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Commentaire de Luc-Laurent Salvador

sur De l'animal à l'homme par l'invention du religieux : retour sur le modèle sacrificiel de René Girard


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Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 2 août 2013 12:27

Hmmm…nulle intention chez moi de vous piéger : j’apporte ma réaction à votre article- t come vous m’y avez invité il y a quelques semaines, et joue le rôle de l’agent contradicteur, histoire de faire bonnes mesures.

Rassurez-vous ce n’était qu’une formule de réthorique. Pour dire que vous excellez dans l’exercice consistant à apporter la contradiction et je vous en remercie quoi qu’il en soit.
Je n’avais certes pas anticipé que vous ameneriez un tel niveau de contradiction mais si je l’avais su, il est clair que je vous aurais expressément invité à le faire.
La polémique est pour moi une occasion de penser, de mettre à l’épreuve mes représentations et de les affiner.
Donc j’adore quoi qu’il arrive, surtout si on peut me montrer que je trompe ici ou là.

Quant à vous convaincre stricto sensu, vous ayant lu, là n’était pas mon propos.

Précisément en raison de ce que je viens d’écrire, j’avoue que j’ai du mal avec cette posture.
Je crois que même si on s’en défend, toute communication est destinée à être entendue et... acceptée.
Que ce soit avec véhémence ou une indifférence affichée, on souhaite toujours que l’autre reconnaisse la validité de nos arguments,
c’est cela que j’appelle chercher à convaincre.

Cela étant dit, je vais revenir sur certains points de votre réponse :

 En premier lieu, votre contre-argument (classique) concernant mon évocation des données archéologiques : l’absence de preuve n’est pas preuve de l’absence.

Certes mais partant de là, vous ne faites que confirmer ce que je disais en intro : la théorie girardienne est avant tout une construction « intellectuelle » (ou « littéraire » : en déconstruisant les mythes, il produit un super-mythe des origines) et de nature « pseudoscientifique » puisque de facto cette théorie est invérifiable : Girard d’ailleurs n’hésitant pas expliquer que si d’autres interprétations des mythes qu’il interprète le contredisent, cela ne fait en fait que valider sa théorie (les mythes=mensonges camouflant le « meurtre » originel) : bref on tourne en rond que ce soit sur le plan (arte)factuel ou simplement intellectuel.

 Pour le reste, bien que l’absence de preuve ne soit pas en soi preuve de l’absence : j’imagine que vous noterez l’importance (que ce soit en termes d’espace géographique, qu’en termes temporels) de cette dite absence : bref quelques centaines de milliers de millénaires…au minimum, reconnaissez que vous ne pouvez rejeter aussi simplement cette « absence de preuve ».

La question est savoir qu’est-ce qui est absent exactement ?
Si les populations sont peu nombreuses réparties sur des espaces immenses avec une « territorialité » faible ou nulle on peut concevoir que les contacts, donc les confits soient rares ou quasi absents.
Je ne vois pas en quoi cela mettrait à mal l’hypothèse girardienne ?
Quel axiome se verrait ici infirmé ?

En vous suivant, si m’en prenait l’envie, je pourrais à la façon de Girard arguer que les fondations du Religieux ne sont pas la violence (de même que le passage du proto- à l’Humain) mais l’action d’entités exoterrestres : [...] ces croyances en des agents exoterrestres étant quasi universelles et persistantes pointent vers quelque chose d’incontournable…et si Girard opte pour l’explication par le mensonge/travestissement pour supporter ses interprétations de tel ou tel mythe, j’opterai pour quelque chose de plus simple : mémoire imparfaite des événements évoqués par ces mythes.

Comme je l’ai pointé avec la citation de Lewis plus haut, il est clairement admis même par ses contradicteurs que Girard a rassemblé une solide documentation ethnographique, notamment sur les mythes fondateurs. Vous seriez bien en peine de faire de même à partir de votre hypothese E.T.

 Bref, il faut bien un moment se fonder sur quelques éléments concrets, si l’on veut débattre objectivement.

 Je reviens donc à votre supposition de ma méconnaissance dans le registre éthologique :

Je pense avoir seulement postulé une moindre expertise en éthologie que dans le domaine anthropo-éthno-paléontologie.
Ce n’est pas le cas ?

si je me rappelle bien, vous m’aviez interpellé à la suite d’un com où j’évoquais De Waal ainsi que Goodall (soit les mêmes références que vous employez) : j’y reviens après ce passage de votre réponse : 

 Vous mettez en avant ici, dans votre conclusion, deux arguments qu’on peut (donc) penser essentiels, à savoir :

a) l’absence d’antériorité du sacrifice sur le symbolique et 
b) l’absence de traces de guerres au paléolithique.

