliste, « tous les moyens qui visent à développer la production se renversent en moyens de domination et d’exploitation du producteur ».
Ou, pour le dire autrement : l’accumulation de richesse à un pôle a pour conséquence une accumulation proportionnelle de misère à l’autre pôle.
François Bayrou qui est certainement un brave homme mais aussi un tenant de l’économie de marché, ne peut donc pas réfléchir plus loin que le bout de ses convictions.
Comme d’autres, il prétend possible de « moraliser » le capitalisme en oubliant que le régime de la libre concurrence est totalement étranger aux considérations morales, que l’efficacité cynique y est toujours gagnante et que le souci « éthique » n’est qu’un effet d’annonce.
Au-delà de l’aspect moral, au-delà des patrons voyous, au-delà des délires de traders, au-delà des parachutes dorés, le problème est d’un tout autre ordre.
Ce que François Bayrou et le MoDem ne peuvent pas penser, c’est qu’au-delà de ces comportements individuels, le capitalisme est indéfendable dans son principe même : l’activité humaine qui crée les richesses y a le statut de marchandise. Elle est donc traitée non comme une fin en soi, mais comme un simple moyen.
Quand on prétend vouloir s’attaquer à la question de la régulation, il faut donc en revenir aux fondamentaux, c’est à dire à cette malédiction qui contraint le salarié à ne produire la richesse pour autrui qu’en produisant son propre dénuement matériel et moral. Ce que l’on peut résumer en une formule simple : perdre sa vie pour la gagner.
Le capital reproduisant sans cesse la séparation entre moyens de production et producteurs, l’activité productive est forcément livrée à l’anarchie du système de la concurrence « libre et non faussée », où elle se convertit en gigantesque force aveugle qui subjugue et écrase l’Homme.
C’est pourquoi, vouloir se contenter de « réguler le capitalisme », comme François Bayrou et le MoDem le préconisent est purement et simplement du charlatanisme politique.
Réguler ce système au coût humain exorbitant, exige de s’engager dans une autre organisation sociale où les hommes contrôleraient ensemble les moyens de production.
Tout le reste n’est que poudre aux yeux.
Vous l’aurez peut-être deviné, le fameux philosophe allemand sité plus haut se nommait KARL MARX…