Y a-t-il plus de violence religieuse dans le monde monothéiste que dans le monde non-monothéiste ?
Comment repérer la violence monothéiste dans l'histoire ?
Il n'existe sans doute pas de violence purement et strictement religieuse, hormis les violences rituelles comme les sacrifices Aztèques : il s'agit en l'occurrence d'une sorte de cas limite par sa simplicité, la clarté de ses règles et de ses motivations. La plupart des conflits mêlent en revanche motivations identitaires, questions de souveraineté et de territoire, enjeux politiques, objectifs religieux, et autres intérêts divers. Toute religion implique en outre une communauté, de sorte qu'un conflit religieux prend souvent la forme d'une compétition entre groupes sociaux. Comment identifier, repérer concrètement dans l'histoire des violences qu'on puisse qualifier de religieuses autres que le cas limite des violences Aztèques ?
On qualifiera une violence de "religieuse" - il serait plus précis de dire violence "pour exclusivisme religieux" - si les protagonistes se différencient d'abord par la religion, et si le but qui mobilise la majorité des combattants est de remplacer les dieux ou les croyances de l'autre camp par les siens propres. En bref, une violence sera dite "religieuse" si la motivation des troupes est l'élimination d'une doctrine considérée erronée[1], autrement dit s'il y a une dimension prosélyte. Les violences idéologiques répondent aux mêmes critères.
Cette définition permet d'éliminer les conflits essentiellement identitaires, ceux dans lesquels la religion n'est qu'un attribut secondaire, les traits distinctifs étant d'abord ethniques, politiques ou sociaux, et le principal enjeu un territoire ou une souveraineté politique. Ainsi il arrive souvent dans les conflits ethniques que les protagonistes soient de religions distinctes - voire parfois de langue - : catholiques et protestants en Irlande, hindous Tamouls et bouddhistes Cingalais au Sri-Lanka, bouddhistes Rakhines et musulmans Rohingyas dans l'Arakan Birman[2], chrétiens et musulmans en Arménie. C'est néanmoins l'appartenance ethnique et non la religion qui constitue alors le marqueur de différenciation déterminant, le but n'étant pas d'imposer à l'adversaire sa religion - ou sa langue -, mais d'arracher ou de refuser un territoire, l'indépendance, l'accès à des ressources : ces conflits sont à considérer comme plus politiques que religieux.
En revanche la religion représente le caractère de différenciation déterminant dans des conflits comme les guerres de religion européennes, l'Inquisition ou l'évangélisation. Catherine de Médicis et les Guise poursuivaient sans doute des objectifs personnels et tâchaient de tirer les marrons du feu, mais chaque camp était caractérisé aux yeux de la masse des combattants d'abord par sa religion, et non par sa région ou par sa classe sociale : la frontière entre catholiques et protestants traversait peu ou prou toutes les régions françaises et tous les milieux. L'Inquisition fabriquait l'ennemi sur des critères spécifiquement religieux, même si elle contribuait à l'assise du nouveau pouvoir de l'Eglise et des princes. "L'extirpation de l'idolâtrie" dans les colonies, la destruction des objets de culte des indigènes ou l'extorsion du baptême en échange d'un avantage matériel correspondaient à un objectif manifeste de conversion, même si celle-ci facilitait aussi la mise au pas par la métropole.
Les Croisades et la Reconquista (c'est-à-dire la reprise par les chrétiens du pouvoir en Espagne sur les musulmans) représentent des cas plus ambigus, car il y est plus délicat de déterminer le rôle exact du religieux par rapport au politique - ce dernier l'ayant par exemple clairement emporté dans la quatrième Croisade qui aboutit au sac de la très chrétienne Constantinople (1204). Toutefois la fanatisation populaire n'aurait pas été la même si les Papes n'avaient pas souvent pris le premier rôle, si le but affiché n'avait été la ville sainte de Jérusalem, si l'ennemi n'avait pas été identifié au musulman.
Ainsi seule une analyse au cas par cas permet d'évaluer la part respective des différentes motivations et de positionner chaque conflit dans le spectre des violences dites religieuses : de principalement politiques (ou ethniques) à principalement religieuses (ou idéologiques). Même la destruction d'objets de culte ne suffit pas pour attester de la nature religieuse d'un conflit : les temples zen n'échappèrent pas à la destruction d'Hiroshima par l'aviation américaine, dont le pilote était vraisemblablement chrétien, et pourtant cette violence était évidemment politique.
