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Commentaire de Luc-Laurent Salvador

sur De la démocratie en amour : la loi de l'accord (théorie du PCRA 5)


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Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 4 juin 2011 15:56

Bonjour marcuz,

Merci pour ce commentaire qui apporte une belle contradiction superbement documentée.
Pour lui faire la meilleure réponse possible, je choisis le format de réponse e-mail...

Il se trouve que je viens de tomber amoureux de la jeune femme la plus belle du monde...bien évidemment. Elle m’aime, je l’aime. Pour autant, on est pas au pays des bisounours...

Je m’en réjouis pour vous. Le pays de bisounours est assez vite lassant.

Quand je lui dis que j’aime sa liberté, elle me répond (bien légitimement) que l’attachement suspend la liberté.

Je manque d’information contextuelle pour décider de l’intention de communication de votre compagne. Je dirais que s’il s’agit pour elle de justifier une absence d’attachement de sa part, la citation de Sartre ci-dessous suffirait à lui montrer que cette position n’a rien de nécessaire.

Quand je lui dit que je ne suis pas jaloux, ça la rend triste...

Dès lors qu’elle a pour heuristique que l’intensité du désir s’évalue par la possessivité et la crainte de la perte, faire le constat que l’on vit avec un amant non jaloux peut en effet être déprimant. J’ai connu ça.

Bref, .au delà de notre intimité (et mon témoignage s’arrêtera là...), les rapports du sujet à l’objet vont bien au delà de vos analyses,

J’espère sincèrement que vous allez pouvoir me le (dé)montrer.

à mon goût trop idéalistes,

Je dirais plutôt simplistes vu le format nécessairement limité des textes que je présente

trop contractualistes,

vous m’intéressez...

pour ne pas dire... moralistes.

là vraiment, je serais surpris, mais je ne dis pas que c’est impossible car je ne peux prétendre maîtriser totalement ce que j’écris.

Sartre le disait justement :

"Il arrive qu’un asservissement total de l’être aimé tue l’amour de l’amant.

Le « il arrive » est ici juste une formule prudente pour faire modeste et ne pas susciter la réactance du lecteur.
J’imagine que s’il avait eu la volonté de faire science plutôt que philosophie, il se serait probablement risqué à l’hypothèse forte, sans aucune précaution particulière : "L’asservissement total de l’être aimé tue l’amour de l’amant".

Le but est dépassé : l’amant se retrouve seul si l’aimé s’est transformé en automate.

Exactement ce que je m’évertue à dire : nous voulons la rencontre avec un sujet et non un objet. Un automate reste un objet car, comme la marionnette lui manque le libre-arbitre qui est l’essence du sujet.

Ainsi l’amant ne désire-t-il pas posséder l’aimé comme on possède une chose :il réclame un type spécial d’appropriation. Il veut posséder une liberté comme liberté.
Mais, d’autre part, il ne saurait se satisfaire de cette forme éminente de la liberté qu’est l’engagement libre et volontaire. Qui se contenterait d’un amour qui se donnerait comme pure fidélité à la foi jurée ? Qui donc accepterait de s’entendre dire : "Je vous aime parce que je me suis librement engagé à vous aimer et que je ne veux pas me dédire ; je vous aime par fidélité à moi-même ?" Ainsi l’amant demande le serment et s’irrite du serment. Il veut être aimé par une liberté et réclame que cette liberté comme liberté ne soit plus libre. Il veut à la fois que la liberté de l’Autre se détermine elle-même à devenir amour - et cela, non point seulement au commencement de l’aventure mais à chaque instant - et, à la fois, que cette liberté soit captivée par elle-même, qu’elle se retourne sur elle-même, comme dans la folie, comme dans le rêve, pour vouloir sa captivité. Et cette captivité doit être démission libre et enchaînée à la fois entre nos mains. Ce n’est pas le déterminisme passionnel que nous désirons chez autrui, dans l’amour, ni une liberté hors d’atteinte : mais c’est une liberté qui joue le déterminisme passionnel et qui se prend à son jeu."

(in L’être et le néant, III, 3)

Très belle citation qui, telle que je la comprends, dit, en substance, que l’amant désire posséder un être libre, c’est-à-dire, un être qui vient librement, d’instant en instant, s’aban-donner à ses désirs, s’y conformer, mais sans jamais cesser d’être libre.
Ce que Lacan a, je crois, très bien formulé aussi avec cette idée que « La femme cherche un maître pour le dominer ».
Je vous le dis tranquillement, je ne doute pas une seconde que tout un chacun puisse être porté par des désirs aussi contradictoires que ceux-là.
Mais précisément, le drame de la plupart des vies amoureuses est d’avoir à découvrir qu’ils sont absolument contradictoires et tout mon effort découle du fait d’avoir pris acte du caractère indépassable de cette contradiction qui, pour fixer les idées, consiste à croire qu’en compressant suffisamment la dialectique du maître et de l’esclave on pourra superposer l’un à l’autre.
Ce que propose Sartre est une belle pirouette qui, à mon sens, relève de cet adage latin « ex falso sequitur quod libet » que je traduis en raccourci par « du faux il s’ensuit n’importe quoi ».
Le faux se trouvant dans les tous premiers mots de la citation que je reformule pour faire apparaître clairement le problème :
" L’amant désire posséder l’aimé non comme une chose mais comme une ..." (liberté etc.)
Le faux, le problème, est dans ce postulat que l’amant désire posséder.
C’est tout au plus une vérité statistique.
Mais c’est faux en principe, parce que c’est le contraire de l’amour.

