Monolecte, votre vision du capitalisme est un peu simpliste. En généralisant à outrance ses excès, en feignant d’ignorer que la majorité des entreprises ne souffrent aucune comparaison avec Bouygues ou Bolloré, que toutes ne sont pas cotées en bourse, que sans volonté entreprenariale le tissu économique et social s’effondre, vous risquez de jeter le bébé avec l’eau du bain.
J’ai créé mon entreprise en avril 2009. Inutile de dire que ma boîte ne chatouille pas encore les pieds des grands du CAC 40, et il n’en sera probablement jamais ainsi. J’y mets cependant mon énergie, mon inventivité et toute mon âme, et bien que percevant cette année un salaire inférieur au SMIC, je n’échangerai mon métier contre aucun autre.
Inutile de préciser que les charges mirobolantes que je paie, avoisinant les 40% de mon chiffre d’affaires, ne me donnent aucun droit à l’assurance chômage ; que je suis indéfiniment responsable à titre personnel en cas de faute de gestion, volontaire ou non ; que je croule sous les démarches administratives en tout genre, me heurtant constamment à la lenteur et l’inertie des impôts, de ma caisse de retraite, de la poste. Mais j’ai la fierté de subvenir à mes propres besoins, sans rien attendre de personne ; d’avoir monté et réalisé un projet ; d’avoir gagné la confiance de mes clients et de mes partenaires ; bref, d’avoir construit quelque chose.
Alors si d’aventure ma boîte finissait par dégager des sommes importantes, je ne trouverais pas injuste, pour les risques que j’aurais pris et en récompense de mes efforts, de toucher un salaire confortable.
Vous invoquez à juste titre la théorie des jeux. Pourquoi créer, pourquoi prendre des risques, si l’on a aucun espoir de récolter le fruit de son travail ? Cet espoir, c’est le capitalisme qui le soutient, depuis bien avant l’invention même du mot. Le danger réside dans le capitalisme dogmatique, qui n’accepte ni régulation, ni contradiction. Qui désigne les pauvres comme coupables de n’avoir pas réussi. Il y a, bien sûr, dans notre fonctionnement économique et social, matière à débat. Mais je ne connais pas d’alternative viable au capitalisme, et visiblement vous non plus, qui appelez à « repenser la société, [...] réinventer le monde. »
En attendant vos propositions, je crois préférable de réformer le système actuel que de courir après cette chimère idéologique dont vous rêvez, ce « nouveau monde » dont les utopies nous parlent depuis des siècles.
Respectueusement,
Gaël