@ Lord WTF
Merci pour la forte argumentation.
J’apprécie, même si je sens que je vais avoir fort à faire pour me dégager de ce piège.
Vous comprendrez que si je le perçois comme tel c’est qu’en dépit de l’impressionnante richesse des connaissances présentées, je ne suis pas encore convaincu.
En effet, ma fréquentation des processus évolutifs m’amène à penser que la diversité des formes n’est pas, en soi, un argument contre une origine unique.
Tous les tétrapodes ont beau avoir des poumons, leurs embryons présentent à un moment donné des fentes branchiales. L’hypothèse de l’ancêtre poisson s’impose alors même que tous les exemples actuels plaident contre elle.
L’absence de sacrifices dans telles ou telles sociétés n’offre pas l’ombre d’un argument contre l’origine sacrificielle de l’humain.
En clair, je suis tenté de vous renvoyer directement à votre argument du plaidoyer pro domo dont vous faites grief à Girard.
Car il me semble que vous aussi vous accumulez les évidences qui vous conviennent sans, me semble-t-il, remarquer qu’aucune d’entre elles ne constitue en soi une quelconque infirmation de la théorie girardienne.
Comme je ne peux à présent revenir sur chacun des nombreux points que vous abordez (mais pourquoi pas le faire plus tard ?), je vais m’arrêter sur le passage où vous présentez, je crois, vos arguments les plus décisifs :
"Pour conclure : en l’état actuel n’existe donc dans les champs de l’étude du Fait Religieux et de l’Anthropologie aucune preuve de l’antériorité du sacrifice par rapport au Symbolisme ou à diverses pratiques rituelles non sacrificielles, et encore moins de la pratique sacrificielle comme fondation du Religieux, pas plus que n’existe d’évidence d’une violence atavique chez les premiers humains « modernes » (ni d’éléments permettant de les qualifier d’ « archaïques ») : dans les faits, on use même pour le Paléolithique du concept de « warlessness » pour illustrer la (quasi) absence de violence durant ces quelques dizaines voir centaines de milliers de millénaires.«
Vous mettez en avant ici, dans votre conclusion, deux arguments qu’on peut (donc) penser essentiels, à savoir :
a) l’absence d’antériorité du sacrifice sur le symbolique et
b) l’absence de traces de guerres au paléolithique.
Ce simple fait m’amène à supposer que :
(1) vous n’avez pas lu l’original du texte que j’ai présenté à Girard et que...
(2) vous êtes très au fait de la littérature anthropo-éthno-paléontologique mais que vous êtes probablement, moins bien renseigné sur l’éthologie.
Vous avez réagi au terme »archaïque« en référence à des usages historiques assez malheureux, je le concède. J’ai sans doute été maladroit mais, pour ma part, quand je pensais archaïque, je pensais protohominien, cad, animal.
Or, puisque vous évoquez la question de l’antériorité, je pense que vous conviendrez que l’animal offre un modèle antérieur à n’importe quelle société humaine, actuelle ou passée.
Or, si chez l’animal vous repérez déjà des formes sacrificielles alors que par ailleurs il est clair qu’aucune forme symbolique n’est présente dans son espace vital, je crois que la démonstration est faite que l’argument que vous opposez à Girard ne tient pas.
Mon texte original fournit des exemples qui, à tout le moins suggèrent, que le sacrificiel s’origine dans l’animal et qu’il a déjà une fonction de régulation de la violence intestine.
Le symbolique a toujours été à mon sens hypostasié. On ne saurait en minimiser l’importance mais pour autant, il n’est pas premier. Le modèle animal le montre à l’envi, je crois.
Passons au deuxième point. Vous savez comme moi que l’absence de preuve n’est pas preuve de l’absence.
Je me garderai de juger des données concernant le Paléolithique mais il est clair que l’absence de traces de guerre (telles qu’on s’attend à les voir) n’est pas preuve de l’absence de guerre.
Encore une fois, il suffit d’un exemple animal pour nous mettre la puce à l’oreille. Je n’ai pas ici les références, mais je peux les retrouver. J’ai lu au début des années 90 un éthologue de l’Université de Strasbourg qui faisait état des rondes que des groupes de chimpanzés faisaient tout autour de leur territoire pour le défendre des intrusions des groupes concurrents. Ce qu’il décrivait était ni plus ni moins que des guérillas animales, archaïques, mais déjà fort bien installées. Il ne serait pas impossible que ces observations proviennent aussi du site de Gombé.
Quoi qu’il en soit, ces observations, ainsi que celles innombrables de Frans de Waal, dont je détaille les plus importantes, montrent suffisamment que le maintien de la paix est la problématique cardinale des communautés de chimpanzés.
Quand en plus ces mêmes chimpanzés s’engagent dans des pratiques mi-chasse-mi-sacrifice dont la fonction n’est, à l’évidence pas de se nourrir mais bien plutôt de créer ou d’entretenir des relations pacifiées au sein du groupe comme le font les Bonobos en copulant, on peut se dire, je crois, que l’hypothèse girardienne est déjà pas mal corroborée par les modèles les plus valides sous le rapport de l’antériorité.
A partir de là, je dirais que le problème des données anthropologiques ou ethnologiques apparemment discordantes nécessite peut-être seulement une réflexion évolutionnaire capable d’envisager des régressions, des disparitions ou disons des évolutions vers des formes vestigiales du sacrifice.
Dans la nature quasiment tout est possible, aussi bizarre que cela puisse être. Dans la culture, je ne vois pas qu’il doive en être autrement. Ce qui importe c’est de pouvoir construire une arborescence des formes pour dégager les invariants.
C’est ce que Girard a excellement fait avec un grand nombre de mythe fondateurs qui respectent le schéma victimaire qu’il propose.
J’en veux pour preuve que le très recommandable sinologue Mark Edward Lewis, de l’Université Stanford, comme Girard, a pu écrire dans son livre de 1990 »Sanctioned Violence in Early China« que :
»Despite the absurdity of Girard’s claims to have presented the explanation for sacrifice, religion, myth, and culture, as well as the empirical difficulties involved in applying his universalizing, psychological model to actual cases, the numerous examples of the use of ’scapegoats’ he has found in the ethnographic and literary texts clearly suggest the importance of shared violence in constituting human society and the variety of roles it plays in the creation of culture" (p. 3).
Comme vous le voyez, il est très embarrassé avec le modèle girardien. Il utilise l’argument qui tue, non sa cible mais lui-même en tant que scientifique au sens où on ne peut se satisfaire en science de déclarer une thèse absurde, on doit le démontrer. Mais au final il reconnaît que ce vers quoi Girard pointe est incontournable.
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