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Commentaire de Luc-Laurent Salvador

sur De l'animal à l'homme par l'invention du religieux : retour sur le modèle sacrificiel de René Girard


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Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 3 août 2013 09:30

@ Lord

Désolé, je suis bien trop lent... smiley

Ce qui suit est ma réponse à votre message d’hier, 2 août 17h37, merci d’y prêter attention même si elle peut sembler manquer d’actualité. Je pense être venu à des points cruciaux, d’accord et de désaccord  smiley

Pour vos messages suivants, j’y reviendrai aujourd’hui ou demain.
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...ne suffira pas à me convaincre : j’ai lu, relu Girard, suis allé à certaines de ses conférences, ai « papoté » avec des girardiens…à chaque fois toujours ce même constat : quelque soit le sujet discuté : TOUT même en l’absence d’évidence confirme –selon les girardiens – le modèle girardien…Ce que vous faites d’ailleurs lorsque je vous cite quelques exemples de groupes ethniques : ex : le groupe Bushmen cité : quand bien l’adoption d’une telle stratégie peut renvoyer à une volonté de réguler les éventuelles violences intra-groupes, rien ne permet d’affirmer qu’en cela serait validé la théorie girardienne

Je vous propose que nous essayons de mettre ici les choses à plat au plan épistémologique.
Soyons poppérien et convenons, si vous le voulez bien, qu’aucune théorie ne peut être validée, vérifiée ou même confirmée.
Les théories peuvent seulement être réfutées (falsifiée si on veut faire dans l’anglicisme).
Une donnée quelconque peut donc :
a) soit, au mieux, corroborer une théorie, cad, se révéler « compatible » ou non contradictoire avec ladite théorie
b) soit infirmer l’anticipation de la théorie et donc la réfuter aussi peu que ce soit, au moins de manière périphérique.

En espérant que cette mise au clair vous convient, je vous précise donc que jusqu’à présent je me suis contenté de faire apparaître que les éléments que vous présentiez comme contradictoires ne l’étaient pas.
A aucun moment je n’ai prétendu qu’ils « validaient » la théorie girardienne.
Ils sont simplement « assimilables » par celle-ci et cette compatibilité fait qu’ils ne sont pas en mesure de faire apparaître une contradiction susceptible d’amener une réfutation.
C’est tout ce qu’a été mon propos.

Maintenant, soyons clair, plus des données « assimilables » se présentent et semblent pouvoir trouver plus ou moins facilement leur place dans le cadre théorique de Girard, plus le corpus de données « congruentes » s’étoffe, plus la théorie paraît solide.
Rien ne permet de la déclarer vraie, mais il est clair que plus elle paraîtra solide et plus de personnes seront disposées à la considérer comme « valable », au sens pragmatique de « efficace », plus le consensus à son égard s’élargira en somme.
Ensuite, le besoin de croire fait le reste, mais il appartient à la psychologie et non plus à l’épistémologie.
Bref, pour résumer, oui, en effet, quand vous apportez des données qui pourraient sembler contradictoires mais qu’il est possible de comprendre dans le cadre de la théorie girardienne, je m’en réjouis car je sais que celle-ci devient « plus forte », notion qui, encore une fois, n’est pas épistémologique mais n’est pas dénuée de sens en psychologie sociale.

 ex : aucune dimension collective ou même « sacrificielle » au sens où Girard l’entend lorsque que « Petit Glaçon Suave » une ravissante beauté eskimaude se rend chez le « shaman » local parce que souffrant de troubles « psychologiques » et que le shaman après avoir tenté le sang de phoque fermenté, les séances de transe en igloo, voir même être allé au store "civilisé local pour acheter de quoi préparer un mix de whisky et valériane, en arrive à diagnostiquer que le désordre dont souffre Petit Glaçon Suave est lié à un déséquilibre entre son corps matériel et son esprit : et que le seul choix thérapeutique est de greffer à son âme l’esprit d’un quelconque oiseau arctique : bien entendu le shaman se rappelle ses leçons d’apprenti-shaman, et sait très bien que le seul moyen de réussir une telle opération spirituo-chirurgicale est de s’assurer que l’esprit de l’oiseau concerné ne soit plus relié au domaine matériel : ergo il faut séparer cet esprit de son corps : d’où le « sacrifice »…ici bien entendu il ne s’agit d’un « sacrifice » que si on l’entend selon une définition propre à notre paradigme, dans le paradigme de Petit Glaçon Suave il ne s’agit pas d’un sacrifice mais bel et bien d’une opération thérapeutique : greffe d’esprit volatile pour rétablir un déséquilibre intérieur…

Je suppose que vous voudriez que cet exemple soit perçu comme contradictoire avec la thèse girardienne. A moins qu’il ne serve simplement à pointer une alternative, une actualisation de la question du sacrifice.

