Soit, Vivi. Vous n’éprouvez aucun sentiment particulier contre moi et je suis heureux de savoir que j’ai le droit de m’exprimer.
Je sais parfaitement que l’article à l’origine de notre discussion a été publié par Roseau et j’ai tenté de lui répondre, y compris sur l’impartialité des juges qui ont condamné Colonna… Quant à vous, je ne vous ai répondu que parce que vous me citiez au milieu d’une liste d’intervenants dans lesquels je ne me reconnais vraiment pas.
J’ai toujours écrit, en gros, que même si Colonna et ses avocats ne m’ont pas convaincu de son innocence, je n’ai jamais pensé que les juges d’une cour d’assises spéciale pouvaient être vraiment impartiaux. Une cour d’assises spéciale est pour moi une juridiction politique qui refuse de dire son nom. Et c’est un vrai problème dans un pays qui prétend être une démocratie.
J’ai réagi à l’article de Roseau sans jamais m’arrêter sur le fait que Colonna est Corse mais plutôt sur le fait qu’il est un militant nationaliste corse qui, se revendiquant comme tel, n’a jamais fait la moindre déclaration condamnant une violence à laquelle il a lui-même participé. « Broder » sur le fait il y ait en Corse, des mafieux, des homicides non élucidés, du racket, des plastiquages, des faux témoignages, etc, je crois que ce n’est pas du tout hors sujet. Et les exemples que vous me donnez viennent plutôt confirmer qu’infirmer mon analyse… Qu’un quidam avoue avoir trucidé son frangin pour des questions d’argent ou qu’un papy avoue avoir dézingué bobonne après des années de vie commune n’est pas exactement du même acabit que des exécutions en règle menées par des groupes armés, que ces groupes armés soient politiques ou mafieux. Et je ne pense pas que, même en y passant des heures, vous trouviez une région française où une bande de gugusses aient eu l’idée saugrenue de révolvériser un préfet dans la fumeuse optique d’unir des mouvements politiques concurrents pour ne pas dire ennemis.
D’ailleurs, le simple fait que, justement, vous ne voyiez pas ou refusiez de voir la nuance entre de simples homicides qui relèvent du banal fait divers et une violence institutionnalisée qui dénote une dérive suicidaire, illustre bien mes propos sur le rapport de complaisance que les gens les mieux intentionnés (et vous en faites certainement partie) entretiennent en Corse, avec la violence.
Il n’a jamais été dans mon intention d’en rajouter sur la mauvaise réputation des Corses, mauvaise réputation dont je renifle moi aussi les relents. Je fais juste un constat et plutôt qu’une accusation, il me semble que je donne dans le registre de la déploration. Car je déplore, en effet, que la Corse soit victime de ceux, quels qu’ils soient, qui utilisent la violence et le meurtre pour asseoir des positions de pouvoir.
Quant à l’affirmation que les médias seraient friands du moindre fait divers se produisant en Corse, je crois que vous vous trompez grandement et que cela fait partie d’une myopie propre à l’opinion corse. Les longues séries de meurtres qui affectent la Corse ne font généralement pas plus d’un entrefilet dans la presse nationale et c’est plutôt en Une de la presse régionale que s’étalent la relation détaillée de ce genre de méfaits.
Vous ne m’aimez pas, ok. Mais vous avez tort de me mettre dans le même sac que Chuk Norris, Bluelight, etc… Car je crois que mes idées, certes opposées aux vôtres, sont quand même un peu plus étayées que les leurs. Contrairement à eux, j’essaie de parler sans haine mais avec pugnacité et lucidité de ce que je connais et de la manière dont je ressens les choses. Je peux aisément comprendre que mon ressenti ne vous convienne pas, ne vous intéresse pas ou vous énerve parce qu’il est décalé au regard de ce que l’on dit généralement en Corse.
Je vous pose néanmoins deux questions… Estimez-vous que n’ont le droit de s’exprimer dans cet espace que ceux qui sont convaincus des mêmes choses que vous ? Ou bien considérez-vous que cet espace est un espace de liberté où chacun, tant qu’il reste dans le cadre de la
ligne éditoriale générale, peut apporter sa petite pierre à l’édification d’une réflexion même quand il n’a pas la « mentalité » et la « faculté intellectuelle » requises ?