On pourrait objecter qu'imposer son ou ses dieux à un peuple vaincu n'est qu'une façon de mieux l'asservir, et qu'en conséquence la violence dite religieuse comme on la définit ici n'est jamais qu'une modalité de la violence politique. Mais ceci relève d'une conception anthropologique qui réduit la religion à un seul instrument de pouvoir, qui considère que la religion n'a pas d'autonomie propre, qu'elle n'est qu'une superstructure réductible au politique. Cette option anthropologique du "tout est politique" ou "tout est économique", dans la lignée de Marx, n'est pas celle prise ici.
Distinguer persécutions religieuses, guerres de religion, ethnocides.
Il faut encore distinguer les violences "intérieures" menées contre les hérétiques - et parmi celles-ci les persécutions religieuses et les guerres de religion - des violences "extérieures" menées contre les étrangers, incroyants, infidèles, païens, etc.
Les persécutions représentent la violence religieuse la mieux partagée, présente sous tous les cieux et à toutes les époques[3]. Décidées par une autorité, politique ou/et religieuse, elles sont conçues dans un but de maintien de l'ordre, de respect du pouvoir : "la tolérance ne cède devant la persécution que lorsque les prétentions […] ou les pratiques religieuses […] paraissent devenir une menace politique pour l'ordre existant."[4] Elles sont mises en œuvre par les forces de l'ordre, publiques ou/et religieuses. Elles s'exercent plus contre des personnes qui sont perçues comme menaçant l'ordre public ou défiant le pouvoir en place que contre des doctrines. On procède plus à des procès - le cas de la condamnation de Socrate est emblématique à cet égard - et à des destructions qu'à des massacres.
Les exemples foisonnent, tant dans le monde non-monothéiste que dans le monde monothéiste. On pourra citer à titre d'exemples :
- les violences romaines à l'égard des chrétiens. Ces persécutions ne visaient pas leurs croyances, mais leur refus de respecter ce que les Romains considéraient comme constitutifs de "l'identité romaine" - par exemple le refus du service militaire, des jeux, du culte de l'empereur -, leurs attitudes de désobéissance civique considérées comme sectaires, un renfermement communautariste, une activité prosélyte[5], la menace d'une minorité particulièrement dynamique.[6] Il est d'ailleurs éclairant de comparer les injonctions aux chrétiens de déserter l'armée et de refuser tout emploi public du Père de l'Eglise Tertullien ( 155 - 235), et après la conversion de Constantin l'excommunication contre les déserteurs que prononcera le concile d'Arles (314). Rappelons que c’est une patricienne convertie Proba Faltonia, qui a envoyé ses esclaves occuper la porte et a fait livrer Rome à Alaric, roi des Wisigoths, barbare mais chrétien, dont Saint Augustin dit qu’il fut l’envoyé de Dieu et le vengeur du christianisme,
- dans la Perse sassanide, les mazdéistes persécutèrent des juifs, des chrétiens, des bouddhistes, des brahmanes et des manichéens[7],
- la chasse aux hérétiques dans l'Europe chrétienne tout au long du Moyen Age, illustrée par son bras ecclésiastique, l'Inquisition.
- les explosions anticléricales sous la Révolution Française ou sous le Front Populaire espagnol[8],
- de nombreux exemples de persécutions en Asie.
