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Commentaire de Luc-Laurent Salvador

sur De l'animal à l'homme par l'invention du religieux : retour sur le modèle sacrificiel de René Girard


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Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 4 août 2013 19:32

@ Lord

En attendant que vous réagissiez, comme je l’espère, à mon message du 3 aout 9h30 que je pensais quasi-conclusif (sur nos points d’accords ET de désaccords) mais dont je devine qu’il ne saurait l’être en aucune manière, je vais réagir à certains points de votre message à Eric.

 Je reviendrai sur la question théorie scientifique ou non dans ma réponse à LLS. Donc réponse courte au reste de votre com : en effet, le problème avec toute théorie (ou idéologie, philosophie, etc… = système de pensée) apparaît souvent plus lié avec la ou les récupérations que par l’énoncé même de la dite théorie : néanmoins celui qui produit a aussi une responsabilité : sans aller jusqu’à demander qu’il accepte qu’elle soit en tout ou partie erronée, verrouiller une théorie au point que toute critique se voit invalidée tel que le fait Girard en affirmant que autant mythes, rites, sites, etc… permettant de présumer d’une activité/origine sacrificielle que mythes, rites, sites, etc… ne le permettant pas (et de facto bien plus nombreux d’un point de vue empirique) sont des preuves (« positives » ou « négatives ») de la validé de sa théorie : en cela rien d’étonnant que les « girardiens » ne soient pas les plus ouverts à la critique : la théorie originelle autant que le théoricien l’empêchant. De plus, un « scientifique » évitera généralement l’emploi de concepts que « vrai » ou « mensonge » : ce qui n’est pas le cas de Girard qui lui emploie l’idée de mensonges pour tous les mythes, excepté celui de la révélation christique du mécanisme victimaire postulé qui lui serait « vrai ». Nous ne sommes plus dans la Science : même avec la définition la plus large ou plastique qui soit…

Ne le prenez pas en mauvaise part mais il semble ici que votre propos relève avant tout de la simple opinion et que vous n’avez pas vraiment envie d’argumenter et plutôt, simplement, de faire un procès hâtif de Girard.
Je n’attarderai donc guère, seulement pour souligner que la thèse de Girard est en effet que les mythes sont le récit des évenements sacrificiels racontés dans la perspectives des persécuteurs, donc « mensongers » par nature puisqu’il manque le point de vue de la victime accusée de tous les maux mais silencieuse puisque morte.
Quand on dit qu’un propos est mensonger on ne dit pas qu’il est faux, car il peut parfaitement contenir du vrai. Presque tout peut être vrai. Toute la tâche est de faire la part des choses.

Ce que dit ensuite Girard c’est que dans l’ancien et le nouveau testament on voit apparaître des récits qui présentent la même structure de lynchage que les mythes fondateurs classiques sur toute la planète (ce que, je pense, vous expliquerez difficilement par l’effet placebo ou je-ne-sais-quelle conjecture cognitivo-finaliste) mais que ces récits présentent une victime innocente. Ils nous donnent à voir proprement un lynchage, ce que nous reconnaissons comme un bouc émissaire.

Girard dit il y a une différence fondamentale entre ces deux types de textes.
De deux choses l’une :
a) ou vous niez ces observations et j’attends votre démonstration
b) ou vous admettez la validité de ce constat et j’attends avec intérêt vos explications cognitivo-finalistes.

 Concernant le cas de l’homme qui serait dénué de désir mimétique, un certain Landy (le lecteur est ici renvoyé au paragraphe original ci-dessus)

Je ne sais où cet échange nous amènera mais encore une fois je dois dire que j’apprécie votre apport en données empiriques.
Cette information vaut son pesant de cacahuètes comme on dit chez moi.
J’irai regarder cela de très près comme vous l’imaginez bien.
En attendant que je sois informé plus amplement je peux vous dire que j’accorde aucun crédit à ce constat.
M. Landy est mimétique comme vous et moi et il est très facile de le faire apparaître sans même l’avoir rencontré.
Il suffit de savoir qu’il est enseignant à Stanford.
Et il faut surtout savoir démonter les rationalisations qui consiste à expliquer la généralité d’un comportement par une cause unique, souvent finaliste.
Nous verrons cela in situ

Ainsi, par exemple, M. Landy :
1) a désiré avoir un poste à Stanford
2) a probablement une famille, une femme, une maison, une voiture (de marque), part en voyage avec sa famille, va au restaurant, etc.
3) a appris à parler anglais
4) a des valeurs auxquelles il essaie d’être fidèle, peut-être même une religion
5) a des plats préférés, dont une bonne part proviennent de son enfance

