outch, paul !
« le vol du trader est légal », même pour un breton, vous n’y allez pas avec le dos du clavier ! mais « voler », c’est « prendre pour soi, sans droit ni titre, quelque chose qui n’est pas à soi », et kerviel n’a rien volé !
pour le convoyeur, à l’heure où j’écris, on a déjà retrouvé l’oseille. La sympathie admirative va-t-elle laisser la place à un « c’était bien essayé » un peu désappointé ou à un « essaye encore » plus ironique ? peu importe. Ce n’est pas de l’homme que vous parlez ni de son acte, c’est de la valeur des choses (si j’ai bien compris, et si non, dites-moi).
votre article me donne à réfléchir. Je me demande si le point de vue que vous y développez ne serait pas fondé sur les axiomes de « bon sens » suivants :
1/ le seul bon argent est celui qui résulte d’un travail, et tout autre argent est condamnable
2/ nul ne doit prendre de risque avec ce qui ne lui appartient pas en propre
3/ tout ce qui est gagné par l’un est nécessairement perdu par un autre (la somme des richesses est constante et tout enrichissement est dolosif, dans la suite de l’ami proudhon)
or, je me demande aussi si ce ne serait pas sur de tels axiomes que se serait fondée une forme de bien-pensance contemporaine dans laquelle tout devrait se valoir, dans laquelle le risque ne devrait conduire qu’à plus d’agrément, dans laquelle toute acquisition (par autrui) serait un vol (contre moi bien sûr, et donc toute acquisition par moi un dédommagement minimal), faisant de chacun ce créditeur universel et éternel qu’on voit partout cultiver le doux état victimaire qui marque tant notre époque : « le petit dieu gavé-frustré, votant, consommateur ».
parce qu’enfin, toute valeur est valeur d’échange, et l’échange n’est fondé que sur la désirabilité ; l’écrivain célèbre et l’écrivain que personne ne lit, la valeur des deux n’est nulle part ailleurs que dans le regard des autres. Vous savez bien qu’il n’y a pas de prix de vente, mais qu’il n’y a que des prix d’achat : la chose vaut (et ne vaut que) ce que quelqu’un est prêt à en donner à cet endroit-là et à ce moment-là.
diriez-vous, paul, que l’augmentation de « valeur » que prend, jour après jour, l’objet déposé sur ebay, est un « enrichissement sans cause » ? Evidemment non ! cette valeur est un indicateur de désirabilité. Il en est de même de la valeur d’un pissarro ou des célèbres tournesols.
au nom de quoi faudrait-il que seul le « travail » soit autorisé à produire de la valeur, alors que la valeur n’est qu’un indice de désirabilité personnel, et variable, et irrationnel, et sachant en plus que le travail est une chose fort difficile à définir, comme en témoigne tous les jours le droit qui s’y applique.
si vous désirez quelque chose plus que moi, vous en offrirez plus, c’est aussi simple que ça.
vous connaissez sûrement la répartie de picasso : à un critique qui lui demandait agressivement « combien de temps de travail y a-t-il dans ce dessin que vous vendez si cher ? », il avait répondu : « une vie ». Il avait raison, mais c’était encore trop peu dire : il aurait pu ajouter la vie de ses parents, les vies de ceux qui l’avaient influencé, les vies de ceux qui avaient construit ses environnements, celle de dora maar...
au nom de quoi aurait-on quelque chose à reprocher à ceux qui suivaient le conseil que leur donnait le même picasso quand il les payait d’un chèque en leur disant « ne l’encaissez pas, il vaudra un jour plus que son montant » ?
les forestiers ont une jolie formule : pour l’estimation d’une pièce plantée d’arbres qui pousseront si dieu veut, ils parlent de « valeur d’espérance ». Or, comparez la valeur de cette pièce d’arbres jeunes à ce qu’elle est devenue trente ans après lors de la coupe, et mettez en face de cette plus-value le coût de l’entretien, vous verrez que l’enrichissement est spectaculaire. Est-il scandaleux ? non. Et pourtant c’est bien dame nature qui a fait tout le boulot (si je puis me permettre !), ou presque.