Mon « copié-collé » n’avait d’autre but que d’appuyer mon intervention précédente. Je suis bien content pour vous qu’il ne vous soit jamais rien arrivé de fâcheux en Corse… D’autres ont eu moins de chance que vous. Erignac par exemple. Ou ces deux jeunes assassinés hier. Avant-hier encore, les pères, mères, frères et sœurs de ces deux jeunes auraient peut-être tenu des propos lénifiants similaires aux vôtres. Mais aujourd’hui, je parie que leur vision de la réalité corse s’est sans doute un peu rapprochée de la mienne.
Le mal est partout. Je ne suis pas assez con pour l’ignorer. Et la violence fait partie de l’Homme. Mais il est des lieux — et la Corse en est un — où la permanence et la répétition de la violence, et la complaisance que l’on y entretient avec elle, deviennent pathologiques.
C’est de cela et pas d’autre chose dont je parle depuis le début de mes interventions.
Je reconnais volontiers que le portrait que je dessine de la Corse est particulièrement noir. Mais il s’agissait avant tout de démontrer que la Corse présente aussi quelques défauts et qu’elle n’est pas la patrie des bisounours que nous décrit Vivi. J’admets volontiers que la Corse est peuplées d’hommes et de femmes
aimables, affectueux, respectueux, généreux auprès de qui il est
agréable de vivre. Mais elle abrite aussi quelques personnages sans foi ni loi si ce n’est celle du plus fort. Je reconnais sans problème que je ne suis pas mort de trouille lorsque je me promène en Corse, lorsque je bois une petit café en terrasse, lorsque je taquine la truite dans le Liamone ou le Taravo ou lorsque je séjourne dans les deux villages dont je suis originaire.
Mais je pense qu’il en irait tout autrement si je décidais, par exemple, d’y créer une entreprise. Et à ce sujet, je peux citer quelques exemples de gens qui ont connu de gros ennuis en refusant de céder aux pressions de « protecteurs » en tout genre.
Et je suis en colère lorsque je constate qu’une partie des Corses refusent de voir que notre île est en danger.
Juste une brève tout fraîche pour vous mettre, très pacifiquement, un peu de plomb dans la cervelle et pour nuancer, si c’est possible, vos enthousiasmes.
"Deux hommes ont été tués par balles vendredi en fin d’après-midi à
Baleone, à la sortie d’Ajaccio, ont indiqué les services de sécurité
intérieure. Selon les pompiers, les deux victimes seraient tombés dans un guet-apens tendu par plusieurs tireurs encagoulés. "Deux
individus à bord d’une Peugeot 206 ont été pris sous un feu nourri par
plusieurs individus qui se trouvaient à bord d’un véhicule utilitaire
blanc qui a pris la fuite", a indiqué la substitut du procureur
Geneviève Durand-Siabrini, sur le lieu du crime. "Il s’agit
probablement d’un nouvel épisode des règlements de compte que connaît
le grand Ajaccio depuis plusieurs mois", a déclaré à l’AFP le procureur
de la République d’Ajaccio José Thorel. "Les deux victimes sont
des jeunes déjà connus des services de police", a indiqué un
porte-parole des services de sécurité qui s’est refusé à divulguer leur
identité. Ils n’appartiennent pas au milieu du grand banditisme,
selon une autre source policière qui a évoqué des faits antérieurs de
braquages.
Sur place, près du rond-point d’un centre commercial,
les enquêteurs de la police scientifique ont marqué l’emplacement d’une
vingtaine de douilles qui entourent la voiture où se trouvaient les
deux hommes tués, a constaté un journaliste de l’AFP.
Une enquête de flagrance pour assassinat a été ouverte et confiée à la Direction régionale de la police judiciaire."
« Le Corse est bon, il est juste et courageux, il a le sens des valeurs, celui de l’honneur… » mais certains Corses ne sont ni bons, ni courageux.