Par contraste, les guerres de religion sont des explosions populaires, qui embrasent toute la société. Il s'agit de véritables guerres civiles, qui montent les uns contre les autres, au nom de leurs croyances, des citoyens d'une même ethnie, d'une même classe ou d'une même nation[9]. Le but n'est plus seulement la mise au pas ou l'intimidation, mais la purification religieuse, jusqu'à l'éradication complète de l'hérésie. Elles se traduisent par des massacres qui se nourrissent de la symbolique de l'Apocalypse. Les autorités, quelle qu'ait été leur responsabilité à l'origine, se trouvent rapidement débordées. A plus ou moins long terme elles sont amenées à mettre en place une politique visant à prévenir de tels débordements, comme la paix d'Augsbourg[10], l'Edit de Nantes[11], ou la laïcité républicaine. "Une guerre de religion, c'est une guerre pour la religion ; autrement dit une guerre dont le principal objet est la relation des hommes à Dieu […] C'est une guerre totale dont le salut de la communauté des croyants est le but, la guerre civile le moyen, la dislocation de la nation et la ruine de l'Etat les effets."[12]
Enfin les violences dites "extérieures", qui s'exercent contre un peuple étranger (voire contre une minorité intérieure), visent le remplacement d'une religion indigène par celle du colonisateur (ou de la majorité). Il ne s'agit plus de simple maintien de l'ordre ni d'explosion populaire, mais de l'éradication de croyances considérées comme primitives ou idolâtres : on parlera alors d'ethnocide[13]ou de "déculturation"[14]. C'est ce type de violence que vise la Déclaration universelle des droits des peuples autochtones : "Tout peuple a le droit de ne pas se voir imposer une culture qui lui soit étrangère"[15].
L'anthropologie moderne a en effet mis en évidence la relation intime entre cultes et culture : dans les sociétés non sécularisées, la religion n'est pas une superstructure mais bien le fondement de la civilisation, de sorte qu'éliminer par la force les pratiques religieuses d'une population, c'est détruire son identité, son tissu social[16]. La conversion religieuse, chrétienne ou musulmane, a accompagné la volonté coloniale de domination, centralisation, uniformisation, pour l'étendre aux croyances, aux mœurs, aux règles matrimoniales, aux pratiques sanitaires, voire à la langue. "Cette action avait souvent une conséquence inattendue : la destruction des cadres sociaux et éthiques trop liés à ce paganisme pour pouvoir subsister sans lui"[17]. "Aujourd'hui encore, partout où des missionnaires le portent, il a la même action de déracinement."[18]
Sans doute mieux soignés et instruits, mais clochardisés ou massacrés, ces hommes, victimes d'une "déculturation" et d'un affaissement d'identité, n'ont plus eu "d'yeux pour se voir, de parole pour se dire, de bras pour agir"[19].
Cette politique fut systématique lorsque l'envahisseur était chrétien, au nom de l'évangélisation. Si on se gausse volontiers de ces instituteurs français qui faisaient réciter à leurs élèves africains "nos ancêtres les Gaulois", en revanche l'élimination des coutumes et des rituels indigènes et l'imposition du dieu de Moïse restent encore aujourd'hui considérées comme allant de soi, comme un quasi devoir de civilisation. Déjà pourtant Montaigne (1533–1592) avait alerté sur le fait que "chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage", et dénoncé la colonisation et l'évangélisation. "Que les missionnaires le sachent bien, ils ne sont envoyés là que pour arracher ces pauvres âmes à l'enfer et au mal, pour les éclairer, pour les rendre chrétiens. […] Qu'ils aient donc toujours en pensée qu'ils ne sont […] que des chercheurs d'âmes, [qu'ils n'ont pour but que de] faire connaître la nouvelle religion en détruisant systématiquement les pratiques du paganisme incarné, selon les pires, par la sorcellerie, la polygamie et toutes les pratiques taxées d'idolâtrie."[20] L’Eglise n'est certes pas la seule ni même la principale responsable de la colonisation, mais d'une part elle ne peut nier qu'elle en fut bien souvent complice[21], d'autre part les bons pères, en éradiquant les cultes indigènes et leurs rituels[22], n'ont pas fait que stopper l'effusion de sang des sacrifices Aztèques, ils ont aussi déraciné voire détruit ces peuples. L'évêque Stephan Neill témoigne ainsi que "les missionnaires ont rarement réussi à implanter le christianisme sans détruire les civilisations existantes au profit d'une imitation de la civilisation européenne"[23]. Le dominicain Claude Geffré confirme : "Dans un passé lié à l’aventure coloniale, la mission de l’Église a souvent coïncidé avec un non-respect des cultures étrangères"[24], ainsi que le théologien protestant Roger Mehl : "Le Blanc se présente à l'indigène avec un sentiment très net de sa supériorité. Or le missionnaire aussi, dans son activité propre, présente la religion chrétienne comme supérieure aux religions païennes. La prédication missionnaire met les religions indigènes au rang des superstitions, la refoule dans les temps de l'ignorance. Et il est inévitable que le missionnaire apparaisse souvent aux yeux de l'indigène comme l'une des formes de la supériorité du Blanc."[25] "Saisit-on ce que comportent ici de viol de conscience l’évangélisation, les concepts judéo-chrétiens ?"[26] "Les Anglo-Saxons ont extirpé le paganisme de presque tout le Nord-Amérique ; mais avec lui ils ont pareillement extirpé la plus grande partie de la race rouge."[27] En Polynésie, Victor Segalen décrit "l’influence délétère que la religion chrétienne exerce sur une population étrangère à son enseignement […] Le Jesus sémite transformé par les Latins qui naviguent sur la mer intérieure fut mortel aux Atuas maoris et à leurs sectateurs."[28] Ce ne sont ni la résignation à un certain syncrétisme ni les timides avancées de Vatican II, notamment avec la promotion de "l'inculturation", qui ont significativement changé la donne. Le fait que les premiers ethnologues aient été des missionnaires[29] n'est pas de nature à modifier le diagnostic globalement ethnocidaire de l'évangélisation[30].
