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Commentaire de barbounet

sur Comprendre la guerre en Libye (3/3)


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barbounet 11 avril 2011 14:16

Les articles annonçant avoir tout compris sur les révoltes arabes, comme celui de M. Collon, nuisent à la qualité du débat que l’on doit avoir aujourd’hui sur l’avenir du monde.

L’article de M. Collon peut avoir comme conséquence de discréditer toute forme d’opposition aux choix géopolitiques des plus grands dirigeants de ce monde. En croyant détenir la vérité et en interprétant les intérêts des uns et des autres comme des complots qui régissent le monde, il affaiblit le camp de ceux qui œuvrent pour la justice et la démocratie (dans les pays arabes ou ailleurs).

Comment y parvient-il ?

Son travail dissimule des carences journalistiques et scientifiques.

M. Collon cherche à prouver par tous les moyens que les puissance à l’œuvre en Libye n’ont pas d’autres raisons d’agir de la sorte que celles de vouloir contrôler, surveiller et punir. Appuyant sa démonstration sur une belle connaissance des guerres et des conflits dans le monde, il détourne un fait au profit de sa démonstration ou emprunte la phrase d’un autre pour appuyer son propos.


Ainsi, Robert Gates, ministre EU, ne peut être qu’un menteur dès le 4ème paragraphe de la 1ère partie de l’article. Le fait que les occidentaux ne soient pas intervenus à Gaza pour défendre les palestiniens démontrent, une fois pour toutes, des rapports supposés malsain entre Israël, les EU et l’UE.

M. Collon cite Alan Greenspan, ancien directeur de la réserve fédérale des EU, et prend automatiquement pour vérité ce qu’il écrit : « la guerre en Irak était essentiellement pour le pétrole ». Alan Greenspan devient aux yeux du journaliste celui qui sait et qui va nous révéler la vérité. L’ancien haut responsable de l’économie américaine serait maintenant du côté des contestataires des méfaits du libéralisme (délits d’initié, corruption, etc).


Les procèdes d’essayistes trompeurs et truqueurs se succèdent.


Quelques para graphes plus loin, il nous est demandé de croire Obama lorsque celui-ci déclare que les intérêts des EU « sont en jeu » en Libye. Il nous faut y voir la preuve que les préoccupations humanitaires n’ont pas directement influencé la volonté d’une intervention militaire. Non seulement, si Obama le dit, c’est que cela doit être vrai, mais le lecteur doit accepter qu’il existe une raison cachée et unique à l’intervention militaire en Libye.

Un peu plus loin. M. Collon cherche à nous démontrer que les EU ont été et resteront toujours de dangereux Va t-en guerre. Pour preuve, les EU (démocrates ou républicains) n’ont jamais accepté des propositions de cessez le feu lors des derniers conflits internationaux.

Le premier exemple donné est celui de la guerre du Golfe, épisode 1991. Il est ici demandé au lecteur de croire en la sincérité de Saddam Hussein mais aussi d’oublier qu’entre dans le champ de la négociation la problématique israélo-palestinienne. En effet, Saddam demande un retrait des territoires occupés. Précisons pour finir que la source n’est autre que l’auteur lui-même.

A chaque fois, M. Collon proclame une grande vérité générale en n’exploitant qu’une partie de l’exemple qui sert de démonstration. Cette démarche inductive ne pose pas problème en soi mais elle nécessité une analyse plus détaillé des faits qui servent à la démonstration. Autrement dit, l’objectivité affichée de l’analyse de M. Collon peut être mise en doute dans la mesure ou il n’y pas de réelle volonté d’objectiver les faits servant à la démonstration. Au contraire, la façon de faire de M. Collon démontre, semble t-il, une certaine carence. Ma propre analyse s’arrêtant ici, je ne souhaite pas transformer mon propos en un procès d’intention à l’attention de quelqu’un dont je ne connais pas les écrits, excepté celui que je commente par ces quelques mots.

Cependant, d’autres exemples sont éloquents.

