Bonjour,
Je vous propose la réflexion de Phillippe BILGER sur cette décision :
http://www.philippebilger.com/
UN PEU DE PUDEUR
Le procureur Cyrus Vance a décidé d’abandonner les charges à
l’encontre de DSK parce que la plaignante aurait trop menti. Le juge
en a pris acte.
Feint ou sincère, l’enthousiasme socialiste à la suite de cette
exonération pénale me semble à la fois ridicule et indécent. Je
ne doute pas une seconde que pour le couple DSK-Anne Sinclair, à
l’évidente joie judiciaire se mêle une durable tristesse, à la
certitude d’un avenir enfin dégagé le sentiment d’un absurde
gâchis. Cette victoire conjoncturelle, à l’évidence, n’efface pas
toute l’histoire.
Il est passionnant de comparer les procédures américaine et
française. On peut imaginer que la justice française n’aurait pas
apporté le même dénouement (nouvelobs.com).
Le procureur de l’Etat de New York, dans la démarche qui a été
la sienne, a étrangement, parce que très rapidement, souligné que
la plaignante avait menti sur certains points puis, au bout d’une
réflexion approfondie conclue par un rapport de 25 pages, il a pris
le parti de ne pas assumer sa mission d’accusateur en l’occurrence.
Il est frappant de constater à quel point les débats médiatiques
français - notamment sur France 2 - méconnaissent la singularité
de l’attitude de Cyrus Vance en la résumant à une sorte de
non-lieu. Alors qu’à l’origine, ce qui s’est passé le 14 mai entre
DSK et la plaignante et qui a duré de sept à neuf minutes lui est
apparu comme "n’étant probablement pas le produit d’un rapport
consenti". Faute de témoins, l’accusation ne pouvait se fonder
que sur les dires de Nafissatou Diallo et les documents médicaux.
Cyrus Vance a considéré que les mensonges de la plaignante sur son
histoire antérieure et ses variations sur ce qu’elle a effectué à
la sortie de la chambre n’étaient pas susceptibles de permettre une
poursuite suffisamment assurée pour espérer un succès. Il a craint
à l’évidence que Nafissatou Diallo, en dépit du caractère"
précipité" de la relation et de l’essentiel de l’agression
qu’elle avait sans cesse confirmé, soit mise à mal et totalement
décrédibilisée par les avocats de la défense. L’abandon des
charges pour l’accusation américaine, résulte non pas de la
certitude de l’innocence mais de la crainte d’un insuccès. Ce qui
compte, ce n’est pas la vérité en elle-même ou l’intuition qu’on a
d’elle mais le pragmatisme du procès. Est vrai, pour le procureur,
seulement ce qui pourrait être démontré à coup sûr lors des
audiences. Faute de cette confiance, il abandonne au nom d’un
réalisme supérieur. Le non-lieu vient à l’issue d’une procédure
alors que celle-ci, à New York, est privée, au contraire, du procès
qui la mettrait à l’épreuve (Le Figaro).
La procédure française n’aurait sans doute pas fait apparaître
aussi rapidement que l’autre les mensonges d’une plaignante sur son
passé. Elle aurait peut-être, lors de l’instruction criminelle et
devant la cour d’assises, révélé quelques failles, lacunes ou
variations dans la relation des agissements dénoncés qui en
définitive n’auraient pas forcément emporté l’acquittement. La
France a une conception de la vérité en quelque sorte absolue,
métaphysique. Elle existe même si l’avenir judiciaire demeure
incertain et peut laisser dubitatif. Souvent, il y a débat entre le
problème des preuves et la conviction intime que quelque chose s’est
produit malgré, parfois, la médiocrité des premières. La justice
française choisira de tout tenter judiciairement alors que
l’américaine jettera l’éponge auparavant. La précaution du doute
raisonnable ne relève pas de notre registre.
Une seconde différence fondamentale entre nos systèmes se
rapporte au fait que le procureur Vance apparemment ne s’est soucié
que de la plaignante et de ses récits, sans chercher quoi que ce
soit à charge ou à décharge dans l’attitude de DSK (qui
initialement semblait récuser l’existence de tout acte sexuel avant
d’en admettre l’existence à cause de l’ADN). Le procureur français,
le juge d’instruction, les parties au procès criminel sont eux
directement intéressés dans leur démonstration par les propos du
mis en cause, ses éventuelles contradictions ou sa sincérité.
Un peu de pudeur tout de même. DSK a résolu de se taire avant de
faire diffuser un communiqué succinct. Anne Sinclair a fait preuve
d’une dignité infinie et a veillé à ce que personne ne parle en
son nom, en leur nom. Laure Adler l’a appris à ses dépens (Le Monde
). Aussi, il me semble que le moins qu’on puisse attendre des amis de
DSK, des socialistes qui le soutiennent, de la confrérie des
politiques toutes tendances confondues et des journalistes focalisant
absurdement sur le seul registre judiciaire comme si l’humain, la
tenue, l’allure d’une personnalité politique emblématique n’avaient
aucune importance, c’est qu’ils adoptent retenue et réserve. Qu’ils
ne confondent pas la décision américaine avec une absolution - même
sans la menace de l’instance civile - et qu’ils ne poussent pas des
cocoricos choquants ou ne s’abandonnent pas à une joie hypocrite.
Parce que cette affaire, tout de même, de quelque côté qu’on
l’envisage, n’est pas brillante pour DSK, dont on attendait qu’il
incarne tout ce qui politiquement avait été investi sur lui
(Marianne 2). A ce titre, les socialistes Le Guen et Cambadélis ont
dépassé les bornes tandis qu’André Vallini a su trouver le ton
juste, à nouveau. Et l’éditorial du Monde, avec lui. C’est une
apparente victoire mais qu’accompagne une désillusion triste.
Il y a la justice. Mais il y a le reste qui est presque tout.