Les pratiques d'islamisation forcée par les conquérants musulmans ne furent pas systématiques, comme en atteste par exemple la protection des religions au sein des millets de l'empire ottoman.
Les peuples asiatiques pratiquèrent l'ethnocide à l'égard de leurs minorités intérieures adeptes de cultes animistes, les "religions populaires", mais ils ne manifestèrent pas ce type de prosélytisme à l'égard de leurs ennemis extérieurs. Les conquérants polythéistes de l'Antiquité, grecs (Alexandre), perses (Cyrus) ou romains (avant le IIIème siècle), voire asiatiquesn'imposèrent pas non plus leurs dieux aux peuples vaincus.
Les ethnocides opposent souvent - comme ce fut le cas lors des colonisations européennes depuis le XVIème siècle -, des civilisations caractérisées par une production écrite développée et largement diffusée, où l'écrit n'est plus limité à un emploi sacré ou administratif mais est devenu un moyen de communication majeur - on serait tenté de dire : des "civilisations du livre"[31]-, à des civilisations où l'écriture n'existe pas ou reste réservée à une élite[32] ; les "civilisations du livre" bénéficient alors d'une supériorité militaire écrasante. Les cas les plus connus sont l'élimination de cultes animistes, chamaniques, aztèques et autres par les missionnaires chrétiens, musulmans voire bouddhistes, ou des "religions populaires" par les autorités asiatiques. Ce qui constituait l'essence même de certaines sociétés amérindiennes, africaines ou asiatiques fut ainsi éradiqué. La misère identitaire et sociale dans laquelle sont tombées ces anciennes populations tient non seulement à l'exploitation coloniale, mais aussi à ce déracinement culturel.
Mais il est aussi arrivé, et cela a été le cas en particulier dans le bassin méditerranéen avec le christianisme et l'islam, que l'ethnocide intervienne entre une religion monothéiste (christianisme ou islam) et une religion polythéiste au sein d'une culture de développement comparable (mesuré par exemple par la production écrite). Tel fut par exemple le cas lors de l'éradication :
- des religions gréco-romaines par les évêques, d'abord sous les empereurs romains à partir de Constantin, puis sous les rois germaniques[33],
- du judaïsme espagnol par les évêques, une première fois sous les rois wisigoths[34], puis sept siècles plus tard sous les rois catholiques,
- du bouddhisme du Nord de l'Inde par l'islam à partir du Xème siècle,
- et des cultures et civilisations (persane, syriaque, berbère …) qui furent écrasées lors de la construction de l'empire arabe[35], au point que furent niées les civilisations antérieures à l'islamisation (le monde arabe ne commença à s'intéresser à l'Egypte ancienne qu'à la suite de Napoléon[36]).
Violences religieuses en Asie[37]
L'Asie n'a rien d'une terre de paix, son histoire sur le plan de la violence n'a rien à envier à celle de l'Occident. Mais les massacres n'y ont guère connu de motivation religieuse telle que définie ci-dessus[38]. Le pluralisme et le syncrétisme prévalent sur le dogmatisme. "Les religions asiatiques s'occupent d'ailleurs plus d’apaisement que de paix, de délivrance que de liberté, englobent plus qu’elles n’excluent"[39].