 L’étude des différentes formes et manifestations symboliques préhistoriques laissant à penser/supposer que ce type de paradigmes, représentations du monde, etc… animiste/shamaniste était commun (sans certitude quant à leurs relations avec des systèmes similaires contemporains) : envisager le sacrifice uniquement sous l’angle girardien me semble une réduction injustifiée de ce que ce concept peut entendre.

La justification de la réduction au sacrificiel girardien tient, je crois, à la présence de ce dernier dans une très grande variété de religions et de mythes de par le monde.
Si on se place dans une logique de pensée évolutionnaire (comme explicitée par Lorenz qui voulait repérer les caractères ancestraux à partir des espèces actuelles de canards), si on veut trouver le caractère le plus ancien, le plus fondamental, on cherche celui qui est le plus commun.
Et ce qu’il y a de plus commun aux religions et aux mythes fondateurs de par le monde, c’est le sacrifice, ne vous en déplaise.
Le fait que toutes les religions actuelles ou sub-actuelles ne présentent pas tel ou tel caractère ne permet aucunement de nier son statut ancestral ou « original » (au sens de présent aux origines)

 J’en arrive à cette question de « curseur temporel » à déplacer : en effet, le modèle girardien pourrait me sembler plus pertinent voir valide dans le cadre de sociétés plus complexes où la démographie aggrave ces potentielles violences/conflits « mimétiques » (à noter que je ne partage pas plus la définition girardienne du désir comme étant mimétique, ou de la rivalité mimétique étant automatiquement productrice potentielle de violence) autant que la multiplication des « objets » potentiellement vecteurs de ces tensions.

 Pour faire court : le profil démographique à l’aube de l’Humanité : ce sont des groupes de chasseurs-cueilleurs de 10 à 30 personnes max. (en moyenne 10-15) à espérance de vie réduite (20-25 ans), avec une probabilité bien souvent nulle de rencontrer un autre groupe humain au cours de leur existence : donc des groupes de 10-15 personnes, composés principalement de femelles/femmes et d’enfants (fort déséquilibre préhistorique ratio mâle/femelle constaté via la génétique) : soit principalement des femmes/adolescentes, des enfants, et 2-3 ados ou jeunes adultes mâles vivant sous la menace constante de prédateurs divers et variés et disposant d’une surface géographique dont nous n’avons pas idée (rappel : démographie globale quelques milliers voir dizaines de milliers à l’échelle du globe, avec des bottlenecks où ne restaient que quelques centaines d’individus voir moins) :

Franchement, là, je me régale. Le champ de réflexion est beaucoup plus clair présenté ainsi. Donc d’abord, grand merci pour cet aperçu synthétique extrêmement intéressant.
J’aurais juste besoin que vous puissiez le situer dans le temps.
Je suppose que vous nous parlez là du paléolithique car, bien évidemment l’absence d’interaction entre groupe fait que nous avons là un tableau susceptible d’expliquer la warlessness que vous nous avez signalée.

 il m’est donc difficile de considérer qu’aucun autre mode de régulation que le sacrifice d’un membre de groupes aussi réduits n’ait pu existé : considérant le rôle de diplomates des femelles, le nombre limité de testostéronés potentiellement agressifs, et bien entendu l’instinct de survie.

