« Pourtant c’est bien par l’inculturation que s’est greffé le christianisme en Europe. » ????
« Formée à l’école de la romanité, la mentalité tolérante de Constantin l’empêcha de saisir dans toute son étendue la pensée exclusiviste du christianisme, et donc de prévoir la violence qu’une telle attitude déclencherait dans l’avenir […] Par son caractère universel, que reflétait si bien le réseau de son organisation ecclésiale, le christianisme répondait parfaitement aux besoins d’un état fortement centralisé […] Constantin perçut bien cette correspondance entre christianisme et romanité et décida de s’en servir […] Il se comporta en apprenti sorcier et laissa à ses successeurs la tâche de contrôler les forces désordonnées qu’il déchaîna ».3 Théodose (379-395 et Justinien (527-565) en seront les empereurs les plus actifs de l’éradication du « paganisme »4. « A partir de l’empereur Justinien, les « païens » sont des véritables « morts civils » » 5. Les persécutions ne s’arrêteront qu’avec la disparition leur du sol européen6. Le succès des conquêtes musulmanes au Proche Orient fut d’ailleurs facilité par l’accueil des populations syriaques7 et juives de Syrie et de Palestine, qui saluèrent les musulmans comme des libérateurs par rapport à Byzance. Le philosophe néo-platonicien Pléthon (1360 ?-1452) affichait encore sa préférence pour la religion gréco-romaine8.
La volonté d’éliminer le paganisme est certes difficilement dissociable de la politique de centralisation de l’Empire Romain. La tentative des Empereurs d’imposer une pensée unique avait débuté dès 250 avec Dèce, non chrétienne. La violence avait donc ses racines dans la société romaine, mais la religion chrétienne la reprit à son compte. Revendiquant le monopole de la vérité théologique et désireuse de bâtir une Eglise à vocation universelle, elle fit définitivement basculer l’Empire dans la théocratie, préfigurant ainsi les grands systèmes théocratiques de l’Orient médiéval, qu’il s’agisse du césaro-papisme byzantin ou du califat en terre d’Islam : une religion d’état, une législation inspirée de la religion, un Dieu unique et un souverain unique à la gloire desquels est vouée une capitale prestigieuse : « La violence est le legs de l’Empire au christianisme, legs reçu avec gratitude par son bénéficiaire et accru par lui ».9 Il y eut d’ailleurs des cas où les Empereurs tentèrent de tempérer l’ardeur des évêques soit pour fermer les écoles de philosophie, soit pour détruire les temples grecs, soit pour brûler les livres et à persécuter les philosophes.
Il y eut ainsi complicité objective entre la volonté centralisatrice de l’Empire et l’universalisme chrétien : la parole de Paul « il n’y a ni Juif, ni Grec » avait anticipé sur le besoin des empereurs de passer d’une association de cités à un empire en recherche d’unification pour mieux résister à la pression des barbares aux frontières.
« Ricci, son exemple force l’admiration ».
Je suisbien d’accord, mais il a été désavoué par le Vatican. Ce n’était pas un hasard, car sa position était incompatible avec tout ce qui constitue l’exclusivisme monothéiste
« Opération ô combien salutaire, mais qui pourrait s’avérer fatale pour les religions. »
Bien d’accord avec votre commentaire. Je pense qu’un préalalble serait de désacraliser les textes, mais avec les difficultés que vous indiquez. Pouvez-vous me résumer ce que dit de Cues ?
1 Cf. le cas particulier de la violence contre les donatistes légitimée par Saint Augustin.
2 Exemple de violence entre chrétiens : « A la mort du pape Libère, deux prêtres, Ursinus et Damase, se disputèrent sa succession. La querelle en vint au point qu’on se battit dans les églises, et qu’au dire d’Ammien Marcellin (cf. note 1628 p. 160), on releva, un jour, sept cents cadavres sur le pavé d’une basilique. » La fin du paganisme, Étude sur les dernières luttes religieuses en Occident au quatrième siècle, par Gaston Boissier, 1891, disponible sur
< http://www.mediterranee-antique.info/Boissier/FP_601.htm> ;
3 Polymnia Athanassiadi, op. cit.
4 Et souvent du judaïsme,.
5 Chronique des derniers païens. La disparition du paganisme dans l’Empire romain, du règne de Constantin à celui de Justinien, Pierre Chuvin, Paris, Les Belles Lettres, 1990, p. 136, 138. Cf. aussi Isis et Moïse. Ses secrets de la Déesse du bonheur à la vengeance du Dieu jaloux, Jean Paul de Lagrave, Trois-Pistoles, Québec, Éditions Trois-Pistoles, 2010.
6 Cf. Demolish Them, Vlasis Rassias, Athènes, Anichti Poli Editions, 2000, résumé sur < http://www.ysee.gr/index-eng.php?type=english
&f=lovestories>. Exemple : « In 580, Christian inquisitors attack a secret Temple of Zeus in Antioch. The priest commits suicide, but the other Gentiles are arrested. All the prisoners, the Vice Governor Anatolius included, are tortured and sent to Constantinople to face trial. Sentenced to death they are thrown to the lions. The wild animals are unwilling to tear them to pieces and they end up crucified. Their corpses are dragged through the streets by the Christian mob and afterwards thrown unburied in the city dump. »
« On oublie que lorsque les chrétiens s’emparent de l’Empire romain via Constantin, ils sont une minorité, qu’ils ne deviennent majorité que par les persécutions, le chantage, la destruction massive des temples, des statues, des lieux de culte et des manuscrits anciens - et finalement par des dispositions légales (Théodose le Grand) interdisant à des non-chrétiens d’habiter l’Empire. Cette ardeur des vrais chrétiens à défendre le vrai Dieu par le fer, le feu et le sang est constamment présente dans l’histoire du christianisme, oriental comme occidental (hérétiques, Saxons, croisades, Juifs, Indiens d’Amériques, objets de la charité de la sainte Inquisition, etc.) » Le Monde morcelé (Les carrefours du labyrinthe III), C. Castoriadis, Seuil, 1990.
Sur l’attitude de l’Eglise, cf. notes 593 p. 60, 594 p. 60, 660 p. 67
7 Les syriaques avaient refusé les conclusions du Concile de Chalcédoine. Leur église prit le nom de jacobite.
8 Cf. Comparatio Aristotelis et Platonis , Georges de Trébizonde, 1464.
9 P. Athanassiadi, op. cit.