Les conflits asiatiques sont ainsi plus identitaires, politiques, militaires, économiques que doctrinaux, religieux au sens défini ci-dessus : le prosélytisme y est peu agressif, il y a peu de conversions par la contrainte. Un Chinois ou un Japonais pratique d'ailleurs fréquemment plusieurs religions. Le souverain reconnaît et autorise des pratiques religieuses extrêmement diverses, mais n'hésite pas à écraser des divergences qui paraîtraient menacer son pouvoir, d'où une alternance entre pluralisme et violence, les deux n’étant nullement exclusifs l’un de l’autre.
Le prosélytisme du bouddhisme procède par assimilation et transformation des divinités et des rituels antérieurs, dans un syncrétisme "soft", beaucoup plus que par un quelconque exclusivisme avec destruction violente des dieux antérieurs[40].
Ainsi, les violences religieuses en Asie non-monothéiste ressortent plus de la persécution que de la guerre de religion[41], et l'ethnocide ne s'y exerce que contre les minorités intérieures. Les persécutions y ont été plus occasionnelles, limitées dans l'espace et dans le temps, que le combat systématique, organisé, séculaire et universel, du catholicisme contre les hérésies : "[in other parts of the world] the persecutions were not part of a continuous and developing process of the kind that may be observed in European history"[42] ; nulle part ailleurs qu'en Europe la persécution n'a stigmatisé une telle variété de victimes ni inventé des mécanismes aussi sophistiqués que l'Inquisition ; "the exceptional character of persecution in Latin West […] has lain in its capacity of long term growth"[43]. Même si en Chine les luttes d'influence furent quasi permanentes entre taoïsme confucianisme et bouddhisme, au Japon entre shintoïsme et bouddhisme, elles ne dégénérèrent jamais en guerres de religion sanglantes et durables comparables à celles provoquées en Europe par la Réforme et la Contre‑Réforme, ou dans le monde musulman par l'opposition entre chiites et sunnites.
En conclusion, l'affirmation répétée à satiété par les théologiens, historiens et commentateurs chrétiens selon laquelle il n'y aurait pas plus de violence religieuse dans le monde monothéiste que dans le monde non-monothéiste relève de l'ignorance ou de la mauvaise foi[44]. A se demander quelle violence les monothéistes ont bien à cacher pour avoir tant besoin de dénoncer, fût-ce par le mensonge, la violence des autres !
Remarque
Ceci n'est qu'un essai d'autodidacte. Je n'ai pas trouvé d'historien qui ait entrepris une telle recherche. Merci de vos critiques et références complémentaires
[1] En tant que de besoin on pourra dans cette définition remplacer "religion" par "idéologie", " religieuse" par "idéologique".
[2] Dans la province de l'Arakan en Birmanie, où une minorité ethnique, les Rohingyas, musulmans, est maltraitée par la majorité locale, les, bouddhistes, sur fond d’histoire de rivalité ethnique : les Rohingyas avaient servi de supplétifs à l'armée britannique lors de sa conquête de la Birmanie au XIXe siècle. L’enjeu n’est pas tant de convertir les Rohingyas au bouddhisme que de les chasser de Birmanie.
Cf. Joseph Jacoub, Au nom de Dieu ! Les guerres de religion aujourd’hui et demain, JC Lattès, 2002.
[3] Malgré la pluralité des religions en présence, le continent indien avant l'arrivée du monothéisme n'aurait pas connu les persécutions religieuses..
[4] Confucianisme et taoïsme, Max Weber, 1916.
[5] La loi romaine interdisait le prosélytisme.
[6] Les chrétiens à partir de 250, date où débutent les grandes persécutions, constituaient le culte étranger le plus nombreux et le mieux organisé. Dèce aurait dit qu'il préférait voir se dresser un autre ennemi aux frontières de l'Empire qu'un évêque à Rome. D'après Cyprien, Lettres 59, 9, cité par M.F. Baslez, op. cit.