Franchement, je suis très à l’aise pour vous dire que oui, oui, bien sûr, dans un petit groupe comme ça, on ne va pas tirer à la courte paille pour savoir qui va être le sacrifié.
Nous ne sommes pas dans le bateau de Jonas.
Il n’y en a aucun besoin car pour chacun de ces groupes il y a l’entour sacré qui recèle toutes les forces supra-humaines tellement dangereuses et duquel surgira le sacrifié, celui qui viendra s’offrir aux armes du chasseur pour le bien de la horde.
La seule chose que j’ajoute donc aux données que vous présentez, c’est le présupposé de l’existence d’une culture (de représentations) du sacré articulées à l’activité de chasse.
Nous avons là du religieux en acte qui pourra attendre le moment qui vous semble approprié pour permettre l’avènement d’un religieux institutionnalisé parce que précisément des institutions (royauté, prêtrise) apparaissent.

Il est clair qu’en présentant les choses ainsi je peux sembler décaler considérablement le sacrifice girardien sur le versant de la chasse.
Mais ce décalage n’existe pas pour moi car, comme explicité dans le texte original, il est clair que les chimpanzés de Gombé sont engagés dans une pratique qui est mi-chasse mi-sacrifice.

J’ai donc toujours vu les deux comme indissociables à l’origine et dans une lettre à Girard que je publierai ultérieurement, j’essaierai de montrer que cette unité englobe la guerre.

 D’autant plus qu’il est connu que lorsque la tension dans un groupe de chasseurs-cueilleurs s’accroit (notamment en cas de surnombre = dépassement de 20-30 sur un territoire donné) : des sous-groupes se constituent et se séparent, chacun allant dans une direction (un des modes de régulation ayant autant permis la survie de nos ancêtres, autant que leurs migrations dans l’ensemble du globe, ainsi que la diffusion de techniques/savoirs mais aussi langage) : assez souvent ces sous-groupes se retrouvent pour un temps en un territoire donné (notamment pour grandes chasses, alliances, « mariages », …) avant de se séparer à nouveau sans heurts ni fracas.

Good. Nous avons là de quoi résoudre le problème du tabou de l’inceste et de la nécessaire exogamie.
Maintenant, il est clair que les occasions de conflits se sont multipliés et que l’on va pouvoir insensiblement glisser d’un sacrificiel centré sur la chasse à un sacrificiel plus organisé et plus conforme aux stéréotypes.

 Bref au niveau ethno/anthropo/paléo…, nombre de pistes et alternatives existent et sont suffisamment étayées par x indices pour que je demeure dubitatif quant au modèle proposé par Girard.

Ce que vous présentez n’est aucunement une alternative.
ça ne pourrait le devenir que si pouviez faire une démonstration par a plus b de l’absence de tout élément sacrificiel.
Vous ne pouvez faire cela car il vous faudrait pour cela passer par la case : "je dispose de tous les éléments culturels présents à un moment donné".

C’est comme à l’école, pour prouver l’absence d’un élève, il faut que toute la classe soit rassemblée.
Vous ne pourrez faire cela et je dirais même que vous n’essayerez même pas car les éléments de nature sacrificielle, une fois que vous commencerez à les chercher résolument, tout comme Girard, vous les trouverez partout.
je suis sûr qu’ils fourmillent dans ces moments de rencontres ritualisées entre groupes épars qui se retrouve pour telle ou telle fête où l’on échange les objets dangereux car désirables, comme les femmes par exemple.

 Aussi donc, ma réticence n’a ni à voir avec ma supposée « incompréhension » ou compréhension biaisée du modèle girardien, ni avec quelque pression de mon « entourage intellectuelle » , pas plus qu’avec qu’une quelconque vision « orthodoxe et rigoriste » de « LA » science : je suis ouvert à nombre de théories et idées, suis plutôt plastique et n’ai aucun problème à changer d’opinion si on me fournit suffisamment d’éléments le permettant.

Je m’en réjouis. Pour ma part je pense ne rien avoir affirmé et m’être simplemente inquiété de la pression de l’entourage que je sais très vive dans ce milieu grégaire par excellence qu’est le domaine de la recherche

Enfin, de mon expérience (USA) Girard n’est absolument pas « ignoré » suffisamment de débats, critiques, etc… ont été produites au cours des dernières décennies, montrant que ses idées sont discutées au niveau universitaire – de même que le « girardisme » dispose de nombre de « fondations » assurant la diffusion/promotion de ses théories – donc pas de manque de $$$,

Et bien, vous me l’apprenez car je n’avais pas fait le même constat. Et je m’en réjouis même si je comprends que ceci vaut pour les USA et pas pour la France où Girard est surtout (re)connu par le grand public.

