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La nature a horreur du vide !
A peine 200
mètres après le premier check-point de la zone d’exclusion..Autour,
les herbes hautes de la prairie ondulent sous une brise vagabonde.
Soleil fringant mais froid d’acier. Une harde d’équidés sauvages
broutent paisiblement ; mythiques chevaux de Prjevalski. Le troupeau
compte une dizaine d’animaux, juments et poulains légèrement en
retrait de l’étalon dominant, qui, tête haute et naseaux ouverts à
l’effluve étrangère, défie quiconque de s’approcher. Malgré la
mue de printemps qui tigre la robe isabelle, force est de constater
l’insolente santé des bêtes, une population d’autant plus
fragilisée que l’espèce est classée en voie d’extinction.
Aujourd’hui, une cinquantaine de spécimens profite de ce havre de
paix.
Bienvenue dans le laboratoire le plus étonnant de la planète où
énigmes et paradoxes se succèdent, où enjeux politiques et
querelles scientifiques nourrissent un débat cacophonique. Chiffres,
études et publications s’enchaînent, les uns invalidant souvent les
autres au gré de l’opinion des protagonistes pro ou antinucléaires.
Autour, la nature a repris ses droits. Partout, une faune et une
flore aussi inattendues qu’insolentes de prospérité. Elans, lynx,
ours, chevreuils, cerfs, loups se sont réapproprié l’espace.
Ambiance... Un couple de rouges-queues noirs trille à la cime d’un
arbre alors qu’une pie jacasse sur les basses charpentes. Une martre
poursuit un rongeur dans les ramures d’un bouleau. Décelant la
présence du prédateur, une portée de mulots disparaît dans un
trou. Un tronc balafré de frayures témoigne de la présence de
grands cervidés. Les lapins bondissent comme des jouets mécaniques
dès qu’un intrus les surprend au gîte. Même si le désastre a
métamorphosé son milieu naturel, le monde sauvage semble se moquer
de l’impact des rayonnements ionisants, grignotant à toute allure le
moindre espace laissé par l’homme, sans qu’aucune menace ni
altération visible semble le freiner dans sa progression.
Pourtant, de profondes modifications sont survenues dans leur
habitat. Les forêts sont devenues des réservoirs de radioactivité
dont 90 % se trouve dans la litière. Mousses, champignons et
lichens, vivant dans les couches superficielles du sol où ils
puisent leurs nutriments, présentent de fortes concentrations de
radionucléides. Certains champignons peuvent atteindre le million de
becquerels (100.000 Bq par kilo = 1000 fois la limite autorisée).
Les arbres, quant à eux, se sont mal adaptés aux radiations. Les
conifères, beaucoup plus sensibles que les feuillus, sont morts ou
ont muté, remplacés par les bouleaux. L’espèce pionnière,
résistante à tout, a supplanté pins, vergers, hêtraies. Cela
pourrait s’expliquer par les différences de taille des génomes :
plus petits chez les bouleaux, ils sont moins vulnérables aux
rayonnements.
Les espèces végétales les plus résistantes ont recolonisé les
espaces appauvris et stériles, redessinant la forêt originelle et
usurpant l’identité de ses occupants.
A la caserne des pompiers de Tchernobyl, quelques animaux sauvages
sont exhibés dans des cages comme dans un zoo miniature. Apeuré, un
goupil brun-roux à la queue en panache creuse son fossé le long du
grillage. Plus loin, un énorme sanglier, les jarres roides de boue,
glisse son imposant groin dans un orifice de l’enclos, histoire
d’apprécier la valeur de ses hôtes. Sacha, un géant de 2 mètres
au crâne rasé raconte sa plus belle capture. Il y a un an, il a
ramené un louveteau que ses chiens avaient acculé au fond de la
lovière. A peine sevré, l’animal s’en est retourné à la vie
sauvage. Depuis, Viy (son surnom) vient fréquemment rôder autour
des baraquements, alléché par l’odeur des poubelles et de la
volaille.
Les meutes de loups prospèrent dans la zone interdite. De
plus en plus d’attaques de personnes leur sont attribuées. Pour
juguler les populations, une soixantaine de chasses sont organisées
chaque année. Un « sport » réservé aux chasseurs fortunés
amateurs de sensations fortes. (Cédric Faimali)
Le loup : un beau spécimen à la toison d’or regarde fixement de
ses yeux fendus, truffe à l’évent, oreilles aux écoutes. Tenter
une approche, et la bête se pétrifie. Le jeune mâle hume l’air
avec le sérieux de ceux qui savent ce qu’il en coûte d’être
imprudent en terrain découvert. Plus tard, on l’entend japper sur un
ton excité avant de disparaître à la vitesse de la lumière. Les
vieux revenus vivre dans les villages désaffectés racontent que, la
nuit, les meutes unissent leurs hurlements, poussant graduellement
leur cri jusqu’à l’aigu.
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