[7] Une motivation supplémentaire s'ajouta lorsque le christianisme devint au IVème siècle la religion officielle de l'ennemi, l'Empire Romain. Les persécutions s'apaisèrent à la fin du Vème siècle lorsque l'église perse, nestorienne, prit ses distances vis-à-vis de Rome
[8] Cf. Ambiguïté de la violence politique : la persécution religieuse durant la guerre civile espagnole (1936-1939), Gabriele Ranzato, Revue Cultures et Conflits, n° 9-10, 1993.
[9] Ainsi El Kenz David estime que "les deux tiers des massacres catholiques sont le fait de l'action autonome des citadins." in Les massacres au temps des guerres de Religion, Encyclopédie des violences de masse, Sciences Po, Paris 2010, disponible sur
<http://www.massviolence.org> - ISSN 1961-9898 - Jacques Sémelin.
[10] Le 29 septembre 1555, la Paix d'Augsbourg suspend les hostilités entre les États luthériens et les États catholiques en Allemagne. Elle repose sur un principe fondamental : cujus regio, ejus religio c'est-à-dire : « tel prince, telle religion ». Cette paix relative prendra fin en 1618 avec la défenestration de Prague, qui sera à l'origine de la guerre de Trente Ans.
[11] Edit de tolérance signé le 13 avril 1598 par Henri IV, qui sera révoqué en 1685 par Louis XIV.
[12] Tuez-les tous !:La guerre de religion à travers l'histoire VIIe-XXIe siècle. Élie Barnavi, Anthony Rowley, Perrin, 2006.
[13] La dimension ethnocidaire de l'évangélisation est pourtant très largement méconnue, voire considérée comme relevant d'un anticléricalisme primaire. L'Eglise poursuit ainsi sans états d'âme son effort missionnaire. On feint d'oublier que l'Eglise, lors de la fameuse controverse de Valladolid, reconnut officiellement le recours à la force pour la prédication missionnaire.
La List of wars and anthropogenic disasters by death toll, Wikipédia, attribue à la colonisation des Amériques (du XVI au XIXème siècle) et à celle de l'Afrique et de l'Asie (du XVIII au XXème siècle) les nombres de morts les plus élevés de tous les conflits, génocides et famines connus
[14] Cf. Serge Latouche, L'occidentalisation du monde, La Découverte, 2005, 1èr édition en 1989.
[15] Article 15. Cette déclaration, rédigée en 1976, a été approuvée par l'ONU en 2007 avec une majorité de 143 voix pour, 4 contre (États-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande) et 11 abstentions (Colombie, Azerbaïdjan, Bangladesh, Géorgie, Burundi, Fédération de Russie, Samoa, Nigéria, Ukraine, Bhoutan et Kenya)
[16] Cf. en particulier Robert Jaulin,
[17] Traité de sociologie du protestantisme, Roger Mehl, Labor et Fides, 1965. A comparer à la vision d'un Fernand Braudel.
[Roger Mehl (1912-1997) : agrégé de philosophie, docteur en théologie, professeur émérite et doyen honoraire à la faculté de théologie protestante de l'université des sciences humaines de Strasbourg (1945 – 1981), fondateur du Centre de sociologie du protestantisme (Université et CNRS)]
[18] Simone Weil, Lettre à un religieux, point 35.
[19] Id. note 14.
[20] Instructions données aux Pères Blancs par le cardinal Lavigerie, citées dans La naissance de l'église au Bushi : l'ère des pionniers 1906-1908, Baciyunjuze Justin Nkunzi, Gregorian&, Biblical BookShop, 2005. Lors du couronnement de la statue de Marie la Reine d'Afrique dans la basilique Notre Dame d'Afrique d'Alger en 1876 fut apposé en présence du cardinal Lavigerie un bref de Pie IX enjoignant les fidèles à adresser à Dieu "de ferventes prières pour la concorde entre les princes chrétiens, l'extirpation des hérésies, la conversion des pécheurs et l'exaltation de notre sainte mère l'Eglise", selon la formule couramment utilisée dans l'Eglise (cf. par exemple Le Mémorial catholique, Troisième année, tome V, 1826, ou Bulle, mandement, instructions et prières pour le Jubilé universel de l'Année sainte : imprimé par ordre de Mgr l'Evêque de Cambrai, A. F. Hurez, 1826). Parlant du peuple algérien, le cardinal Lavigerie dira encore : "Il faut que la France lui donne, je me trompe, lui laisse donner l'Evangile, ou qu'elle le chasse dans les déserts, loin du monde civilisé."