Passons ces caractéristiques en revue pour voir en quoi elles sont nécessairement d’origine mimétique :

1) Stanford est une des trois universités les plus prestigieuses des Etats-Unis. Cette université est donc d’emblée désignée comme hyperdésirable. Si M. Landy a bougé pour venir à cette université, alors nier qu’il ait été sous influence mimétique serait une pure dénégation de sa part, sauf à pouvoir montrer qu’il habite Palo Alto depuis sa naissance et qu’il était hors de question d’enseigner dans une autre université que celle-ci.
1b) Au demeurant, on ne devient pas enseignant grâce à une pochette surprise. On désire devenir enseignant et ce désir ne vient pas de ce qu’on y a réellement goûté : on a nécessairement des modèles qui nous donnent envie d’exercer cette profession, donc là encore, il est assuré que M. Landy est un être mimétique comme les autres.

2) Pareillement, M. Landy a désiré vivre en couple, il a désiré avoir des enfants, vivre dans une maison comme tout le monde fait, avoir une belle voiture de marque, peut-être une porsche comme James Dean, allez savoir. L’impossibilité éventuelle de remonter à la cause de la décision d’aller dans tel ou tel sens ne permet aucunement d’infirmer la nature mimétique (complètement « conforme » donc mimétique de ces comportements). Le seul moyen de prouver le non mimétique serait de faire apparaître dans chaque cas une contrainte incontournable. Il est clair qu’il n’y en a pas dans la société californienne ou étasunienne pour ce qui nous occupe.

3) Quand Landy a appris à parler anglais il était porté (en toute inconscience du fait, bien sûr) par le désir de s’exprimer comme ses parents. C’est du désir mimétique pur sucre.

4) Les valeurs de M. Landy ne résultent pas de choix rationnels de sa part même s’il peut se le donner à croire pour certaines d’entre-elles récemment acquises. Dès lors qu’elles ne sont pas « rationnelles », elles ne peuvent que découler des systèmes de valeurs explicites ou implicites auxquels il a été exposé durant son enfance et qu’il aura intériorisé, terme euphémistique pour dire imité. Dès lors les valeurs qui orientent fondamentalement le comportement éthique de M. Landy sint la conséquence d’un désir mimétique qu’il a eu de les faire siennes.

5) M. Landy, c’est certain, préfère certains plats à d’autres. Parmi ses préférés il s’en trouve nécessairement qu’il préfère parce qu’il a imité et intériorisé l’attirance manifeste de ses parents pour le plat en question. Le fait que d’autres plats de son enfance ne soient pas à son goût ne prouve rien du tout car une stratégie identitaire d’affirmation de soi dans la différence aura pu l’amener à ressentir de l’aversion pour un plat que son frère aîné aurait déclaré adorer. Le fait que les goûts alimentaires soient influencés par d’autres variables que le modèle familial ne permet pas d’exclure le modèle familial. Par hypothèse il est toujours à l’oeuvre comme le montre bien une des expériences que je rapporte dans ma thèse : réalisée chez le chat avec une mère sous système de récompense par activation de la zone cérébrale du plaisir lorsqu’elle mangeait de la banane, elle a permis de constater que tous ses chatons ont pris « mimétiquement » à la consommation de banane alors que la seule récompense pour eux était... la banane.
Où l’on voit la force du mimétique et la malléabilité de l’instinct (et on règle la non expérience CHOUX DE BRUXELLES vue plus bas. Non expérience car, encore une fois, l’absence de résultat ne permet pas de conclure à l’absence d’imitation mais seulement à l’échec de l’expérience)

Bref, le rapport Landy, quel qu’il soit, ne remet aucunement en cause l’hypothèse mimétique. M. Landy est un individu lambda sous ce rapport, juste un peu plus grande gueule que les autres et, précisément, dans la rivalité mimétique avec son double girardien, au sens propre, puisque lui aussi professeur à Stanford smiley

 Vous évoquez comme démonstration empirique : les mythiques batailles de polochon :

 1) rivalité, conflit, bouc-émissaire, etc… peuvent s’envisager autrement que par le seul biais du mimétisme/imitation : domination (ex : le bouc-émissaire comme relevant d’une forme d’hyper-domination ou domination partagée vs dominé unique), hormones (la testostérone semble être ignorée autant par les girardiens que par les « genderistes »), socialisation, etc… peuvent soit les expliquer soit aller de pair avec imitation : ma critique va avant tout à avancer l’imitation comme seul élément fondamental : possible qu’il s’agisse bien d’un élément fondamental mais je n’irai pas jusqu’à postuler qu’il soit le seul ou le plus déterminant : encore moins s’agissant d’agents intelligents et conscients, disposant autant de l’Intuition que de la Raison, et à même d’opérer des choix singuliers (uniques) –ce qui n’exclut pas d’opérer des choix « particuliers » = par imitation.