Certains même sont de parfaits salauds dont le sens des valeurs et de l’honneur est assez dévoyé, il me semble…
Une fois de plus vous n’expliquez rien mais vous assénez vos « vérités » dont je pourrais moi aussi juger qu’elles ne valent même pas les « trois sous » que vous m’accordez généreusement. J’écris effectivement que les faux témoignages et les subornations de témoins sont monnaie courante et je le maintiens parce que c’est une réalité. Que vous ne le voyiez pas ou que vous fassiez semblant de ne pas le voir revient à peu près au même. J’écris que les faux témoignages et les subornations de témoins sont monnaie courante mais je pourrais aussi bien écrire que la Corse crève de la violence et qu’elle est une des régions européennes où les meurtres et les assassinats ( près de 400 restés impunis depuis le début des années 90 ) sont les plus fréquents… 23 en 1991. 42 en 1992. 37 en 1993. 40 en 1994. 61 en 1995… Voulez-vous, pour votre gouverne, que je continue cette liste jusqu’en 2009 ?
Je pourrais tout aussi bien écrire que « l’Etat colonial » a bien moins tué que les guerres intestines entre nationalistes. Pour étayer mon propos, je pourrais citer la guerre de 1990, pendant la période d’éclatement du FLNC. Ou celle de 1993, lorsque l’assassinat de Sozzi déclencha des meurtres en série. Ou encore celle de 1995-1996, lorsque les affrontements nationalo-nationalistes précipitèrent dans la mort un bonne vingtaine d’anciens « fratelli di lotta ». Pareil en 1999, lors de nouvelles divisions internes… Voulez-vous que je vous donne des noms, des faits, des dates, des lieux ou me croyez-vous sur parole ?
Je pourrais écrire aussi que depuis 1985, sans discontinuer, les deux départements corses sont parmi ceux qui détiennent le record du nombre de morts par accidents de la route. Refus du port de la ceinture de sécurité. Vitesse excessive. Non respect du code de la route. Incivilités en tous genre. Sentiment d’impunité. Et je pourrais ajouter que 60 % des victimes de ces accidents ont entre 18 et 30 ans… Vous avez certainement vu ces stèles et ces petits bouquets le long de nos routes…
Je pourrais citer le drame de Furiani qui demeure sans doute, à vos yeux énamourés, un signe de vitalité de la société corse.
Je pourrais vous parler de cette majorité silencieuse (rassurez-vous, vous n’en faites apparemment pas partie) qui vit dans la peur et qui condamne officieusement parce qu’elle a compris que la violence n’est plus circonscrite à des cercles restreints mais qu’elle peut atteindre n’importe qui de plein fouet. Je pourrais vous citer tel maire bien corse d’un village bien corse qui déclare : « Il ne faut plus parler de code d’honneur ou de loi du silence. Ce qui domine aujourd’hui, c’est la trouille. » Et je pourrais ajouter que lorsqu’une société aussi fragile que la société corse crève de peur, c’est qu’elle ne va pas tarder à crever tout court.
Je pourrais vous raconter ces gosses complètement paumés qui n’imaginent pas sortir sans arme parce qu’ils ont grandi dans ce climat de violence où le plastiqueur, le racketteur, l’assassin sont tenus pour des héros. Je pourrais vous entretenir de tel dirigeant « clandestin » qui fit grassement son beurre en vendant le stock d’armes de guerre de son mouvement aux adolescents de Lupino et de Montesoro à la seule condition qu’ils se tiennent prêts à agir le jour où « on » le leur demanderait.
Bien droite dans vos « scarpi grossi », chère Vivi, vous préférez penser que je suis mal dans ma peau, que je m’adonne à je ne sais quel business inavouable et que, Corse mais renégat, je dénigre quand je ne fais que décrire une réalité que vous ne voyez même plus parce que vous aimez mieux votre aveuglement qu’un début de prise de conscience. C’est cette cécité qui vous fais écrire « que le Corse est bon, il est juste et courageux, il a le sens des valeurs, celui de l’honneur… » ce qui est à peu près aussi vain et creux que de dire que le Chinois est fourbe et cruel, l’Arabe sale et voleur et le Juif avare et malhonnête.
« Je suis libre jusque dans mon âme, » écrivez-vous de manière un peu grandiloquente. Pour ma part j’ignore si l’âme existe et puisque vous vous sentez libre, je vous laisse donc libre de soutenir Colonna ou un autre. On a les héros que l’on peut et je vous abandonne très volontiers ceux que vous vous êtes choisis.
Quoi que vous en pensiez, j’aime la Corse. Par dessus tout mais d’un amour qui, fort heureusement, ne ressemble pas au vôtre. Et c’est parce que je l’aime par dessus tout que je souffre de la voir aux mains de gens qui, comme vous, l’étouffent en prétendant l’étreindre.