 En effet l’antériorité du symbolique sur le sacrifice me semble essentielle : puisqu’elle témoigne d’une capacité de représentation et symbolique (production symbolique) ne nécessitant pas l’existence de rites sacrificielles ;

Je pense que cette antériorité n’est pas établie quels que soient les éléments dont vous disposez qui pourraient le laisser espérer

quant à l’absence de traces de guerre au paléolithique : elle venait simplement afin de rappeler les profondes mutations au Néolithique qui non seulement voit la multiplication des conflits guerriers mais aussi de la pratique de sacrifices rituels, humains et/ou animaux : en cela : je me répète la possibilité même de noter ces changements radicaux comparés au Paléolithique, au vu du nombre de sites, artefacts, etc… en témoignant, me semble difficile à rejeter d’un simple revers de la main, quand les évidences (conformes à la thèse girardienne) elles brillent bel et bien par leur absence.

OK, vous répondez ici indirectement à la question que je posais plus haut. Vous considérez que l’absence de traces de conflits guerriers et de traces de sacrifices animaux ou humains au paléolithique infirme la thèse girardienne.
Il faudrait pour cela que vous ayez prouvé qu’il n’existe pas d’autres possibilités d’actualisation des hypothèses girardiennes.
Je pense que cela sera difficile vu que, ainsi que je l’ai argumenté dans le texte original, on observe déjà chez les chimpanzés des quasi-rituels « mi-chasse-mi-sacrifice » qui servent déjà cette fonction d’apaisement social que les formes sacrificielles ultérieures accompliront avec toujours plus d’efficace.
Or ces pratiques ne laissent aucune trace : un groupe de mâles se jette comme un seul homme sur un pauvre colobe qui (vivant au milieu de la troupe des chimpanzés, donc plus ou moins assimilé, donc on est autant dans le sacrifice que dans la chasse) a, pour son malheur, poussé un cri plus fort que les autres et se voit donc saisi, tué, dépecé et partagé entre tous les membres de la troupe sans référence aucune aux structures de dominance, voilà un moment sacrificiel qui est parfaitement fonctionnel sans s’appuyer sur aucune structure matérielle. Donc zéro traces, à part des débris d’os dans les selles (mais seuls les éthologues vont regarder de ce côté n’est-ce pas ? Les selles du paléolithique se sont depuis longtemps évanouies je suppose).
Vous m’accorderez qu’en raison de leur présence chez des grands singes, Il est permis de supposer que de telles pratiques ont pu aussi exister dans la lignée humaine et se perpétuer (dans le paléolithique) sans laisser de traces jusqu’à ce que je ne sais quelle « invention » (représentation analogique, symbolique, technique, etc.) vienne à changer la donne pour amener à des pratiques utilisant des supports aptes à faire trace.

 Ensuite cette absence de groupe « guerriers » renvoie aussi à un autre élément, qui me semble, suffisamment pertinent pour être considéré ici : à savoir l’absence d’armes à fonction « homicide » jusqu’à une période récente (Néolithique avancé, voir tardif pour l’apparition d’armes « spécialisées ») avant cela, et quelque soit le groupe « homo » concerné (donc les diverses familles homo… à outils, les protohominiens, protohumains, les humains « archaïques », les humains « primitifs ») les armes à fonction homicide brillent par leur singulière absence : or si je réfère à la horde primitive girardienne, en état de tension si ce n’est conflit mimétique permanent : l’inexistence de telles armes –notamment comparés à la sophistication dans les autres outils ou armes de chasse/pêche produits- me laisse dubitatif…en effet, dans un tel contexte, doublé de la capacité prodigieuse du genre « homo » à produire des outils et armes adaptés à tel ou tel emploi particulier, l’inexistence d’armes à fonction homicide ou défensive me semble être un contre-argument autant valide que solide à cette idée de groupes primitifs vivant constamment en état de tension mimétique, et toujours sous la menace de l’explosion de violence supposément conséquente.

Désolé, ici votre argument tombe à plat car vous semblez confondre conflit inter-groupe et intra-groupe. L’hypothèse girardienne est avant tout concernée par la violence intra-groupe. L’existence de conflits inter-groupes est complètement facultative. Le fait que de tels conflits « guerriers » ne soient pas observés, l’absence d’outils agressifs-défensifs, ne permet pas de conclure quoi que ce soit concernant l’organisation sociale des communautés et en particulier la régulation de la violence intestine.
Cette dernière pourrait parfaitement s’organiser autour d’un protoreligieux sacrificiel non outillé non symbolisé sans avoir besoin de conflits extérieurs pour assurer la cohésion du groupe.

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