Non, l’amour n’est pas un contrat. Il n’y a de contrats que dans la vie marchande. Et le « contrat social », politique ou amoureux ne sont que des chimères.

Puis-je vous renvoyer au fait qu’à aucun moment je ne parle de contrat ? C’est assurément une projection que vous opérez.
Ma proposition est bien plus « inclusive » car je parle de ce qu’il y a de plus fondamental, de plus générique, l’accord, dont le pacte, comme le contrat, n’est qu’une espèce ou une variété.

Non, je parlerais davantage de pacte. Un pacte qui commence dés la séduction : ce jeu plein de pièges (à cons) et de coups (tordus) que l’on inflige à l’autre. Et qu’on consent à subir.... On a pas 36 milles possibilités, on joue le jeu ou non. Et ce qui pousse souvent à ne pas le jouer, ce qui effraie, c’est son terrorisme. Cette terreur douce, à la fois criminelle...et bienveillante. Il est initiatique, éducateur... Lisez Baudrillard, De la séduction. C’est magnifique !

Je ne l’ai pas encore fait, mais c’est prévu, je sais que c’est une bonne référence smiley.
Ceci dit, comme on juge d’un arbre à ses fruits, je serais volontiers porté à croire que je n’y trouverais pas ce que je cherche car je n’en ai pas vu venir d’échos par ailleurs.
Mais j’irais voir, c’est sûr !

Voilà pourquoi je pense sincèrement qu’il est tout bonnement impossible d’empêcher les rapports de force dans une relation amoureuse et de séduction.

Je n’ai pas vu dans ce qui précède d’argumentation qui puisse emporter ma conviction.
Mais je vous suis volontiers.
Mon idée étant que, précisément, pour vivre en paix, il est sage de venir à la rencontre de l’autre sur le lieu de l’accord, ce qui n’est pas limitatif vu que l’on peut librement l’élargir jusqu’à obtenir un espace qui englobe l’univers...

Ce n’est même pas souhaitable, ce n’est même pas l’enjeu.

Oh que si.
La paix est une aspiration fondamentale qui motive la plupart des divorces et qui explique la montée en puissance du célibat.

Et parlons donc de démocratie... Si l’on considère que la démocratie consiste à détruire les relations de pouvoir alors on se trompe lourdement... (L’Histoire n’a pas de fin et n’en aura jamais...)

Non, la démocratie est bien davantage sa circulation, le tour et retour d’un pouvoir qui tourne. Voilà pourquoi il n’y a de relation amoureuse saine qu’à l’unique condition que la force tourne, que les positions de dominant/dominé puissent être renversées, occupées alternativement par les deux amants. Et que l’on y prenne du plaisir ...

Voilà la différence entre un pacte et un contrat. Les contrats (de vente, de paix, etc...) arrêtent la circulation des forces et décident de qui domine. Définitivement. Et c’est cela qui est insupportable... C’est cela la tyrannie.

Dès lors que je travaille à un modèle psychologique basé sur le cycle, ce n’est pas moi qui vais vous contredire ici concernant la circulation.
Elle est permanente.
Mais ce que vous tenez pour la solution (le pacte) n’est qu’une description écologiquement valide (située) de ce qui fait que les humains peuvent souvent interagir en restant passablement en paix : le fait qu’ils se sont donnés des accords, explicites et implicites, mais des accords.
La circulation est le b a ba de la chose, puisqu’on la retrouve dans le tour de parole.
Le locuteur domine puis s’interrompt et laisse la parole à l’autre qui, de dominé (à l’écoute) devient dominant sous le rapport de la parole.
L’accord est ici tacite et vous pourrez l’appeler pacte si vous voulez.
Il s’avère que si l’un ne le respecte pas, il est généralement aisé de l’amener à convenir explicitement que l’on ne monopolise pas la parole et qu’on ne la coupe pas.
Ce sera encore une fois un accord (et vous pourrez l’appeler pacte si vous voulez).
Et je ne vois pas ici ce qui serait trop idéaliste, trop contractualiste ou même moraliste.
C’est juste du savoir vivre en bonne intelligence que de s’accorder sur les attentes réciproques pour faire en sorte que la paix s’instaure entre les partenaires.
Voilà désolé, mais il n’y avait pas dans votre tentative quoi que ce soit pour me faire m’écarter de mes propositions initiales.
Mais peut-être ai-je manqué quelque chose,
ce sera à vous de me dire.
ps : le « pacte » dont je parle, n’a bien évidemment rien à voir avec le libertinage ni ce que Sartre et « le Castor » ont pu « machiner », puisque leur correspondance a davantage révélé leurs échecs et leurs souffrances....
Je pense qu’il y aurait de belles analyses à réaliser à partir de leur relation.
Mais si Sartre n’a pas fait le deuil de son désir de posséder, je ne suis pas surpris qu’échecs et souffrances soient au menu.

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