[21] Lors du traité de Tordesillas de 1494, le Pape délèguera l'évangélisation des peuples d'Amérique aux souverains espagnols (arrangement du "patronato") et portugais ("patroado"). Cf. Religions et colonisation, Dominique Borne et Benoît Falaize, Les éditions de l'atelier, 2009. Lorsque les Jésuites tentèrent de prendre leur indépendance par rapport aux pouvoirs coloniaux (les fameuses reducciones), ils furent désavoués par Rome.
Discours du roi Léopold II à l’arrivée des premiers missionnaires au Congo en 1883 : "Prêtres et Pasteurs, vous venez certes pour évangéliser mais que cette évangélisation s’inspire de notre grand principe : avant tout, les intérêts de la métropole […] Votre rôle est l’enseignement, de faciliter les tâches aux administratifs et industriels. C’est donc dire que vous interpréterez l’évangile de la façon qui sert mieux nos intérêts dans cette partie du monde." Loin de le désavouer, le Vatican sera l'un de ses plus fidèles alliés (cf. par exemple The King, the Cardinal and the Pope : Leopold II's genocide in the Congo and the Vatican, Weisbord RG. J. Genocide Res. 2003, et La religion du prince : Léopold II, le Vatican, la Belgique et le Congo (1855 - 2909), Vincent Viaene, ).
[22] Cf. La lutte contre les religions autochtones dans le Pérou colonial : l'extirpation de l'idolâtrie entre 1532 et 1660, Pierre Duviols, Presses Univ. du Mirail, 2008.
[23] Stephan Neill, id.
[24] Pour une théologie de la différence - Identité, altérité, dialogue, Claude Geffré, disponible sur <http://sedosmission.org/old/fre/geffre_1.htm> ;
[25] Roger Mehl, id.
[26] Les Derniers Rois de Thulé, avec les Esquimaux polaires, face à leur destin , Jean Malaurie, Paris, Plon, 1955.
[27] Taïpi, Herman Melville, , édit. Gallimard, 1952.
[28] Journal des Îles, Victor Segalen, A Frontefroide, Bibliothèque Artistique et Littéraire, 1989.
[29] Cf. par exemple le remarquable Codex Mendoza, texte majeur de l'ethnographie de la culture aztèque (1541-42).
[30] De même que le recrutement majoritaire des philosophes et des scientifiques dans le milieu ecclésiastique au Moyen Age,.
[31] Ne confondre ni avec "les religions du livre", désignées ainsi parce qu'elles ont sacralisé un livre réputé contenir une révélation divine exclusive, ni avec les "peuples avec écriture" (concept qui fit l'objet de débats et de controverses avec en particulier Lévi-Strauss, Marcel Détienne, et bien d'autres).
[32] Par exemple les persécutions des chamanes mongols par les lamas bouddhistes du XII au XIXème siècle.
[33] Cf. Les Racines chrétiennes de l'Europe. Conversion et liberté dans les royaumes barbares, V-VIIIème siècles, Bruno Dumézil Paris, Fayard, 2005.
[34] De 589 (Troisième Concile de Tolède) à 711(chute du royaume wisigoth). L'arrivée des musulmans permit aux Juifs entretemps de se réinstaller.
[35] Cf. par exemple P. Crone et M. Cook, Hagarism : the making of the Muslim world, Cambridge, 1977.
[36] Al-Tahtawi fut en 1868 le premier auteur musulman à publier une histoire de l'Egypte accordant une place à l'époque pharaonique.
[37] Pour des exemples voir en particulier :
- Nathalie Kouamé, Arnaud Brotons, Yannick Bruneton, État, religion et répression en Asie. Chine, Corée, Japon, Vietnam (XIIIe-XXIe siècles), Paris, Karthala, 2011,
- Vincent Goossaert, Le concept de religion en Chine et l'Occident, P.U.F. | Diogène, 2004/1 - n° 205,
- Christine Mollier dans La pensée asiatique, (Sous la direction de C. Weill), CNRS Editions, 2010.