Si vous voulez bien considérer que l’imitation est un processus fondamental, je dirais, parfait, restons en là smiley !

 2) l’expérience CHOUX DE BRUXELLES a été réglée plus haut, donc nous n’y revenons pas

 Ensuite afin de ne pas se limiter à "bambin sapiens« , j’invoquerai une autre jurisprudence »ROCCO SIFFREDI"...

Peut-être avez remarqué, j’ai déjà parlé de l’option Bonobo pour l’homme. Les observations remarquables de l’éthologiste Desmond Morris sur le corps humain et sa dynamique dans l’acte d’accouplement laissent clairement à penser que l’Humain a fortement investi la relation amoureuse au plan physique au point d’avoir une conformation hyperadaptée à cette activité. Davantage que la taille des pénis, la disponibilité permanente des femmes est en soi une preuve flagrante de cet état de fait. La chose intéressante est qu’en dépit de la grande probabilité que l’Humain ait exploré au maximum de ses possibilités cette voie, il est clair que ce n’est pas elle qui a dominé et que les cultures qui ont réussi, celles qui ont couvert toute la planète avec leurs mythes fondateurs sont les cultures de la violence, de la réconcilation sacrificielle.
En eût-il été autrement, la plupart des mythes seraient des grandes partouzes divines et humaines à tous les coins de rue. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas eu. Mais elles sont loin de tenir le devant de la scène et quand elles y viennent c’est souvent pour apparaître comme la cause des troubles... qui vont nécessiter la violence du sacrifice pour laver la faute.
Bref, je crois peu périlleux d’affirmer qu’il n’existe pas de jurisprudence Bonobo ou Sifredi, désolé.

 Sinon, l’histoire de l’Advertising ne confirme pas g : les échecs retentissant de campagnes jouant possiblement sur ce désir mimétique étant connues : again que ce principe mimétique opère, même à un niveau fondamental est entendable voir possiblement démontrable, mais que ce soit l’Alpha et l’Omega est une position beaucoup plus difficile à défendre.

Comme déjà dit, la seule chose qui importe est que vous reconnaissiez la puissance du mimétique. Vous le faites ? Alors tout est bien. L’exclusivité du mimétique, on pourra toujours en reparler dans un second temps.

  Enfin, yes j’ai passé l’essentiel de mon enfance et adolescence en Am. Sud (principalement Amazonie et quelques séjours dans les Andes, ainsi que quelques trips en Asie et Sibérie : toujours chez les « primitifs » : raison parents ethno-anthropo) : et par exemple, bien qu’ayant TOUJOURS été le parfait potentiel bouc-émissaire puisque étranger, « bizarre », avec une drôle de tête, etc…ayant à chaque fois à apprendre une nouvelle langue et bien entendu ne la maitrisant pas aussi bien que mes camarades de jeu, ayant des occupations tout aussi étrange (lecture par exemple) : j’aurai été un bouc-émissaire parfait en maintes occasions : or cela ne m’est jamais arrivé : pas plus que je n’ai pu constaté de « rivalité » supposément mimétique : par contre OUI, le Jeu était un élément essentiel du quotidien que ce soit chez les enfants que les adultes, pour la chasse, la pêche ou divers rituels…Je n’ai commencé à découvrir cette obsession à vouloir ressembler ou posséder à l’Autre qu’en débarquant dans une autre jungle : urbaine pour le coup…

Ce que vous décrivez est très exactement ce à quoi on se serait attendu à partir d’une analyse girardienne. Le désir mimétique débridé et l’absence de stratégie de protection contre la violence de celui-ci c’est bien sûr pour les sociétés modernes et surtout urbaines plutôt que les traditionnelles que l’on trouve j’imagine plus facilement en Amérique du Sud.
Donc encore merci, vous n’aimez pas ça mais vous apportez de l’eau au moulin girardien


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