Selon M. Collon, l’opposition libyenne est aux mains de personnes douteuses. Notamment Abud Jalil. Il nous est demandé de croire les autorités bulgares lorqu’elles nous assurent que Abud Jalil est le responsable des tortures des infirmières bulgares. M. Collon semble confondre ici la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage. Si Abud Jalil donne l’ordre de torturer, rien ne renseigne sur ses motivations et sur sa participation au processus décisionnel. Autrement dit, ne confondons pas celui qui exécute et celui qui prend la décision.

Je précise ici qu’il ne s’agit pas de nier ou de pardonner des actes odieux mais bien de dénoncer un journalisme d’opinion qui fait tout autant de mal à la cause qu’il défend qu’il ne le croit.

Ici, M. Collon n’éclaire qu’une partie de l’histoire des infirmières pour en tirer une loi générale incontestable et prouvée : l’opposition libyenne est aux mains de personnalités infréquentables et les grands de ce monde en sont les responsables. L’exemple utilisé pour la démonstration relève d’un fait pris sans explication supplémentaire alors que la conclusion de l’analyse relève d’une vérité située sur un autre champ d’analyse : l’organisation du monde et sa gestion par les grandes puissances.

Tout est bon pour l’auteur quand il faut défendre la thèse de la manipulation et du complot.

Nouvel exemple.

Une des sources de M. Collon est J. P. Pougala. Ce dernier prétend que Kadhafi aide les africains dans la création d’un satellite capable de relayer toutes les formes de communications électroniques du continent. Il aurait ainsi pour ambition de diminuer le prix des communications sur le continent mais surtout de contrecarrer les plans économiques de domination du monde par les EU et l’UE. Or, ce soit-disant expert de l’Afrique installé en Suisse n’existe pas. Je devrais plutôt dire qu’il est connu pour ne pas exister de même que l’institution dont il prétend appartenir. Le procédé de M. Collon est malheureusement ici classique mais il n’en reste pas moins manipulateur.

La 3ème partie de l’article est épique.

L’auteur flatte nos égos en nous disant capables de lutter contre la désinformation.

Il nous rappelle, entre autres, que les médias russes dénoncent actuellement une nouvelle croisade en Libye menée par l’OTAN. Et l’on est censé croire les médias russes parce que nos médias occidentaux sont des manipulateurs à la solde des multinationales.

Entendons nous bien, il ne s’agit pas de nier l’existence de connivences entre des milieux que nous souhaiterions voir plus déconnectés, plus éloignés. C’est le procédé qui pose problème.

Cette distorsion des faits à des fins politiques et/ou commerciales en provenance d’un tas de sites internet nuit à la recherche d’un monde plus apaisé et plus juste. La faiblesse de l’analyse n’est rien à côté des dégâts qu’elle peu engendrer au sein de ceux qui cherchent aussi un monde plus humain.

Il ne sert à rien de prétendre connaître la vérité et de vouloir l’imposer, lorsqu’en fait le seul but recherché est de convaincre le lecteur en le plaçant dans le rôle confortable de celui qui a trouvé la vérité sur la toile.

Nous sommes nombreux à nous indigner des comportements de nos dirigeants, des dérives extrémistes, des transformations économiques et politiques de ce monde.

Mais prétendre connaître la vérité et dénoncer les stratégies des uns et des autres comme autant de complots qui s’entremêlent par delà le monde, n’est ce pas au contraire nous affaiblir et crédibiliser les conservateurs ?

N’est-il pas plus judicieux d’employer des conditionnels dans nos analyses, non pas pour avancer masqués mais simplement pour témoigner que nous avons compris que le monde est d’une complexité insaisissable ?

N’est-il pas vain d’essayer de saisir le monde à travers quelques lois simples d’alliances et de coalitions quand nous savons qu’autour de nous le hasard et les opportunités participent à l’évolution de nos vies ?

En bref, sortir des idéologies et des doctrines pourrait nous permettre de crédibiliser un discours et un projet différents sur l’état et l’avenir du monde plutôt que vouloir imposer à l’opinion des vérités qui n’existent pas. Sortons de ce positivisme ambiant, abandonnons les dogmes d’hier. Méfions-nous des théoriciens du complot qui affaiblissent notre connaissance du monde et qui discréditent notre cause.

Devenons crédible, ne cédons pas à la facilité et à la rapidité des explications.

Barbounet - sociologue du présent -


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