en dépit de ses gros doigts, de sa confortable limousine, et de sa manie de ne pas me faire confiance alors que je suis si doué pour l’argent comme chacun sait, le banquier n’est pas un voleur, ni un homme à abattre. Son métier est de permettre ou favoriser la création d’une richesse - de désirabilité - qui profitera d’abord à tout le monde. Trouvez-vous anormal que celui par qui tout le monde est enrichi soit le premier à en profiter ?
confieriez-vous votre argent à un banquier pauvre ? moi non. S’il gagne, il ne me prend rien : il me fait gagner.
je me rappelle avoir vu un jour au marché une femme acheter des bananes ; elle avait des parts dans une plantation, et lorsque la vendeuse lui a dit avec une grimace qu’elles étaient chères, la femme a répondu « tant mieux, c’est parce qu’elles sont chères que je peux en acheter », et chaque fois que j’y repense je ris encore de l’expression d’incompréhension de la vendeuse ! Et pourtant c’était vrai !
pour remplir sa fonction d’enrichisseur, le banquier repère ce qui gagnera en désirabilité, et il le repère avant les autres. Cette anticipation est le coeur de son métier. Ensuite, il favorise l’augmentation de désirabilité, et se retire de ce qui perdra en désirabilité. Sa mission, sa fonction sociale sont celle-là. Sauf pensée magique mickey-bisounours, ceux qui lui confient leur argent le savent. On prend des risques, on en prend plus ou moins, plus ou moins longtemps.
ce n’est pas un casino comme vous dites, car ces lois d’anticipation ne sont pas les lois du hasard qui seul règle les jeux d’argent.
je crois que le malentendu vient de ce que l’enrichissement général produit par les banques n’est pas évidemment visible au grand jour, contrairement à la prime du trader. Ce qui est rétribué chez le trader, ce n’est nullement son audace, ni les risques qu’il prend avec l’argent qu’on lui a confié pour ça, ce qui est rétribué c’est l’enrichissement général qu’il produit.
je suis frappé de voir que ceux qui savent anticiper la désirabilité attirent la haine s’ils en profitent de leur vivant, et l’admiration s’ils n’en profitent pas parce qu’ils ont eu raison trop tôt.
tout le monde connaît l’anecdote de picasso au restaurant : le restaurateur l’a repéré, et lui demande s’il accepterait de laisser un dessin sur la nappe en papier. L’artiste s’exécute, mais ne signe pas. Le restaurateur admire, remercie, et demande si le maître pourrait signer l’oeuvre. Réponse de picasso : « non, j’achète le repas, je n’achète pas le restaurant ! »
eh bien, ce picasso-là, on ne l’aime pas, alors qu’on aime pissarro mourant de froid dans la misère au milieu de ses chefs-d’oeuvre.
pourquoi ?
dans cette haine du riche, dans notre feinte croyance que pauvreté = pureté, j’aimerais être sûr qu’il y ait autre chose que de la jalousie et du dépit de nos insuffisances.
15/11 21:38 - Pinkmounter
15/11 17:53 - appoline
@ Nestor, Eh oui, 5 ou ans vous dites, peut-être un peu plus. Pour rebondir sur une phrase de (...)
15/11 17:45 - SURVEYOR
Tous les jours les banquiers se servent directement dans nos poches, à coups d’agios avec (...)
15/11 01:34 - Pinkmounter
Les mêmes qui pleurnichent toute l’année avec les « deux poids deux mesures » jubilent (...)
11/11 03:00 - Christoff_M
Le héros sous Sarkozy est celui qui défie le pouvoir, l’état et les financiers... Le (...)
10/11 20:57 - ocean
je sais bien qu’il est de bon ton de ne pas aimer les américains, mais bon, vous savez ce (...)
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