- Joseph Jacoub, Au nom de Dieu ! Les guerres de religion aujourd’hui et demain, JC Lattès, 2002.
- Bernard Faure, Bouddhisme et violence, Le Cavalier Bleu, 2008
[38] Les Mongols par exemple commirent des massacres innommables, dont les plus atroces furent sans doute le sac de la Hongrie (1241) et celui de Bagdad (1258). Mais en général, ils se montraient indifférents en matière de religion. Ainsi Gengis Khan protégea à peu près tous les cultes, et ses descendants, même quand ils se firent bouddhistes en Chine et musulmans en Perse, ne furent jamais sectaires. Son petit-fils Khoubilaï Khan, fondateur de la dynastie chinoise Yuan, était bouddhiste, mais il accordait droit de cité aux Chrétiens, aux Musulmans et aux Juifs..
[39] Amartya Sen : Identité et violence, Odile Jacob, 2007.
[41] Quelques témoignages de spécialistes :
- "La Chine n'a jamais connu de guerre de religion" Christine Mollier dans La pensée asiatique, (Sous la direction de C. Weill), CNRS Editions, 2010.
- "En Chine, les guerres de religions ont été des phénomènes locaux et sur de courtes périodes." China-Europa Forum 2007
- "Ce n’étaient pas des guerres de religion(s), c’étaient plutôt des luttes entre clans, l’un pro-bouddhique, l’autre pro « shintô »" Civilisation Japonaise, www.cours-univ.fr/cours010108.doc,
- "La notion d'hérésie n'est que rarement employée dans le bouddhisme, et elle ne déboucha pas sur les excès de fanatisme familiers à l'Occident." d'après Bernard Faure, auteur de Bouddhisme et violence, Le Cavalier Bleu, 2008, cité dans Le bouddhisme, une religion tolérante ? Sciences Humaines Hors-série N° 41 - Juin-Juillet-Août 2003. Cf. aussi Christophe Richard, Bouddhisme : religion ou philosophie ? L'Harmattan 2010 ; Jacques Pous : La tentation totalitaire, L'Harmattan 2009, Odon Vallet : Petit Lexique des guerres de religion d'hier et d'aujourd'hui, op.cit.
- "Some of the many religious differences can be understood in terms of "right/wrong" mentality of the West in contrast to the "both/and" orientation of the East. Eastern religions are characterized by tolerance and interpenetration of religious ideas. One can be Confucian, a Buddhist, and a Christian in Korea and Japan. Religious wars in the East have been relatively rare, whereas they have been endemic in the West for hundred years : Monotheism often carries with it the insistence that everyone accede to the same notion of God." The Geography of Thought : How Asians and Westerners Think Differently...and Why, Richard Nisbett..
- Sans sombrer dans l'irénisme d'un José Frèches, auteur de Moi, Bouddha, XO Editions, 2004 : "Toutes les religions monothéistes sont passées par la force ou la conquête par les armes. Tandis que le bouddhisme s'est répandu en Asie sans faire de guerres, uniquement par la valeur de l'exemple et la porosité des esprits à cette philosophie du bien. C'est par leur bon comportement que les moines indiens ont converti les Chinois, jusqu'à représenter la première religion du pays sous les Tang.", « Le bouddhisme est une leçon de tolérance », L'Express, 12.11.2004.
[42] The formation of a persecuting society : power and deviance in Western Europe, 950-1250, Robert Ian Moore, op. cit.
[43] Id.
[44] Cf. par exemple les textes de Paul Valadier, Pierre Gibert, Frédéric Rognon, Claude Geffré, JC Guillebaud, ou le blog de Didier Long. Les arguments sont toujours les mêmes : les peuples polythéistes sont violents - violents, certes, mais sans la violence religieuse définie dans cet essai -, leurs mythologies sont violentes - certes mais sans exhortation pour autant à brûler les idoles" -, la violence religieuse est toujours une violence politique. Le fait que le monothéisme ait apporté une nouvelle motivation de violence, celle d'imposer ses dieux, de brûler les idoles, n'est tout simplement pas vu, pas reconnu, dénié.
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