Cher Paul Villach
Cette publicité m’inspire plusieurs réflexions et critiques :
1°) Elle témoigne d’un glissement progressif des fondements de l’éthique d’une morale de l’intention vers une morale du résultat : en effet , elle est avant tout une entreprise de culpabilisation outrancière de la personne qui ferait l’amour sans préservatif , selon le principe suivant : le SIDA a déjà fait trente million de morts , soit à peu près autant de victimes que respectivement Hitler et Staline . Donc , si vous faites l’amour sans préservatif , vous êtes l’équivalent d’un dictateur sanguinaire puisque vous propagez une maladie qui a fait autant de morts qu’un dictateur sanguinaire . Le fait que celui qui fait l’amour sans préservatif, soit par imprudence , soit par négligence, n’ait pas l’intention de propager le SIDA ne change rien à sa culpabilité , puisque , dans cette forme moderne d’éthique , il n’y a plus que le résultat de l’action qui compte , et non son intention .
2°) Cette publicité fait un choix politiquement correct , mais peu judicieux , des dictateurs responsables d’atrocités : en effet , si Hitler et Staline sont bien choisis ( nombres de victimes comparables à celle du SIDA ) , Saddam Hussein, qui n’a à son actif « que » 1 millions de victimes environ, soit beaucoup moins que le SIDA , aurait été avantageusement remplacé par Mao Tse Toung , qui semble avoir été à l’origine d’un nombre de victimes comparable à Hitler et Staline.
Sans doute le concepteur de la publicité a t-il voulu éviter des réactions de protestations des autorités chinoises, à moins qu’il n’ait été un maoïste faussement repenti ? De même aurait-il pu remplacer Saddam Hussein par l’ayatollah Khomeiny , dont la « révolution » a fait d’innombrables victimes , mais cela aurait suscité des émeutes en terre musulmane . On ose enfin à peine imaginer les complications internationales qui auraient eu lieu si la scène d’amour avait représenté Mahomet, autre infâme tyran sanguinaire, ayant des rapports avec une enfant prépubère comme sa dernière épouse qui était âgée de neuf ans lorsqu’il en a abusé pour la première fois !
3°) Cette publicité traduit un retour à des conceptions anciennes de la sexualité : en effet , elle déresponsabilise totalement la femme de l’utilisation du préservatif . Dans une conception moderne des rapports humains , c’est le couple qui met un préservatif pour se protéger. Dans cette publicité , la femme est rabaissée au rang d’un être sans pouvoir de décision dans le domaine de l’utilisation du préservatif , le pouvoir redevenant un attribut exclusivement masculin , annulant des décennies de féminisme !
Dernière chose , je suis très étonné de l’analyse que vous faites de « la peste » de Camus comme symbolisation du nazisme . J’ai lu de nombreuse fois « la peste » , qui est un de mes livres préférés . Néanmoins je n’y avais jusqu’ici jamais vu la moindre allusion au nazisme, mais plutôt une critique radicale de la religion . Pour moi , « la peste » était une allusion au changement de la vision de l’homme moderne concernant les épidémies : ce roman torpille la conception religieuse qui fait de ce genre d’événements une sorte de punition divine , et la remplace par une vision tirée de la théorie de l’évolution : la sélection naturelle ne choisit pas ses victimes selon une logique cohérente , mais selon des critères qui lui sont propre : ainsi , le vieux qui essaie depuis longtemps d’écrire la première phrase de son roman ( je crois me rappeler qu’il s’appelle Grand ) survit à la peste alors que le fils du juge meurt dans des souffrances inhumaines . Cette victime innocente pulvérise la conception d’un « bon » dieu .
Le monde tel qu’il est , régi par la sélection naturelle, ne fait pas de distinction entre les « bons » et les « méchants » ! Ne survivent à une peste que ceux qui ont les « bons » gênes de résistance aux maladies, indépendamment de leurs potentialités dans d’autres domaines .
Ce monde réel , et non plus religieux , bien qu’en apparence absurde, obéit à une logique de l’évolution , finalement beaucoup moins angoissante que celle d’un monde dans lequel un « bon » dieu ferait mourir atrocement des enfants .
Cette allusion au nazisme du roman « la peste » , dont vous parlez , a t-elle été confirmée par Camus dans ce qu’il a éventuellement dit ultérieurement de son roman , ou bien est-il resté évasif sur un éventuel « message caché » de son oeuvre ( qui peut d’ailleurs en avoir plusieurs ) ? Il est vrai que je suis totalement ignare en matière de littérature , et que j’ai tendance à tout lire au « premier degré » .