néanmoins je me répète du point de vue de l’anthropologie (culturelle et religieuse) : énoncer que si un mythe ne confirme pas « objectivement » (littéralement) votre thèse, ce n’est en fait qu’une confirmation de la dite thèse, puisque c’est là la preuve du mensonge/travestissement supposément inhérent aux mythes ergo preuve/confirmation de la dite thèse…risque effectivement de poser quelques problèmes, ne serait-ce que d’ordre méthodologique :

Vous insistez beaucoup sur cet aspect et je comprends que cela puisse vous arrêter.
Ce que je vous propose c’est de nous en donner un exemple précis tiré du texte girardien afin que nous puissions réfléchir concrètement sur la question

i.e. mythologie comparée, ethnologie, anthropo culturelle/religieuse, etc… ne fonctionnent pas selon les mêmes approches que la critique littéraire dont Girard est issu…

Désolé d’avoir à vous le dire, mais là vous jouez petit.
Ce que vous faites est une attaque ad hominen, qui est malheureusement assez classique dans les milieux scientifiques (qui sont humains, trop humains) même si c’est complètement prohibé en principe.
En science nous sommes censés être dans le monde III de Karl Popper : toutes les idées, toutes absolument sont bienvenues pour offrir une cohérence au corpus de données dont nous disposons.
Peu importe de savoir qui est la personne qui porte l’idée, quelles sont ses qualifications et quelle est sa méthode de pensée.
Ce qui importe c’est de mettre l’idée à l’épreuve des faits.

Il faut donc a minima fournir autre chose que de simples lectures interprétatives de tel ou tel mythe ou tel ou tel rite.

Pour les raisons exprimées juste au-dessus, ceci est faux.

D’abord parce que votre « il faut a minima » ne trouvera aucune autre justification rationnelle que « il ME faut a minima ».
En effet, comme indiqué plus haut, en science même une simple conjecture est légitime.
Et si de surcroît, une conjecture est étayée par une analyse intertextuelle des documents les plus représentatifs de la pensée archaïque, eh bien ça fait une belle hypothèse.
C’est ce que Girard prétend tenir, une belle hypothèse.
Et peu importe le degré de conviction avec laquelle il s’y attache. Toutes ces considérations relèveraient de l’ad hominen, elles sont donc non pertinentes.

 Enfin, ma raison principale est qu’ayant stricto sensu grandi dans la jungle avec des « primitifs » : je ne peux que constater que l’Erisanthropus Mimeticus de Girard est aussi « réaliste » que le bon sauvage de Rousseau, ou le sauvage barbare selon d’autres…

Mea culpa, je n’ai pas bien suivi quand vous avez évoqué déjà ce Erisanthropus Mimeticus, je n’ai pas idée de ce que vous cherchez à évoquer par là.

 Je n’ai donc aucun problème d’ordre « blocage intellectuel »,

Je ne sais pas si quelqu’un a pu évoquer ça vous concernant mais en tout cas ce n’est pas moi

 je demeure simplement dubitatif en l’absence d’autres choses qu’une grille d’interprétation suffisamment large pour que de fait G ou les « girardiens » l’appliquent à TOUT : pour reprendre un pasteur yankee, girardien convaincu : tout du Neurone à l’Eschaton confirme les théories de Girard : vous conviendrez alors que je demande au minimum quelques éléments factuels…

Là ça prend une tournure très intéressante.
La question est qu’est ce qui serait pour vous une preuve ?

Il semble que vous les écartiez toutes sous le prétexte, fallacieux, que les Girardiens ayant la prétention d’appliquer la théorie girardienne à tout, alors tout devrait la confirmer directement.
Vous constatez que ce n’est pas le cas car vous voyez de l’absence de sacrifice ici et là et vous concluez que la théorie girardienne n’est pas valide.

C’est l’impression qui ressort de notre échange.
Donc je repose la question, qu’est-ce qui serait pour vous un élément probant ? Un « coup fumant » ?

Mais rassurez-vous, mes réticences ne se limitent pas au girardisme : je suis un sceptique c’est tout…

Bien venu au club.
Je pense qu’à force d’entraînement je peux démonter à peu près tout.
Et précisément, quand ça résiste, alors j’y crois smiley


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